SAP : 2025, année de la stabilisation après douze mois de turbulences ?

En 2024, SAP a débuté une restructuration qui a touché des milliers d’employés. L’éditeur a aussi procédé à des changements significatifs au sein de sa direction. Pour les analystes, SAP doit à présent réinstaurer une forme de stabilité, en interne et auprès de ses clients.

SAP a connu une année 2024 aux deux visages, avec d’un côté des résultats financiers solides, mais de l’autre une période marquée par des bouleversements dans son organisation et dans son équipe de direction.

Pour les observateurs, des questions majeures restent en suspens et seront au cœur de son année 2025.

Une année 2024 charnière

En janvier 2014, SAP a dévoilé un plan de restructuration qui concernait 8 000 employés – avec des changements de poste (reskilling) ou des départs « volontaires ».

Ce plan avait pour objectif de concentrer les moyens de l’éditeur sur des secteurs stratégiques, comme l’intelligence artificielle, et d’aligner les compétences internes avec les besoins futurs de l’entreprise.

En juillet, le plan a été revu à la hausse pour inclure jusqu’à 10 000 employés. SAP a précisé que la « majorité » des départs se feraient sur une base volontaire et que des programmes de reconversion seraient mis en place. Malgré ces départs, SAP prévoyait de clôturer l’année avec un effectif stable d’environ 105 000 employés, signe qu’il a, dans le même temps, embauché.

Des changements majeurs au sommet de l’entreprise

La restructuration n’a pas épargné l’équipe dirigeante.

En avril, Thomas Saueressig, figure historique de SAP, a quitté son poste de responsable de l’ingénierie produit pour diriger une nouvelle unité qui regroupe services et support client. Il a aussi intégré le conseil d’administration de SAP.

Son poste a été repris par Muhammad Alam, qui dirigeait auparavant l’unité « Intelligent Spend » (Ariba, Concur, Fieldglass).

En mai, Hasso Plattner, cofondateur légendaire de SAP et ancien PDG, a pris sa retraite à l’âge de 80 ans, mettant fin à plus de cinq décennies de leadership.

Mais l’été a surtout été marqué par deux départs surprises. Julia White, directrice marketing, et Scott Russell, directeur des revenus, ont quitté SAP, a priori d’un commun accord. Le poste de Julia White n’a pas été remplacé, et son département a été supprimé du conseil d’administration, pour rationaliser la structure de gouvernance – dixit SAP.

En septembre, le directeur technique Juergen Mueller a lui aussi quitté ses fonctions, mais dans des circonstances plus polémiques que stratégiques, en raison d’un « comportement inapproprié lors d’un événement ».

Christian Klein, PDG de SAP, a repris le poste par intérim, mais à ce jour aucun remplaçant permanent n’a été nommé.

Un impact perturbateur sur l’écosystème SAP

Pour Joshua Greenbaum, analyste principal chez Enterprise Applications Consulting, tous ces changements ont généré une forme d’instabilité sur l’ensemble de l’écosystème SAP.

« C’est chaotique pour les employés, pour les partenaires, et surtout pour les clients, » résume-t-il. « SAP devra éviter que 2025 soit une nouvelle année 2024 ; une année où il a été difficile de savoir qui contacter pour résoudre un problème. »

Il n’en reste pas moins que Joshua Greenbaum considère que certaines décisions, bien que perturbatrices dans un premier temps, étaient stratégiques et nécessaires pour le plus long terme. Par exemple, le transfert des responsabilités marketing à Muhammad Alam, qui a une profonde compréhension de la technologie et de ses avantages pour les clients, pourrait s’avérer payant.

Thomas Saueressig, qui a rejoint le conseil d’administration en tant que responsable des services et du delivery, a également prouvé qu’il avait une bonne perception des besoins des clients, ajoute l’analyste.

« La manière dont les choses se mettent en place au sein du conseil d’administration est bonne », estime-t-il. « Mais c’est toujours dans l’exécution que tout se joue, nous verrons donc bien ce qu’il en est au fur et à mesure cette année ».

