ERP : IFS veut tripler de taille dans le monde et s’intéresse de près à la France (entretien)

Intelligence artificielle, notoriété de la marque, croissance, stratégie globale. Le nouveau CEO de l’éditeur d’ERP, d’Enterprise Asset Management et de Field Services Management, Mark Moffat a affiché ses ambitions dans un échange avec LeMagIT.

Entretien exclusif. Arrivé il y a deux ans chez IFS, l’Écossais Mark Moffat a pris la tête de l’éditeur d’origine suédoise en janvier de cette année. Quatre mois après sa prise de fonction, le successeur de l’emblématique Darren Roos (qui l’a adoubé), était de passage à Paris pour un évènement dédié aux clients de l’éditeur d’ERP, d’EAM et de FSM. L’occasion pour LeMagIT d’échanger avec Mark Moffat.

Points clefs de cet entretien :

  • Le nouveau CEO Mark Moffat s’engage à voir 100 clients en 100 jours.
  • IFS restera très fortement concentrés sur six secteurs d’activité (qui ont un grand nombre d’actifs et des chaînes d’approvisionnement complexes, et une forte intensité capitalistique).
  • Mark Moffat est un partisan de « l’évolution, pas de la révolution »…, mais IFS se prépare à la révolution de l’Intelligence artificielle (IA), avec une toute nouvelle plateforme, de nouvelles fonctionnalités (qui arriveront dans les deux prochaines releases) et un partenariat avec le MIT.
  • Le CEO veut « faire passer la marque IFS à un autre niveau » avec de nombreuses actions marketing pour mieux faire connaître l’offre. Surtout auprès des très gros clients qui regarderaient de plus en plus l’EAM et le FSM d’IFS.
  • IFS approfondit ses partenariats avec les grandes ESN et cabinets de conseils comme PwC, Accenture et Capgemini.
  • L’éditeur a sous-investi en France, alors que la nature de son tissu industriel en fait un marché idéal pour IFS. Mais les choses changent et l’éditeur y a réalisé son meilleur trimestre depuis 4 ans.
  • Avec un CA de 1,5 md $, IFS cible les 2 mds $ en 2025. Et les 5 milliards dans 5 ans+.
  • Pour y arriver, IFS veut devenir l’équivalent pour le FSM et l’EAM de Workday dans le SIRH et de Salesforce dans le CRM.

L’entretien dans son intégralité :

Stratégie et dynamique d’IFS

LeMagIT : Quelle est votre stratégie pour IFS ?

Mark Moffat : D’abord voir les clients. C’est un engagement que j’ai pris très tôt – qui était d’ailleurs une décision un peu improvisée. En fait, c’est Darren [N.D.R. : le précédent CEO aujourd’hui Chairman] qui m’a lancé une sorte de défi dans les coulisses de notre réunion commerciale pour l’année 2024. Il m’a dit : « Pourquoi tu n’irais pas voir 100 clients en 100 jours ? ». J’ai répondu « oui, pourquoi pas ! J’adorerais ! ».

Quand j’en ai parlé lors d’évènements publics, les retours ont été très positifs. Aujourd’hui les clients me contactent. Des gens me sollicitent et veulent échanger, partager leur expérience d’IFS –, les points positifs comme ceux que nous devons améliorer.

Un autre élément de notre stratégie est que nous restons très fortement concentrés sur nos six secteurs d’activité. Ces industries ont tendance à exploiter un grand nombre d’actifs, et des actifs complexes, ainsi que des chaînes d’approvisionnement elles aussi complexes. Ces industries ont également, par nature, une forte intensité capitalistique.

Si l’on considère nos investissements dans la gestion des actifs et la gestion des services, on obtient une adéquation parfaite. Certes, nous pouvons également intéresser des clients en dehors de ces six secteurs, s’ils répondent à ce profil type – comme une dans la santé avec laquelle nous travaillons, et qui a des milliers de techniciens sur le terrain au quotidien. Mais nous ne perdons pas de vue notre objectif. Donc, les services financiers, le retail, le healhtcare, du point de vue de l’ERP, ce n’est pas vraiment notre cible.

LeMagIT : Quelle est la dynamique d’IFS en Europe ? Y a-t-il une spécificité du marché européen ?

Mark Moffat : Chaque marché a un comportement légèrement « ésotérique » qui lui est propre, comme des environnements réglementaires différents.

L’autre chose qui diffère d’un pays à l’autre, c’est notre part de marché et la place de notre marque. Par rapport à nos concurrents – IBM. Microsoft, Salesforce, SAP – nous sommes encore peu connus. Et notre part de marché est inférieure à 10 % dans toutes les industries.

