
Stockage : Kioxia présente un mystérieux SSD de 245,76 To
Le fabricant n’indique pas comment il aurait réussi le tour de force de mettre deux fois plus de capacité dans un SSD standard. Il est probable que l’appareil soit deux fois plus épais, ce qui ruinerait l’avantage de la densité, mais au bénéfice d’une économie d’énergie.
Le fabricant de SSD japonais Kioxia commercialisera sous peu une nouvelle génération LC9 de ses produits dont la particularité sera d’avoir des puces NAND deux fois plus capacitives. Elles permettent à Kioxia d’enfin proposer des SSD en 122,88 To, alors que le fabricant étant en retard par rapport à ses concurrents Solidigm (modèle D5-P5336-122) et Phison (modèle Pascari D205V).
Kioxia n’a pas communiqué de prix. Celui des SSD concurrents en 122,88 To se situe aux alentours de 12 000 dollars l’unité.
Surtout, de manière assez surprenante, Kioxia annonce que ces mêmes puces vont aussi lui permettre de commercialiser des SSD LC9 deux fois plus capacitifs (et sans doute d’autant plus chers). Le fabricant ne dit pas encore comment il a triché avec les formats standards pour atteindre 245,76 To. Car cette capacité est normalement impossible dans un SSD de format standard avec la densité de gravure actuellement atteinte par l’industrie des semiconducteurs.
Dans le détail, les SSD LC9 de Kioxia intègrent des puces BiCS de huitième génération, également fabriquées par Kioxia, qui contiennent 32 circuits de NAND QLC au lieu de 16 dans la génération précédente. Chaque circuit offrant une matrice de 500 milliards de cellules 4 bits (soit 2 Tbit, ou 250 Go), ces nouvelles puces ont chacune une capacité de 8 To. Il en faut 16 pour atteindre 128 To bruts, ou 122,88 To utilisables après le décompte des cellules redondantes.
C’est exactement ce que le taiwanais Phison propose dans son SSD Pascari D205V. Il est d’ailleurs probable qu’il s’agisse de SSD similaires sous deux marques différentes. Kioxia est à la base un fabricant de puces NAND, Phison un fabricant de contrôleurs de mémoires NAND et les deux se complètent souvent pour assembler des SSD. SSD qui sont éventuellement revendus sous une troisième marque ; Western Digital par exemple.
Toujours est-il que pour atteindre 245,76 To utiles, soit 256 To bruts, le SSD Kioxia doit forcément intégrer 32 puces NAND. Il doit bien mettre quelque part les 16 puces supplémentaires.
Globalement moins rapide, sauf en écritures aléatoires
On retrouve les caractéristiques similaires suivantes entre les SSD LC9 de Kioxia et Pascari D205V de Phison :
- Trois capacités : 30,72 To, 61,44 To, 122,88 To
- Trois formats 2,5 pouces (U.2), E3.S et E3.L,
- L’utilisation d’un canal PCIe 5.0 à pleine vitesse (15 Go/s) ou deux canaux à semi-vitesse (2x 7,5 Go/s). L’intérêt d’utiliser deux canaux est que ces SSD peuvent être installés dans des baies de stockage contenant deux cartes mères redondantes.
- Des accès en lecture environ quatre fois plus rapides que les accès en écriture.
- Des puces 3D NAND QLC de 2 x 1,6 cm contenant 32 circuits gravés sur 218 couches de silicium (seule un peu plus de la moitié a des cellules NAND, le reste est fait d’isolants et d’interconnexions)
- Une endurance DWPD de 0,3 (un tiers du SSD peut être réécrit chaque jour pendant cinq ans avant que ses cellules NAND QLC deviennent inutilisables en écriture).
Les SSD de la famille D5-P5336 de Solidigm offrent une plus grande variété de capacités, avec des modèles en 7,68 et 15,36 To. Ils utilisent les puces 3D NAND QLC de 1,9 x 1,9 cm que grave en 192 couches de silicium la maison mère coréenne SK Hynix. Leur contrôleur maison est le descendant des contrôleurs QLC qu’Intel fabriquait avant de les revendre à SK Hynix en 2020. Leur endurance DWPD est meilleure (0,6). Ils ne s’interfacent qu’en PCIe 4.0 avec la machine hôte, soit à un maximum de 7,5 Go/s, que ce soit sur un canal ou répartis sur deux. Cela dit, leur vitesse d’écriture n’est cette fois que deux fois inférieure.
Plus exactement, la puce contrôleur des D5-P5336 de Solidigm peut lire les données avec un débit maximal de 7,4 Go/s et les écrire au maximum en 3,2 Go/s. Les Pascari D205V de Phison écrivent aussi à la vitesse maximale de 3,2 Go/s, mais ils les lisent jusqu’en 14,7 Go/s, PCIe 5.0 oblige.