Holger Mueller, analyste chez Constellation Research (aucun lien de parenté avec l’ex CTO de SAP), souligne cependant que l’équipe dirigeante reste assez inexpérimentée, et qu’il reste des postes vacants (directeur marketing et directeur des revenus).

Malgré cela, SAP serait bien positionné pour 2025, juge-t-il. « SAP se porte bien, ce qui montre qu’il dispose d’un bon vivier de talents au niveau de sa direction ».

Pour Jon Reed, analyste chez Diginomica (société d’analyse IT), SAP n’a plus à sa tête une personnalité ultra-reconnaissable comme Oracle (Larry Ellison) ou Salesforce (Mark Benioff). Mais « l’équipe de direction est plutôt bien avisée lorsqu’il s’agit de parler des problèmes des clients et des irritants », considère-t-il. « Ils comprennent généralement bien d’où vous venez et ils ont souvent de bonnes réponses ».

Une réponse qui passe par le cloud, par l’IA (SAP a par exemple sorti son assistant Joule cette année) et par son nouveau fer de lance dans l’ERP S/4HANA. Mais cette réponse doit encore séduire les clients. « L’un des points intéressants de 2025 sera de voir dans quelle mesure les choses que vous entendez dans la bouche de la direction résonneront sur le terrain », anticipe Jon Reed.

La restructuration va-t-elle continuer ?

Outre les changements à la tête de l’entreprise, la restructuration a été une actualité majeure de SAP en 2024. Même s’il n’est pas le seul à avoir lancé un tel plan dans l’IT (Cisco, Meta, Microsoft, Google, AWS ou encore Intel ou Salesforce ont fait de même), il s’agit tout de même d’un pari.

Un éditeur aussi gros et aussi établi que SAP peut toujours attirer les talents, mais une restructuration entraîne aussi, inévitablement, une perte de mémoire institutionnelle et d’expérience, nuance Joshua Greenbaum… Qui ajoute que ce n’est pas toujours négatif.

« Dans une certaine mesure, cette mémoire peut être un obstacle autant qu’un atout », explique-t-il. « Souvent, la manière de penser de l’ancienne garde s’oppose aux nouvelles idées ».

Il n’en reste pas moins que les départs sont des turbulences dans la vie d’une entreprise. « La continuité à tous les niveaux est vraiment importante pour la planification stratégique et pour les relations avec les clients et avec les partenaires », continue Joshua Greenbaum. « La question la plus importante n’est donc plus tellement de savoir quelles sont les causes sous-jacentes, mais comment SAP peut maintenir la stabilité dont il a besoin pour son écosystème ».

Une restructuration sape également le moral des employés, renchérit Jon Reed. SAP a la possibilité de rétablir la confiance en 2025, mais pas s’il multiplie les coupes budgétaires et les rachats d’entreprises avec à la clef d’autres restructurations.

« Il y avait beaucoup de personnes qui pensaient être à vie chez SAP, et peut-être que cela a créé une certaine forme de stagnation, mais SAP devra regagner cette confiance interne afin d’être à la hauteur de sa réputation », et recréer de l’implication, prévient-il.

SAP, un géant vertueux

SAP est par ailleurs une entreprise importante sur la scène mondiale parce qu’elle s’est résolument engagée en faveur des questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), ajoute Jon Reed.

Cette position serait d’autant plus précieuse aujourd’hui que l’instabilité, les conflits et le nationalisme se multiplient dans le monde. Or « le fait est que [les guerres et les troubles] affectent les entreprises », déclare-t-il. « SAP a fait ses preuves avec ses différents programmes en faveur de la diversité [et de la durabilité]. Ils ont été à l’avant-garde de beaucoup de choses en la matière. [Et] nous avons désespérément besoin d’entreprises tournées vers l’avenir qui sont prêtes à s’engager à l’échelle mondiale sur ces sujets. »

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