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TotalEnergies s’appuie sur le serverless pour allier trading et stabilité du réseau électrique
TotalEnergies Trading a mis en place deux projets cloud en production qui lie achat et revente d’électricité à l’équilibre de charge sur le « grid » belge. Une manière de se positionner face aux enjeux des prix négatifs et de l’instabilité crée par la multiplication des sources d’énergie.
La multiplication des sources d’énergie qui alimentent les réseaux électriques pose des défis aux énergéticiens. C’est particulièrement le cas pour les énergies renouvelables. De fait, elles ne connaissent pas le même cycle de production que les énergies fossiles ou nucléaires. Le défi demeure d’équilibrer la charge afin que le réseau conserve à tout moment sa fréquence, 50 Hz en France et en Europe. Selon la commission de régulation de l’électricité et du gaz belge, « un écart de fréquence de plus de 0,05 Hertz est considéré en Europe comme un danger pour la sécurité opérationnelle du système électrique européen ».
Ce facteur n’est pas simplement influencé par la production, mais aussi la consommation. Dans le cas de l’électricité obtenue à travers des panneaux solaires, la production atteint un pic aux heures les plus ensoleillées (10h-17h). Pour l’éolien, les pics de production sont dépendants de la météo. Or, les pics de consommation ont lieu plus tard, quand les habitants d’un pays rentrent chez eux en fin de journée, à partir de 18 h.
Les défis posés par les énergies renouvelables
Ces contraintes ont des effets économiques. L’équilibrage de charge demande généralement des centrales thermiques, mais le fait de les démarrer et de les arrêter est coûteux en plus d’être polluant.
Il y a un autre phénomène nocif pour les producteurs : les prix négatifs. Pour faire simple, quand les systèmes solaires et éoliens atteignent leurs pics de production et que l’électricité ne peut être stockée alors que la demande est basse, elle se vend à des prix négatifs sur le marché de gros. Oui, le producteur peut devoir payer pour que le réseau électrique absorbe ce trop-plein. Selon les données de la bourse Epex Spot, l’année dernière, la France a enregistré 361 heures de prix négatifs sur le marché de gros, contre 147 en 2023. Les prix négatifs variaient entre 0 et -16 euros du mégawattheure.
Parmi les solutions pour atténuer ces deux phénomènes, les énergéticiens se mettent d’accord sur l’implémentation de batteries permettant de stocker temporairement l’électricité. Oui, mais quand la réinjecter ? Et si possible en évitant de démarrer des centrales thermiques.
C’est à ces problèmes auxquels commence à s’attaquer TotalEnergies en Belgique. Il faut dire que le phénomène de prix négatifs est plus prononcé qu’en France. Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2024, la commission de régulation de l’électricité et du gaz belge a enregistré 369 heures en prix négatif, contre 222 en 2023.
Précisons aussi que le groupe a des ambitions fortes en matière d’énergies renouvelables. Il produit actuellement 19 TWh d’électricité « verte » et compte en générer plus de 120 TWh d’ici à 2030, à l’aide d’une capacité de puissance de 100 Gigawatts.
En Belgique, il comptabilisait 450 000 clients particuliers et près de 100 000 clients professionnels en 2024. Le groupe s’appuie actuellement sur « la centrale cycle combiné gaz de Marchienne-au-Pont (430 MW), le barrage hydraulique de la Plate-Taille (140 MW) et sur un parc éolien situé dans les eaux belges de la mer du Nord (300 MW) ».
Pour stocker l’énergie, il a développé un projet de stockage par batteries à sa raffinerie d’Anvers. Il y a un an, il a annoncé un second projet au dépôt de Feluy d’une puissance de 25 MW et d’une capacité de 75 MWh matérialisé par 40 conteneurs lithium-ion développés par la société Saft. La copie conforme de ce qu’il avait déjà déployé à Anvers en 2023. Mis en service prévu à la fin de l’année 2025. À ce moment-là, l’énergéticien disposera d’une capacité de stockage de 50 MW/150 MWh pour un investissement de 70 millions d’euros.
Un troisième défi s’ajoute : la gestion de l’état des batteries et leur maintenance. Un ensemble d’enjeux qui impute en partie à l’entité TotalEnergies Trading.
Au sein de TotalEnergies Trading, une équipe pluridisciplinaire est responsable d’une communauté de Citizen Developers formés d’utilisateurs finaux et de « power users ». « La mission de notre équipe, c’est de leur fournir des outils adaptés à leurs besoins et à leur niveau technique », affirme Yasmina Elftmaoui, citizen developer/développeuse Python chez TotalEnergies Trading, lors d'une session de l'AWS Summit Paris 2025. « Nous avons des solutions no-code, low-code, high-code et des services managés ».
