« Flex Credits » : nouveau virage tarifaire pour Agentforce
Face aux limites de sa facturation à la conversation rencontrées par ses clients, Salesforce introduit un modèle à l’action pour ses agents IA. Outre une approche plus « juste » pour les clients et l’éditeur, il ouvre la voie à une comparaison directe entre la main-d’œuvre humaine et numérique.
Encore un changement tarifaire pour Agentforce. C’est ce qu’ont pu découvrir les clients de Salesforce lors de son « World Tour 2025 » à Paris, événement qui attendait 10 000 visiteurs au centre Paris-Expo Porte de Versailles.
Pour rappel, lors de Dreamforce en septembre 2024, Marc Benioff, cofondateur et CEO de Salesforce, avait présenté un modèle tarifaire des « agents IA » à la conversation. Selon Emilie Sidiqian, vice-présidente exécutive et directrice générale chez Salesforce France, une conversation est une session d’un utilisateur interne ou externe avec un de ces assistants ouverte pendant 24 heures. Elle est facturée 2 dollars (2 euros en Europe, « magie » du taux de change), au-delà des 1000 conversations gratuites.
Seulement, ce modèle se frotte à la réalité. L’exposition progressive des assistants et agents IA au grand public a rapidement prouvé ces limites. « Sur les premiers mois, nous avons observé quelque 4000 conversations ouvertes et seulement 1000 d’entre elles ont donné lieu à des actions », explique Benjamin Balatin, directeur de la transformation digitale chez Fermob, une ETI spécialisée dans l’ameublement de jardin.
L’assistant en question est consacré à la recherche de pièces détachées et à l’entretien du mobilier de jardin fabriqué et vendu par Fermob. « Beaucoup de gens l’ouvrent et pensent obtenir autre chose », ajoute-t-il. De fait, l’assistant est représenté par une bulle rouge sur le site Web du « retailer ». Une icône qui ne permet pas d’identifier d’un seul coup d’œil la nature de ce bot de service après-vente.
S’il y a un petit problème de design du côté de Fermob (justifié par une esthétique minimaliste), Salesforce a toutefois compris que son modèle économique n’était pas adapté à tous les usages des acteurs de la distribution grand public. Fermob n’a sûrement pas été le seul à rencontrer le problème.
Dont acte. Le 15 mai dernier, Salesforce a ajouté un nouveau modèle tarifaire à « l’action », nommé Flex Credits. Le modèle par conversation ne disparaît pas.
« Flex Credits » : une monétisation à l’action
« Les conversations ouvertes sans actions ne créent pas de valeur. Nous sommes plutôt satisfaits de cette tarification qui s’aligne sur l’idée d’un paiement là où l’on crée de la valeur », commente Benjamin Balatin.
Une option qui intéresse également Pierre Maturel, SVP IT & Digital Transformation chez Adecco. Le groupe a lancé une coentreprise avec Salesforce « pour aider les organisations à associer leurs collaborateurs à des agents IA » depuis AgentforceExchange. Adecco déploie également les technologies Agentforce auprès de ses employés.
« La monétisation par action, c’est quelque chose qui nous intéresse, beaucoup plus que le concept précédent de conversation », assure-t-il. « La conversation reste quand même un objet abstrait : l’on ne sait pas forcément quand elle s’arrête et le résultat qui en découle », ajoute-t-il. « Ensuite, il nous faudra ouvrir une discussion commerciale avec Salesforce sur ce qu’est une action, sa taille, sa durée, etc. »
Selon un communiqué de presse, Salesforce définit une action comme « la mise à jour des dossiers des clients, l’automatisation de flux de travail complexes ou la résolution de cas ». La définition demeure assez large. Et toutes les actions n’ont pas la même valeur.
Dans sa documentation, Salesforce distingue les actions standards (disponibles sur étagère) des actions « customs ». Une liste des actions standards est disponible, mais leur accès dépend de « produits ou de clouds spécifiques, donc elles requièrent des licences supplémentaires ou des permissions ». Elles servent principalement à interroger ou activer des systèmes dans les produits Salesforce. Les actions « customs » sont dérivées des actions standards. Elles peuvent être configurées à l’aide de Flow, d’un template de prompt, des intégrations API Mulesoft vers des outils tiers et du code Apex.
L’éditeur précise que les actions bâties à l’aide d’Apex peuvent consommer des crédits « Einstein Request Credit ».
Chaque action « inclut » le traitement de 10 000 tokens maximum. Chaque fois que cette limite est dépassée, Salesforce considère que les clients déclenchent à nouveau l’action. « Par exemple, le traitement de 20 001 tokens correspond à 3 actions standards ou customs », informe la documentation.
Pour rappel, un token est un terme qui définit l’élément de base traité par les grands modèles de langage. Un token est une séquence de caractères dérivée de la division plus ou moins arbitraire des phrases et des mots par un sous-système d’un LLM, le tokenizer. Problème que rencontrent tous les fournisseurs, un token ne fait pas la même taille selon la langue et le LLM.