Un grand défi – et une opportunité, en tant que marque challenger avec un excellent produit – sera donc de faire en sorte que les organisations que nous ciblons nous reconnaissent. Elles n’ont pas toutes entendu parler de nous de la même manière. Selon le marché sur lequel vous vous trouvez, ce problème est plus ou moins prononcé.

LeMagIT : Comment allez-vous mener cette stratégie ? Avec quelle méthodologie, si je puis dire ?

Mark Moffat : Je suis arrivé chez IFS il y a deux ans [N.D.R. : d’abord en tant que Directeur commercial]. Cela m’a donné le temps de comprendre ce qui nous rend particuliers, ainsi que certaines des choses que nous devons manifestement améliorer. Tout cela dans la perspective de savoir comment nous développer, comment construire [le produit].

Après, je pense honnêtement que notre stratégie est solide. Six secteurs clés. Notre plateforme cloud. Des cycles d’innovation de six mois. Et donner le choix aux clients avec le modèle de déploiement d’IFS Cloud (les clients peuvent l’installer dans leur propre environnement ou utiliser notre offre managée). Aucun autre éditeur n’offre un tel choix à ses clients. Ce sont des différenciants très forts.

Ensuite, j’ai toujours été un partisan de « l’évolution, pas de la révolution ». Je crois aussi qu’il faut regarder vers l’avant et anticiper ce qui est devant nous, plutôt que de regarder derrière.

Et ce qui est devant nous, c’est une révolution massive liée à l’IA. L’année dernière, à la même époque, personne n’en parlait. Aujourd’hui, tout le monde veut de l’IA. C’est un exemple de la manière dont notre stratégie doit s’adapter.

Je pense aussi qu’en tant qu’entreprise et que marque, nous devons passer à un autre niveau. Nous attirons de plus en plus de très grandes multinationales. Ce matin, par exemple, j’ai pris le petit-déjeuner avec une entreprise dont la capitalisation boursière est de 200 milliards d’euros, qui m’a expliqué comment elle souhaitait tirer parti de l’IA d’IFS dans ses opérations. La semaine dernière, j’ai rencontré un dirigeant d’une entreprise allemand dont le chiffre d’affaires est de 140 milliards d’euros. Nous avons parlé de la manière dont la gestion des actifs et des services pouvait faire la différence dans ses opérations sur le terrain.

De notre côté, cela nous oblige à repenser la manière de renforcer la confiance de ces dirigeants dans la plateforme IFS. Car, une fois de plus, nous ne sommes pas si connus que cela.

Notoriété, France et croissance

LeMagIT : Comment, justement, allez-vous « faire la marque IFS à un niveau différent » ?

Mark Moffat : L’une des choses à faire, c’est le marketing et « l’activation » de la marque. En Amérique du Nord, nous avons conclu un partenariat avec la Big 10 Conference [N.D.R. : une franchise sportive qui regroupe… 18 universités américaines]. Cela nous permet de toucher un public de plusieurs centaines de millions de personnes. Nous avons également mis la marque dans des aéroports américains (Atlanta, Chicago, Charlotte, Orlando, Minneapolis, etc.). C’est « IFS.AI » partout.

Une autre chose concerne les partenaires. Leur rôle est important. Nous en avons 500 dans notre écosystème, mais l’opportunité pour nous c’est d’approfondir les partenariats avec les plus grands ESN et cabinets de conseils comme PwC, Accenture et Capgemini.

Nous sommes entrés davantage dans leur lexique et dans leur langage. Lorsqu’ils parlent à leurs clients de la transformation des opérations, de la réduction des coûts et de technologies modernes, ils sont naturellement plus enclins à parler d’IFS.

Enfin, nous organisons davantage d’évènements. Les évènements Connect, comme celui d’aujourd’hui [à Paris], et notre évènement mondial auront lieu tous les ans [N.D.R. : au lieu d’un tous les deux ans]. Pour la première année, nous organisons la même année des évènements régionaux et un évènement mondial. Et nous referons probablement cela chaque année.

LeMagIT : Qu’en est-il de la France ? Comment voyez-vous notre marché ?

Mark Moffat : Nous avons sous-investi en France ces dernières années. Nous le savons. Nous avons donné aux clients français ce dont ils avaient besoin, mais nous n’avons pas fait tout ce qu’il fallait pour saisir toutes les opportunités de croissance dans le pays.

[Cela change] et ce trimestre, nous avons connu notre meilleur trimestre sur la France en quatre ans. Dans la région, nous avons gagné 19 nouveaux logos au cours du Q1 – principalement au Royaume-Uni et en France. Nous sommes donc très confiants pour le marché français.

La nature des industries en France – une forte base manufacturière, une très forte présence des utilities (énergie, eau, etc.), du pétrole et du gaz, des télécommunications, de l’aérospatiale et de la défense – en fait un marché idéal pour nous.

