« Le best of breed appartient au passé » (Muhammad Alam, SAP)

Parce qu’elle est infusée à l’IA, SAP entend gagner des parts de marché en encourageant ses clients à adopter l’ensemble des briques de sa suite applicative toujours plus vaste. Une vision qui se heurte à la réalité chez les clients.

Lors du keynote d’ouverture de Sapphire 2025 Europe à Madrid, Muhammad Alam, responsable de l’ingénierie produit et membre du comité de direction de SAP, a présenté la vision technico-commerciale de l’éditeur allemand.

Celle-ci consiste tout simplement à convaincre les entreprises d’adopter les solutions SAP sur les volets finances, achats, logistiques (SCM), ventes, CX et RH (HCM). Chez certains clients, l’éditeur allemand tient déjà une bonne place sur les trois premiers segments.

Pourquoi les entreprises étendraient-elles leur périmètre auprès de SAP ? Au nom de l’IA, assure Muhammad Alam.

Un triptyque s’impose

Il faut désormais mettre en musique les applications, les données et l’IA générative. Une harmonie jusque-là complexe à obtenir.

« La plupart des entreprises disposent d’un paysage applicatif très disparate et hétérogène, construit au fil du temps, souvent à la suite d’acquisitions ou parce qu’une application peut offrir quelques fonctionnalités supplémentaires ou une expérience utilisateur plus abordable par rapport à une autre », déclare Muhammad Alam. « Cela [les] obligent à consacrer beaucoup de temps et d’argent à l’intégration des applications […] », poursuit-il.  

« Nous estimons que les organisations peuvent consacrer jusqu’à 80 % de leurs efforts et de leur budget à la mise en place de ce fragile équilibre entre les applications et les données ».
Muhammad AlamResponsable ingénierie produit et membre du comité de direction de SAP

Ensuite, « il convient d’extraire et rassembler les jeux de données disparates en un seul endroit et d’essayer d’harmoniser le modèle de données simplement pour pouvoir créer des rapports de base pour [les] utilisateurs dans une autre application. Les données sont désormais déconnectées de l’application source ». Ces données perdraient alors leur « richesse sémantique ».

« Ce qui ne laisse que 20 % de leurs ressources pour créer de la valeur. »
Muhammad AlamSAP

« Nous estimons que les organisations peuvent consacrer jusqu’à 80 % de leurs efforts et de leur budget à la mise en place de ce fragile équilibre entre les applications et les données, ce qui ne laisse que 20 % de leurs ressources pour créer de la valeur ».

Une seule plateforme responsable du contexte métier serait nécessaire. Plus particulièrement, SAP prétend pouvoir offrir une couche d’applications de bout en bout, un modèle de données « harmonisé » et une IA nativement intégrée dans toutes les applications, via Joule. L’idée serait d’alimenter les modèles d’IA avec les données afin qu’ils puissent écrire des données dans les logiciels de l’entreprise.

La « prolifération » du best of breed, en partie la faute de SAP

« Le best of breed à lui seul appartient désormais au passé. Aujourd’hui, c’est l’apport d’une suite complète qui représente l’avenir, sans compromis sur les fonctionnalités ou l’expérience utilisateur », avance Muhammad Alam.

Cette différenciation entre best of breed et best of suite provient de Gartner. Quand l’approche « best of breed » consiste à sélectionner les meilleurs outils sur le marché suivant des critères d’évaluation de la DSI et des métiers, l’approche « best of suite » correspond au choix d’une solution « tout en un » qui couvre l’ensemble des besoins de l’entreprise. Historiquement, ces solutions à tout faire ont montré qu’elles ne sont pas les plus efficaces partout. D’où l’existence de combinaisons populaires, par exemple SAP pour l’ERP, Salesforce pour le CRM et Workday comme HCM.

Selon le responsable de la gestion produit, ce serait aussi la faute des éditeurs de suite applicative, dont SAP, qui n’auraient pas « innové assez rapidement ». « Dans certains cas, nous n’avons pas été assez rapides pour intégrer nos propres applications et fournir un modèle de données harmonisé, ce qui vous [les clients, N.D.L.R.] laissait presque autant de travail que si vous déployiez une application non SAP ».