Si l’unité de mesure est discutable, un lot de 10 000 tokens par action devrait être largement suffisant pour enclencher une action. Cela représente environ 15 pages en anglais. Mais Salesforce ne précise pas si le nombre de tokens inclus par action intègre l’enclenchement et l’obtention du résultat, ou seulement l’un ou l’autre.
« À première vue, cette approche tarifaire est plus équitable pour les entreprises, car les résultats comptent davantage pour elles que la simple invocation d’un agent. »
Holger MuellerAnalyste, Constellation Research
Chaque action consomme 20 crédits Flex dans un environnement de production, 16 dans un environnement sandbox. Ces crédits Flex sont disponibles par pack de 100 000 unités au prix de 500 dollars. Une action coûterait environ 0,10 dollar. Tous les clients des éditions Entreprise et au-delà peuvent réclamer auprès de leur représentant Salesforce un premier pack « gratuit ».
« Une quantité de crédits Flex est incluse avec certains services Salesforce, avec le droit spécifique indiqué dans le tableau des détails d’utilisation sur le bon de commande pour ces services », précise un document PDF. « Les crédits Flex doivent être utilisés avant la date de fin de commande indiquée dans [ce tableau], et aucun report ne sera autorisé ».
Pour Holger Mueller, analyste chez Constellation Research, ce modèle tarifaire est à la fois plus juste pour les entreprises et pour Salesforce. « À première vue, cette approche tarifaire est plus équitable pour les entreprises, car les résultats comptent davantage pour elles que la simple invocation d’un agent. Le modèle de tarification est également équitable pour Salesforce, car la tarification doit refléter les ressources cloud consommées par les agents ».
Flex Agreements : humains, agents IA ou les deux ?
L’éditeur a également présenté les accords Flex (Flex Agreements), un moyen de convertir des licences utilisateurs de Salesforce en nombre de crédits. L’éditeur n’a pas précisé la valeur d’une licence en nombre de crédits. Il renvoie le client vers son représentant commercial. Salesforce prône une cohabitation des humains et des agents IA. Sur son site Web, il avait déjà proposé de comparer le coût et le temps d’une tâche effectuée par un métier et par un bot. Il ne fait qu’asseoir cette idée. Dans l’approche de l’éditeur, le remplacement des humains par l’IA et la coopération entre les deux entités ne sont pas des notions antinomiques.
« Ce nouveau modèle implique une question importante », selon Pierre Maturel, d’Adecco. « Est-ce que ce budget lié à l’action dans Salesforce sera celui de l’IT ou des opérations ? La décision reviendrait à ce moment-là, à déterminer si l’on engage une “Human Workforce” ou une “Digital Workforce”. Ce modèle-là facilite la comparaison et la prise de décision autour de cela ». Au Royaume-Uni, Adecco teste un agent vocal développé sur Agentforce capable de réaliser les préentretiens avec les candidats potentiels à un poste. Ailleurs, ces agents sont textuels.
Plus tard cet été, Salesforce également des licences par utilisateur par mois pour l’accès aux agents conçus par ses soins. Cela concerne les agents et les assistants dans Sales, Service et Industries. Une édition Agentforce 1 Editions ajoute l’accès aux agents IA Field Service présenté ce mois-ci. La tarification sera précisée au moment de l’annonce. Emilie Sidiqian précise que ces deux éditions offrent « un usage illimité pour les collaborateurs par rôle » des assistants et agents IA de Salesforce. Cette notion de rôle doit éviter que les utilisateurs se partagent les accès pour interroger les assistants.
Pour la directrice de Salesforce France, ces nouvelles licences ainsi que le modèle de tarification Flex sont plus adaptés pour distinguer l’usage des agents internes et externes. « Aujourd’hui, à l’externe, nous offrons deux possibilités : le mode par conversation ou à l’action. Je pense qu’une troisième typologie d’agents arrivera bientôt », anticipe-t-elle. « Les agents de nuit, capable d’automatiser une bonne partie des processus » quand les humains ne travaillent pas. Dans le cadre de son déploiement, Adecco a remarqué que 66 % des interactions avec ces assistants IA externes avaient lieu en dehors des heures de travail, alors qu’il prévoyait que cette part atteigne 25 %.
L’IA bouleverse les codes du SaaS
« [Des] concurrents affirment que l’IA devrait simplement faire partie de la solution et ne pas être une fonction ou un coût supplémentaire. »
Liz MillerAnalyste, Constellation Research
En attendant, c’est un changement de paradigme pour Salesforce. Comme le rappelle Pierre Maturel d’Adecco, le géant du CRM a popularisé le modèle tarifaire de la souscription au nombre de sièges.
« Alors que Salesforce cherche à perfectionner un modèle tarifaire à la consommation, d’autres ont choisi d’intégrer leurs coûts dans les abonnements existants », souligne Liz Miller, analyste chez Constellation Research. « Ces concurrents affirment que l’IA devrait simplement faire partie de la solution et ne pas être une fonction ou un coût supplémentaire », poursuit-elle. « La question de savoir quelle voie est la plus appropriée pour les créateurs de technologie et leurs clients reste encore à débattre. Mais ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas le dernier changement de tarification, car l’IA continue de bouleverser toutes les normes »..
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