Les LC9 de Kioxia sont plus lents : jusqu’à 3 Go/s en écriture et seulement 12 Go/s en lecture. Kioxia ne s’explique pas sur cette faiblesse alors que le contrôleur est a priori le même que celui utilisé par Phison. Il est probable que le fabricant ait économisé quelque chose – sans doute de la RAM embarquée – pour que ses SSD puissent accueillir cette fameuse capacité record de 245,76 To.
Le SSD LC9 de Kioxia est celui qui atteint le meilleur score en écritures aléatoires, ce qui est cohérent avec un nombre plus important de puces NAND : il supporterait 50 000 IOPS, contre 35 000 IOPS sur le SSD de Phison et 25 000 IOPS sur celui de Solidigm.
En lectures aléatoires, en revanche, le champion est le SSD de Phison avec 3 millions d’IOPS, puis Kioxia avec 1,3 million d’IOPS et enfin Solidigm avec seulement 930 000 IOPS. Ces résultats sont à nuancer, car il a à plusieurs reprises été démontré qu’ils étaient biaisés par la relecture de données stockées en cache par un firmware suffisamment malin pour prédire les données les plus chaudes.
La présence d’une RAM dévolue au cache dans le modèle de Phison, mais pas dans celui de Kioxia, serait une explication. Quant au modèle de Solidigm, déjà ralenti par son bus PCIe 4.0, il a sans doute 33% moins de cache que celui de Phison.
Rappelons que les écritures sont particulièrement plus lentes sur les SSD QLC que les lectures, car le firmware doit calculer comment stocker un bit dans une cellule de quatre. Cela passe par la sauvegarde en RAM des bits précédents, l’effacement électrique de la cellule, puis l’écriture de leur mise à jour dans la même cellule, ou dans une autre cellule à laquelle le firmware attribue la même adresse logique. Tous ces traitements sont effectués dans une RAM du SSD qui ne sert pas de cache.
Des SSD deux fois plus capacitifs pour des baies deux fois moins denses ?
La clé du mystère des 245,76 To est sans doute à chercher dans le format des boîtiers. Kioxia est en effet le seul à promouvoir une taille « 2T » dans laquelle les boîtiers sont deux fois plus épais. Elle permettrait par exemple de superposer deux cartes de 122,88 To chacune, pour atteindre la fameuse capacité record. Cela est d’autant plus probable que les SSD que Kioxia propose avec cette double épaisseur ont une consommation électrique de 70 W, contre 40 W normalement.
Le format classique 2,5 pouces - 7 cm de large, 10 cm de large et une épaisseur qui varie entre 0,7 et 1,5 cm - est celui des SSD généralement installés en interne. Leur épaisseur n’est pas directement fonction de leur capacité, mais plutôt du volume à ménager en interne pour refroidir leurs puces, en plus ou moins grand nombre. Ces SSD sont dits « U.2 » pour préciser qu’ils sont compatibles avec une connexion NVMe et ainsi les différencier des SSD 2,5 pouces classiques qui se connectent en SATA dans les PC.
Les formats E3 correspondent à des SSD de 7,6 cm de large qui tiennent verticalement sur toute la hauteur de la façade d’une baie de stockage 2U. Le E3.S est profond de 11,28 cm et le E3.L de 14,22 cm, pour y mettre plus de puces de NAND ou de RAM. Ces largeur et longueur plus grandes permettent à un E3.S d’offrir la même capacité qu’un SSD 2,5 pouces malgré une épaisseur standardisée de 0,75 cm pour les formats E.3.
Dans le format E.3 « 2T » de Kioxia, l’épaisseur du SSD grimpe en revanche à 1,68 cm.
De fait, la capacité supplémentaire des SSD LC9 en 245,76 To serait à relativiser. Alors qu’il est possible d’installer 24 SSD verticalement en façade d’une baie de stockage haute de 2U, le nombre de SSD « 2T » possible descend à seulement 10 unités dans une telle machine. En clair, une baie 2U remplie de SSD de 122,88 To offrirait environ 2,9 Po de capacité brute (avant compression/déduplication), tandis qu’une baie remplie de SSD de 245,76 To stagnerait à 2,46 Po.
En fait, contrairement à l’argument de densité que Kioxia laisse entendre, l’avantage de ses SSD en 245,76 To serait ailleurs : ils consommeraient moins de canaux PCIe. Une seule machine pourrait ainsi contrôler plus de SSD, ce qui permettrait à l’utilisateur d’économiser de l’énergie. On considère en effet qu’une machine de 4U est moins énergivore que deux de 2U, puisque la première a deux fois moins d’électronique pour piloter ses SSD.