Sportifs et dirigeants de club : cap sur la Data et l’IA

Basket, escrime, voile. Les usages des données sont de plus en plus présents dans le sport. Avec l’Intelligence artificielle en ligne de mire.

« La technologie et la Data sont devenues un élément central pour l’optimisation de la performance de l’équipe », lançait en 2022 Julien Piscione, Head of Sport Science and Performance Support à la Fédération Française de Rugby. Mais les entraîneurs, et un sélectionneur comme Fabien Fabien Galthié, demeurent des « artisans de la performance ». Cette approche des données, qui regarde vers l’IA comme assistant des coachs, est aujourd’hui bien présente dans de nombreux sports. Mais les algorithmes ne sont pas forcément encore totalement démocratisés.

Le basket, un sport nourri à la stat

Le Levallois Sporting Club en est une excellente illustration. Le club a déployé un programme basé sur la donnée et l’IA pour son équipe masculine de basket en quête de performance.

Depuis plusieurs années, le club – qui se présente comme le « plus grand club omnisport de France » avec 18 000 adhérents, 37 sections sportives et 150 sports proposés – développe des applications avec Devoteam (dont le siège est installé à Levallois-Perret). L’ESN est aussi le parrain du pôle haute performance du LSC regroupant les sportifs professionnels individuels, une trentaine.

Mais depuis quelques mois, le club est allé plus loin. Il a mis en place un programme technologique pour favoriser l’amélioration des performances de son équipe de basket (en 4e division), championne de France de Nationale 2 en 2024. Et le LSC ambitionne de monter d’une division.

« Le basket est sans doute un des sports les plus dopés à la stat », souligne Henry de Grissac, directeur général du Levallois Sporting Club. Quant à l’IA, « elle est peut-être devenue le meilleur assistant coach qu’on puisse trouver […] C’est de l’assistance premium », expliquait-il lors d’une conférence SporTech organisée par Devoteam au printemps.

L’IA intégrée pour recruter des joueurs et préparer les matchs

Trois catégories de cas d’usage sont explorées. La première application de l’IA concerne le recrutement des joueurs, « un énorme sujet dans le sport collectif. » La composition d’une équipe « réclame un travail considérable d’analyse » de données.

L’IA doit ainsi faciliter la vie des recruteurs, coachs, assistants et patrons de clubs en les « aidant à rassembler beaucoup de données » et en les « triant d’une manière accessible » pour les utilisateurs à l’expertise métier.

« Cela ne remplacera pas l’humain », assure le dirigeant. « L’IA va aider l’entraîneur à trier les infos, à les hiérarchiser […] On fait ce qu’on faisait déjà avant, mais mieux et plus vite. »

L’IA est aussi mise à contribution pour la préparation de match. Les matchs sont nombreux et peu de temps est disponible entre chaque rencontre pour la recherche d’images, ce alors même que l’analyse vidéo occupe une place centrale dans la préparation.

« L’IA, c’est du bonheur. C’est comme de disposer de 100 personnes qui travaillent H24 à traiter de la vidéo », se réjouit le directeur du LSC.

Enfin, troisième champ d’application du programme IA du club : l’entretien individuel de l’athlète. La technologie intervient dans la préparation physique et la lutte contre les blessures. Il s’agit ici de s’aligner sur les standards des clubs professionnels pour le LSC, qui vise la Pro B du basket français.

Ce dernier volet reste une perspective, un « potentiel », scouting et recrutement ayant été « assez vite intégrés […] Nous avons encore des marges de progression énormes dans ce que nous pouvons construire ensemble et amener au projet sportif. »

Des défis pour démocratiser l’IA pour tous les sportifs

La trajectoire de l’IA dans le sport professionnel n’est cependant pas parfaitement limpide, reconnaît Henry de Grissac, qui identifie plusieurs défis.

L’enjeu selon lui est notamment de parvenir à la démocratisation de ces technologies pour qu’elles ne bénéficient pas seulement aux plus grandes écuries. « Le sport féminin va-t-il bénéficier de l’IA dans les mêmes conditions que le sport masculin ? Le parasport en bénéficiera-t-il aussi ? Il faut que nous arrivions à accompagner les acteurs de la tech dans une espèce d’éthique de l’IA », plaide-t-il.

