VoltR met l’IA au service du reconditionnement de batteries Lithium

La startup angevine qui communique de très fortes ambitions de croissance, a déjà prouvé la viabilité de ses techniques d’évaluation de la santé et de la durée de vie de batteries Lithium à reconditionner. Il s’agit maintenant d’industrialiser son projet. En cela, l’IA sera cruciale, considère son dirigeant.

VoltR a annoncé aujourd’hui une collecte d’un total de 4 millions d’euros réalisée à la fin de l’année 2023. La société mentionne une levée de fonds en seed de deux millions d’euros, portée entre autres par C4 Ventures, Exergon, Pays de la Loire Participations et Anjou Amorçage. Simultanément, elle a collecté deux millions d’euros supplémentaires, « sous la forme d’un mix de dette et de subventions ». 

Ces fonds lui ont permis de lancer un site démonstrateur, à Verrières-en-Anjou, dans le département du Maine-et-Loire, inauguré en octobre dernier.

La startup prépare désormais une levée de fonds en série A de plusieurs dizaines de millions d’euros qui sera clôturée d’ici à la fin de l’année. L’objectif, ouvrir une usine en 2026 s’étalant sur quatre à cinq hectares et accueillant une centaine de salariés.

Mais qui est VoltR ? La société basée près d’Angers est née en 2022 en tant que spin-off d’Okamac, une entreprise spécialisée dans le reconditionnement des produits Apple depuis 2009. Sens Technologies, maison mère des deux entreprises, revendiquait près de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022.

VoltR entend faire la même chose pour les batteries. Cette idée, selon Alban Regnier, dirigeant et fondateur de VoltR et d’Okamac, a germé il y a près de huit ans, quand il s’est rendu compte qu’un de ses stagiaires récupérait des batteries vouées à la destruction pour électrifier sa trottinette.

Le reconditionnement de batteries, une étape supplémentaire avant le recyclage

À la fin de l’année 2021, Barbara Pompili, alors ministre de la Transition écologique, visite les locaux d’Okamac. L’occasion pour Alban Regnier de suggérer au gouvernement que la France soit la tête de proue d’une filière de reconditionnement de batteries au lithium au niveau européen. « C’est un sujet écologique, géopolitique, souverain et il y a une véritable dimension économique », défend le fondateur d’Okamac. Et la ministre de rétorquer que c’est la filière qui doit s’organiser par elle-même, sous l’impulsion d’entrepreneurs.

De fait, le sujet de la seconde vie des batteries – d’abord observée par les industriels de l’automobile –, « malgré les fortes incertitudes techniques, économiques et réglementaires », devient un enjeu crucial selon le rapport PEPS5 publié par l’ADEME en janvier 2023, au vu du nombre de batteries de véhicules électriques qui arriveront en fin de première vie dans un horizon de dix à quinze ans.

Selon les données de l’ADEME, 7,4 millions de batteries de voitures (tous types confondus), soit un volume de 123 440 tonnes, ont été mises sur le marché français en 2021. Mais l’immense majorité des batteries – 1,67 milliard d’unités, 37 694 tonnes – était des piles alcalines (55 %) et des batteries lithium portables (30 %).

Des 231 288 tonnes de déchets de batterie traitée cette année-là, 82 % ont été recyclés. Parmi ceux-ci comptaient 2 099 tonnes d’accumulateurs et 277 tonnes de batteries lithium.

Or, « les batteries lithium qui partent au recyclage conservent en moyenne 80 % de leurs capacités de stockage », affirme Alban Regnier. « Deuxièmement, en Europe, 94 % d’entre elles viennent de Chine, ce qui crée une dépendance à un pays avec lequel la France et la plupart des membres de l’UE ne sont pas alignés politiquement ».

« Les batteries lithium qui partent au recyclage conservent en moyenne 80 % de leurs capacités de stockage ».
Alban RegnierFondateur et dirigeant, VoltR

Du fait de la commercialisation de ses batteries en Europe, « le continent jouit déjà d’un des plus gros gisements de lithium au monde. Il se trouve dans nos poches, nos sacs à dos ou au fond d’un tiroir », poursuit le dirigeant. Cela constituerait un stock de batteries « en fin de première vie ».