LeMagIT : Quels sont vos objectifs de croissance ?

Mark Moffat : Nous prévoyons un chiffre d’affaires de 2 milliards $ en 2025. Cette année, nous serons à 1,5 milliard. Nous maintiendrons un taux de croissance (compound growth rate) de 30 % pour le résultat net, pour l’EBITDA et pour les revenus. Avec la règle des 40 (NDR : addition de la croissance des revenus et des marges), nous serons dans les 50 (NDR : on considère qu’un bon chiffre est de 40 minimum).

Mais honnêtement, IFS pourrait atteindre les 5 milliards $ dans un peu plus de 5 ans.

Pour cela, il faut que IFS devienne le « choix réflexe » pour les besoins en actifs et en services dans nos industries. Si un DSI envisage le remplacement d’un SIRH, il doit regarder Workday, sinon on lui posera des questions. Si un DSI cherche à remplacer son CRM et qu’il n’envisage pas Salesforce, on lui posera des questions. Dans le domaine de la finance, ce sera pareil pour SAP. Mais il n’y a personne avec ce statut pour l’EAM et le FSM. Il faut que cela soit IFS.

La stratégie IA d’IFS

LeMagIT : Tous les éditeurs d’ERP parlent d’IA. Vous avez également mentionné cette technologie dans cette interview. Quelle est la stratégie d’IFS en matière d’IA ?

Mark Moffat : Nous avons déjà investi massivement dans l’IA depuis cinq ans.

Nous avons une fonctionnalité « Scheduling and Optimization », qui est un mélange d’algorithmes d’IA (ML). Aujourd’hui, lorsque nous la déployons, les clients réduisent en moyenne leurs coûts de 30 à 40 %. Ils réduisent leurs émissions de carbone dans les mêmes proportions. Et c’est déjà dans notre logiciel.

Nous allons continuer. Avec la révolution de l’IA, des dizaines de milliards de dollars sont investis dans de la puissance de calcul brute, que nous, IFS, pouvons utiliser pour améliorer les capacités d’IA de notre offre.

Nous construisons actuellement une nouvelle plateforme d’IA, qui sous-tendra IFS Cloud. Cette plateforme aura la capacité d’ingérer des quantités importantes de données tierces (données clients, OEM, etc.), afin de nous permettre de créer dans le produit des cas d’usage à forte valeur ajoutée.

Nous venons de mettre en place un processus pour chacune de nos six industries (et certaines de leurs sous-industries). Nous avons dit : « D’accord, imaginons l’état de l’art de ce qui est possible, imaginons que nous disposons de toutes les données possibles de l’écosystème… que pourrions-nous faire dans nos processus ? ». Et nous avons conçu des cas d’usage pour l’IA.

LeMagIT : S’agit-il d’une IA propriétaire ou utilisez-vous des services PaaS d’AWS, Azure ou GCP ?

Mark Moffat : Les deux. Nous utilisons des services de tous ces offreurs. Et nous aurons notre propre couche de services d’IA.

Cela nous permet de rester très flexibles face aux évolutions. Parce qu’un mois passe, et voilà qu’une toute nouvelle technologie apparaît. Or nous voulons faciliter l’accès à l’IA à nos clients dans IFS Cloud. Donc il faut pouvoir s’adapter.

Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec le MIT. L’école a effectué de nombreuses recherches sur la prise de décision en temps réel et le lien avec les performances des entreprises. Ce qu’ils ont montré, statistiquement et empiriquement, c’est que celles qui prennent des décisions en temps réel ont tendance à être plus performantes que les autres.

En mettant nos données à la disposition du MIT (NDR : avec l’accord des clients concernés) et en les recoupant avec leurs recherches, nous sommes en mesure de fournir à nos clients un baromètre sur le « degré de temps réel » de leur prise de décision en matière de CX, d’expérience opérationnelle et d’expérience employés.

Notre nouvelle infrastructure d’IA nous permet de faire cela. Nous sommes enthousiasmés par ce partenariat avec le MIT.

LeMagIT : Ces nouveaux cas d’usage et ces fonctionnalités à base d’IA seront-ils disponibles gratuitement ou seront-ils payants ?

Mark Moffat : Cette offre de « nouvelle génération » commencera à arriver avec notre release de mai. Puis elle continuera dans la release de novembre. Mais nous n’avons pas encore établi de stratégie commerciale. Nous sommes en train de travailler sur cette question

C’est un challenge, car il s’agit d’un investissement massif [pour IFS]. Nous voulions d’abord nous assurer qu’il y aurait un ROI réel pour tout ce que nous construisons dans l’IA.

Propos recueillis le 4 avril 2024 à Paris, édités par LeMagIT, relus et validés par Mark Moffat.

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