D’où la « prolifération » des acteurs best of breed.

« Aujourd’hui, nous pensons que l’avantage du best of breed sera banalisé à l’ère de l’IA. […] Avec l’IA, ce que nous offrons aujourd’hui, c’est une “suite as a service” », ajoute Muhammad Alam.

Et cette « suite as a service » serait la combinaison de SAP Business Suite, Business Data Cloud et Business AI. Selon ce modèle, certaines solutions peuvent contenir des outils tiers, mais soit ils sont hébergés sur la BTP (Business Technology Platform), soit SAP gère les intégrations au nom du client. « Nous souhaitons que cela reste un choix, nous voulons gagner chaque charge de travail », martèle le responsable, lors d’un point presse à Madrid.

Cette approche « best of suite » serait « moins coûteuse » et « plus simple ». Et d’autant plus importante dans un contexte « d’incertitude » économique.

Et SAP de s’appuyer sur l’exemple de Vodafone qui a unifié l’ensemble de ses SI « cœur finance » sur S/4HANA cloud.

« Nous avons adopté depuis très longtemps une approche best of breed. Cela signifie que nous disposions de cinq logiciels différents sur l’ensemble de notre territoire », relate Scott Petty, CTO de Vodadone, lors du keynote d’ouverture de Sapphire Madrid. « La consolidation de ces logiciels en une seule suite nous a permis d’agir avec beaucoup plus d’agilité tout en réduisant nos coûts », poursuit-il. « Bien entendu, cette transformation n’est pas terminée et nous sommes en train de passer à Rise with SAP, tout en continuant à mettre hors service les anciennes plateformes dans l’ensemble de l’entreprise ».

Unifier un SI Finance sur une seule plateforme n’est pas la même chose que d’adopter une seule suite qui couvrirait la majorité des fonctions de back-office d’une entreprise.

Une idée « séduisante » peu alignée avec la stratégie des directions informatiques françaises

« La refonte de l’IA SAP sur SAP Business Data Cloud au-dessus de Databricks est la zone d’architecture à laquelle il faut prêter attention. Comme tout le monde le sait, l’IA ne vaut que ce que valent les données sous-jacentes. »
Holger MuellerAnalyste, Constellation Research

Aussi, bon nombre de données ne proviennent pas des systèmes SAP et ne sont pas structurées. En la matière, l’éditeur allemand vante son partenariat avec Databricks. Les deux acteurs proposent des instances du data lakehouse pour y ingérer des données en provenance de systèmes tiers. Ce produit étant en disponibilité générale depuis le 30 avril, SAP doit encore faire ses preuves, explique en filigrane Holger Mueller, analyste chez Constellation Research.

« La refonte de l’IA SAP sur SAP Business Data Cloud au-dessus de Databricks est la zone d’architecture à laquelle il faut prêter attention », note-t-il, dans un billet de blog. « Comme tout le monde le sait, l’IA ne vaut que ce que valent les données sous-jacentes. En supposant que les données soient correctes, il sera essentiel de voir ce que SAP fera du côté de l’innovation pour la finance, le HCM, le SCM, les achats et plus encore ».

Du côté des clients français, l’adage préféré des DSI demeure : « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ».

« Nous avons effectivement des enjeux importants d’intégration », confirme le directeur de la stratégie numérique d’un industriel français auprès du MagIT. « L’idée [de SAP] est séduisante, mais c’est à double tranchant. L’on a vu dernièrement des éditeurs jouer de leur position dominante ».

Un autre se demande, concernant l’assistant et les agents IA Joule, si SAP gérera les allers-retours depuis sa propre couche de données, basée sur Snowflake. Enfin, un troisième client français mise aussi sur le best of breed et préfère attendre que les solutions de SAP soient matures avant de les adopter.

À noter que ces clients ont un point commun : ils en sont à différents stades de leur migration cloud ERP via Rise with SAP.

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