Estimer l’état de santé d’une batterie lithium, un défi en soi

Encore faut-il connaître leur état de santé, le « premier challenge auquel est confronté un opérateur face à une batterie en fin de première vie », selon l’ADEME.

« Notre objectif est de récupérer les batteries lithium destinées au recyclage, de les tester afin de savoir si oui ou non elles peuvent être reconditionnées », avance Alban Regnier.

La première phase consiste à vérifier que la batterie est physiquement saine. « Le lithium au contact de l’air est hautement réactif », rappelle le dirigeant. D’autant que VoltR peut légalement stocker seulement six tonnes de batteries sur son site pilote. 

La deuxième phase nécessite de connaître le State Of Health (SOH), l’état de santé d’une batterie, une mesure exprimée en pourcentage, imaginée par les fabricants de voitures électriques.

En cela, « l’algorithmie et l’intelligence artificielle sont nécessaires à l’activité de VoltR », juge Alban Regnier.

Il y a plusieurs indicateurs pour estimer ce SOH. « Nous mesurons principalement l’état de santé capacitif – c’est-à-dire que nous calculons la capacité résiduelle d’une cellule à un instant donné et nous la comparons à sa capacité nominale (les données constructeurs) – et l’état de santé de la résistance interne de la cellule, en effectuant le même type de comparaison », précise Inès Jorge, responsable IA chez VoltR.

Ce sont des indicateurs initiaux, selon la spécialiste. « Les performances des batteries dépendent de très nombreux paramètres : la température, le courant, le cas d’usage, etc. », explique-t-elle.

VoltR utilise des bancs de test constitués d’un ensemble de machines nommées cycleurs, dont le rôle est de charger et décharger les cellules. Elles permettent d’obtenir ces deux mesures qui composent le SOH formulé par la startup. Ces données sont stockées de manière sécurisée dans une base de données sur site sur laquelle la startup exécute des algorithmes permettant d’extraire des connaissances à partir des données générées.

« Cela nous permet d’ajuster le test de caractérisation, car nous sommes dans un processus d’amélioration continue. Nous obtenons davantage d’informations que si nous nous limitions aux données brutes. Dans d’autres cas, nous pouvons recueillir la même quantité d’information, mais sur une plage plus limitée de tests », informe Inès Jorge.

L’IA, une nécessité pour VoltR

Dans un même temps, il s’agit d’estimer la durée de vie de la batterie par rapport à un escalier de performance, permettant de définir son rôle dans sa seconde vie.

En moyenne, huit batteries sur dix ne sont pas atteintes physiquement et elles ont un SOH aux alentours des 80 %.

« VoltR peut accueillir en flux entrant tout type de batteries lithium. En flux sortant, nous ne pouvons pas reconditionner les batteries pour les plus hauts paliers de performance : ceux correspondant aux besoins des voitures, des ordinateurs portables, des smartphones », note Alban Regnier. « En revanche, une batterie d’ordinateur portable avec un SOH de 80 % équivaut à 120 % des performances d’une batterie de vélo neuve ».

Cet exemple est directement tiré d’un prototype mené par VoltR pour prouver la viabilité de son activité. Elle a reconditionné des batteries de MacBook en batteries de vélo électrique.

Actuellement, VoltR fabrique et vend aux entreprises des batteries électroportatives pour de l’outillage électrifié (par exemple, des perceuses), des Power Bank, des batteries de vélo, de luminaires ou d’enceintes connectées. Elle vend également des cellules de différentes capacités. La startup compte une quarantaine de clients, dont Paranocta, Scania et Leroy Merlin.

La multitude de variables à prendre en compte pour prédire la durée de vie d’une batterie peut rendre l’exercice de data science énergivore et coûteuse. « Nous essayons d’être les plus raisonnables possibles quand nous développons un modèle. En l’occurrence, étant donnée la complexité de la prédiction et la nécessité de préserver la durée de vie des cellules, nous utilisons des modèles de type réseau de neurones », explique Inès Jorge.