« En plus d’encadrer cette communauté Citizen Developer, nous sommes également mobilisés sur des projets », poursuit-elle.
Allier équilibre de charge et gains économiques
Avec un autre développeur, Yasmina Elftmaoui a été missionné dans le cadre du projet BESS AFR. « Le besoin métier a été manifesté en avril 2024 et la mise en production a commencé en novembre 2024 ».
Ce projet vise justement à répondre aux deux enjeux évoqués plus haut. « Nous utilisons nos batteries pour aspirer le surplus d’énergie et rétablir l’équilibre sur le réseau », indique-t-elle. « Ce mécanisme consistant à maintenir le réseau électrique à une fréquence de 50 Hertz s’appelle l’aFRR, Automatic Frequency Reserve Restoration ».
Le deuxième projet, l’imbalance chasing est lié à l’achat d’électricité au prix les plus bas pour alimenter la batterie et sa revente aux pics de consommation, quand elle est la plus demandée.
« Ces deux opportunités nous permettent non seulement de monétiser l’énergie, mais aussi d’en aspirer le surplus que l’on va réinjecter à d’autres moments clés », affirme-t-elle.
Ce projet réclame de respecter plusieurs contraintes, à commencer par le presque temps réel. « Dès qu’on détecte que le réseau électrique a besoin de puissance, il faut pouvoir lui fournir cette énergie en moins d’une minute », précise-t-elle. Dans un même temps, il faut que cette injection d’électricité se fasse en accord avec les objectifs économiques évoqués plus haut. À cela s’ajoute une incertitude : les effets de l’offre et de la demande. « Il faut pouvoir anticiper les besoins des consommateurs, mais aussi la production des énergies renouvelables. Et enfin, on est sur du 24-7 », rappelle Yasmina Elftmaoui. « L’électricité, l’on en a besoin de jour comme de nuit, du lundi au dimanche. Nous devons assurer un service fiable et de manière continue pour éviter les pénalités financières et de marché ».
Un tel projet réclame de traiter trois sources de données principales : celle du gestionnaire du réseau de transport qui donne la répartition géographique de la production et de la consommation. La deuxième source de données n’est autre que le système de batteries : son état de charge, ses performances. La troisième source n’est autre que le marché : les prix de l’électricité, les tendances et la dynamique entre l’offre et la demande.
Une quatrième source de données est liée au barrage hydraulique présenté plus haut. « Le barrage, c’est notre back-up », note Yasmina Elftmaoui. « Le niveau de la batterie va dépendre de l’offre et de la demande. S’il y a un pic de consommation et que la batterie a déjà réinjecté toute l’énergie qu’elle contenait au niveau du réseau électrique, il faut bien que la batterie trouve une source pour se recharger et pouvoir répondre aux besoins du réseau ».
Une architecture « évolutive », orientée événements, et serverless
L’architecture IT doit donc être robuste et « scalable » pour l’étendre ou l’utiliser dans le cadre de projets similaires. L’équipe de citizen developer s’est appuyée sur les services AWS à sa disposition.
Les deux projets sont répartis dans deux comptes AWS distincts : l’un nommé Imbalance Chasing, l’autre Power Aggregation Tool. Des collecteurs Lambda récupèrent les données du réseau, de la batterie et du marché avant qu’il ne soit traité par des algorithmes de machine learning également exécutés en FaaS. « Le résultat de ce traitement donne une position sur le marché ». Une position est une prédiction d’achats et de ventes, les « opportunités sur le marché ».
Ces positions sont également sauvegardées dans une base de données MongoDB Atlas.
« L’outil d’imbalance chasing va nous retourner une position de marché que nous transmettons au Power Aggregation Tool via des EventBridge [des routeurs d’événements serverless, N.D.L.R] », explique la citizen developer. « Une fois que la position du marché est transmise à notre deuxième outil et que nous avons collecté à partir d’une fonction Lambda et stocké les données du barrage dans un bucket S3, un algorithme détermine la puissance à injecter à la batterie ».
La rapidité de développement s’explique selon Yasmina Elftmaoui par l’usage des briques AWS, notamment les fonctions serverless Lambda. « Cela nous a permis de nous concentrer sur l’aspect algorithmique et non sur de l’administration réseau ».
Le ROI du projet, du fait, entre autres, de la consommation de services à la demande et le recours à deux développeurs et quelques Ops serait « nettement positif ».
« Nous sommes en train de travailler pour faire grandir ce projet en y ajoutant de nouvelles batteries, d’autres actifs et explorer de nouveaux marchés », affirme la citizen developer.
Propos recueillis lors de l’AWS Summit Paris 2025.