Le DG du LSC appelle aussi à s’interroger sur la juste place à accorder à l’IA, à son utilisation dans l’arbitrage et sur sa capacité « à devenir un outil prédictif dans certaines disciplines qui en ont besoin » comme l’E-sport.

Dans d’autres disciplines, l’intelligence artificielle demeure une perspective plus qu’une réalité. Mais même dans ces cas, la data et son utilisation sont souvent bien ancrées.

Un cap de maturité à franchir dans l’escrime

Il en va ainsi dans l’escrime, témoigne Margaux Rifkiss, sabreuse de l’équipe de France. « En escrime, les données font partie du paysage. C’est devenu une obligation », partage-t-elle.

Les collectes sont régulières, en particulier pour les membres de l’équipe de France. Chaque sportif, via une application de la fédération, transmet des informations relatives notamment à son état de fatigue et son sommeil.

« Certaines personnes ont pu être réticentes, souvent les anciennes, quand les jeunes se sont équipées de montres supplémentaires pour obtenir des données plus poussées », poursuit la sabreuse.

Quant aux usages, ils sont appréciés sur la prévention des blessures et la facilitation des discussions avec les entraîneurs.

Reste que « l’outil n’a pas encore fait ses preuves dans tous les domaines. Non pas parce que les données ne sont pas assez riches, mais parce qu’on ne sait pas encore parfaitement les exploiter », explique la sportive. Le frein, aujourd’hui, se situerait au niveau de l’exploitation des données vidéo, jugée encore trop complexe.

L’IA interdite dans la voile, mais des attentes

Dans les sports nautiques, capteurs et données sont également déjà très présents. Mais là encore, pas d’IA… pour une tout autre raison.

L’analytique concerne avant tout la performance des bateaux, témoigne le skipper et participant du dernier Vendée Globe Fabrice Amedeo. « Nous faisons de l’acquisition de Data, tout au long de l’année et avoir lors de la course, sur l’ordinateur, à chaque moment, une vitesse cible », détaille-t-il. L’information permet ainsi de définir la meilleure configuration possible (pilote automatique, voiles, etc.).

Outre la vitesse, l’acquisition de données intervient dans l’optimisation des voiles – au nombre de huit sur un bateau.

Avec les montres connectées, la donnée se développe aussi du côté de la performance des marins. « Le vrai sujet lorsqu’on est au large et en solitaire, c’est le sommeil […] En mer, nous dormons en sommeil polyphasique […] Sur une traversée de l’Atlantique, je dors 6 fois quarante minutes par 24 heures. Sur un tour du monde, c’est 6 fois une heure. »

Médecine et données permettent ainsi, à terre, d’identifier les moments optimaux du jour et de la nuit pour accéder à la meilleure qualité de sommeil.

Mais en ce qui concerne l’IA, le sport nautique reste « à la préhistoire ». Pour une raison simple : l’IA est interdite.

Fabrice Amedeo se déclare néanmoins très intéressé par le potentiel de l’IA dans les domaines du pilotage automatique et de la prévision météo, capitale dans sa discipline. « Aujourd’hui, la prévision est de moins en moins fiable du fait du dérèglement climatique. Les masses d’air sont plus instables […] L’IA pourrait remettre de la fiabilité dans la prévision. »

Le skipper attend aussi des progrès grâce à l’IA dans la prévention des collisions. Aujourd’hui, le système Oscar de double caméra (pour les formes en surface et la vision thermique) déclenche une alarme en cas de détection d’objet ou animal flottant non identifié. « C’est encore assez artisanal » et source de faux positifs. « Avec l’IA, c’est quelque chose qui pourrait énormément se développer et être plus performant à l’avenir. »

Les développements réalisés par Thales autour d’un couplage radar-IA pour le secteur de la défense semblent confirmer cette hypothèse. Reste à lever l’interdit (pour la voile) et à passer le cap (pour l’escrime).

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