Les résultats des modèles sont comparés avec des données réelles.

« Pour nous, c’est important d’avoir un protocole bien formalisé et précis afin de fournir aux utilisateurs une estimation garantie de la durée de vie de nos batteries reconditionnées ».
Inès JorgeResponsable IA, VoltR

« Pour nous, c’est important d’avoir un protocole bien formalisé et précis afin de fournir aux utilisateurs une estimation garantie de la durée de vie de nos batteries reconditionnées », ajoute-t-elle. « Nous essayons d’obtenir une marge d’erreur très faible ».

La durée de vie des batteries, un sujet d’intérêt national

Les porte-parole de VoltR n’en diront pas davantage. Cette base de données et les algorithmes sont non seulement spécifiques et critiques pour VoltR, mais également considérés comme stratégiques par l’écosystème et, donc, par l’État français.

« Des startups américaines nous ont proposé d’acheter notre base de données. Des investisseurs chinois, américains ou des Émirats nous ont approchés, mais nous sommes profondément européens et suivis de près et aidés par l’État français », signale Alban Regnier.

« Les données relatives à l’utilisation des batteries sont parmi les plus sensibles », renchérit Inès Jorge. « Dans le cadre de ma thèse, j’ai consacré quatre ans et demi à l’application de l’intelligence artificielle à la modélisation du vieillissement des cellules de batterie. J’ai rencontré des difficultés à obtenir des données d’utilisation en raison des enjeux importants liés aux performances des batteries. Les constructeurs automobiles et les fabricants de batteries sont souvent réticents à les partager ».

« Les données relatives à l’utilisation des batteries sont parmi les plus sensibles ».
Inès JorgeResponsable IA, VoltR

Quoi qu’il en soit, les résultats de VoltR et de ses partenaires de recherche semblent encourageants.

« Nos batteries reconditionnées sont aussi performantes et parfois meilleures que d’autres, neuves. Elles sont au même prix ou moins cher que le neuf, écologiques, et elles sont françaises », assure Alban Regnier.

Une fois installées dans un appareil, les cellules sont contrôlées par un Battery Management System (BMS) conçu par VoltR. Celui-ci permet de contrôler la tension et la chauffe, entre autres. « L’étape suivante pour nous sera de concevoir un BMS intelligent, afin de pouvoir récupérer des données de télémétrie en interne ou, suivant les besoins, d’embarquer des modèles dans des circuits de protection afin d’étudier en temps réel le fonctionnement de la batterie », anticipe la responsable intelligence artificielle.

La levée de fonds sera décisive dans la suite du projet, tout comme l’obtention des bonnes autorisations.

« Nous sommes bridés par nos capacités de stockage de déchets », indique le fondateur. « Nous avons des demandes pour accueillir plusieurs centaines de tonnes en flux entrant », renseigne le dirigeant.

De fortes ambitions à concrétiser

VoltR affiche des objectifs de croissance très ambitieux.

« Quand nous aurons amorti nos investissements dans les équipements et dans l’ingénierie, nous visons un EBIDTA d’environ 30 % », avance Alban Regnier.

« Notre ambition d’ici à 2030, c’est d’ouvrir quatre usines dans quatre pays européens, et de créer 500 emplois », lance le dirigeant qui évoque auprès de plusieurs rédactions un chiffre d’affaires cible de plus de 100 millions d’euros dans six ans. « Sans cette intelligence artificielle, nous n’y arriverons pas », souligne-t-il.

Si VoltR atteint ses objectifs, la société estime qu’elle pourrait économiser l’équivalent de 1 % de l’empreinte carbone totale de la France, soit 20 millions de tonnes équivalent carbone. Pour l’heure, près de la moitié de la trentaine d’employés de VoltR travaille à la recherche et au développement du projet dans son bureau situé à Saint-Denis.

Crédits image : Jacques Poirier (RPC) pour VoltR

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