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Microsoft contraint de découpler Teams d’Office 365 : une victoire tardive pour la concurrence

Cinq ans après la plainte de Slack, la Commission européenne rend contraignants les engagements de Microsoft concernant le découplage de Teams des suites Office et Microsoft 365. Ses concurrents saluent un retour à une saine compétition, qui n’efface pas « des années de pertes de concurrence ».

Microsoft s’épargne les désagréments d’une amende salée. Le 12 septembre dernier, la Commission européenne a accepté ses engagements visant à « résoudre les problèmes de concurrence liés à Teams ». L’entreprise américaine risquait de payer 10 % de son chiffre d’affaires mondial.

Retour à la fin du mois de juillet 2023. La Commission ouvrait une enquête anticoncurrentielle « formelle ». Elle faisait suite à une plainte pour concurrence déloyale déposée par Slack en 2020 contre la firme de Redmond.

Ce concurrent, qui n’était pas encore sous le giron de Salesforce, reprochait à Microsoft ses pratiques commerciales. Le fait que Teams soit inclus dans les licences Office et Microsoft 365 – avec Word, Excel, PowerPoint, Outlook – représentait selon Slack un abus de position de dominante.

25 juin 2024, rebelote. La Commission ouvrait une deuxième enquête après une plainte déposée par l’éditeur allemand alfaview en 2023. Le même jour, elle faisait part de ses griefs à Microsoft. Son avis préliminaire statuait que « depuis avril 2019 au moins », le géant du cloud « abusait de sa position dominante sur le marché des applications de productivité SaaS à usage professionnel en [y] liant Teams ».

Microsoft n’avait pas attendu cet avis pour réagir. Un mois après le lancement de la première enquête, elle annonçait desserrer les liens entre Teams et Office 365 en UE et en Suisse. Elle proposait alors une version d’Office 365 sans Teams, à un prix inférieur. Teams devait être proposé seul, à cinq euros par mois.

Elle s’était engagée à davantage d’interopérabilité entre les applications de ses suites 365 avec les produits de ses concurrents, dont Zoom et Salesforce. Microsoft promettait également de permettre aux acteurs tiers d’embarquer les applications Web Office (Word, Excel, PowerPoint) dans leurs produits.

La Commission européenne avait considéré que « ces modifications n’étaient pas suffisantes pour répondre à ses préoccupations ».

Découplage de Teams : Microsoft contraint de respecter ses engagements

Dans une phase de négociation officielle, Microsoft a effectué plusieurs propositions supplémentaires. Elle définit des passerelles entre les versions groupées et standalone de Teams. L’entreprise propose aussi de déployer l’outil de collaboration dans la plupart de ses data centers. Elle laissera faire l’extraction de données de messagerie afin de les utiliser dans des services concurrents. Enfin, elle accepte l’intégration visible de solutions tierces dans ses outils de productivité.

Des engagements que la Commission a soumis aux acteurs du marché du 16 mai au 16 juin 2025. Les résultats de cette consultation ont poussé Microsoft à ajuster son offre. L’entreprise entend augmenter de 50 % la différence de prix entre certaines suites 365 sans Teams et celles avec Teams. Toute publicité d’une offre packagée contenant l’outil de collaboration devra présenter son équivalent sans Teams. Enfin, Microsoft doit publier des informations sur l’interopérabilité et la portabilité des données.

« Ces changements reflètent nos efforts continus pour favoriser l’innovation, tout en collaborant de manière constructive avec les organismes de réglementation », affirme Microsoft.

Le géant du cloud les appliquera à l’échelle mondiale à partir du 1er novembre 2025. Slack et alfaview ont retiré leur plainte après la fin des consultations.

En sus d’accepter les engagements de Microsoft, la Commission les rend juridiquement contraignants pendant sept ans. Les mesures en matière d’interopérabilité et de portabilité de données devront rester en vigueur dix ans. Un mandataire s’assurera de leur respect et jouera le rôle de médiateur en cas de litige. Le groupe américain bénéficiera alors d’une « procédure d’arbitrage accéléré ».

La CE place tout de même une épée de Damoclès au-dessus de la tête de Microsoft. « Si l’entreprise contrevenait à ces engagements, la Commission pourrait lui infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires annuel mondial, sans avoir à prouver l’existence d’une violation des règles de concurrence de l’Union, ou une astreinte de 5 % par jour de son chiffre d’affaires quotidien pour chaque jour de non-respect », indique-t-elle dans un communiqué de presse.

Un retour à une saine compétition…

« Nous félicitons la Commission européenne pour son leadership dans la promotion d’une concurrence loyale et la protection du choix des clients », affirme Cheree McAlpine, chief Legal officer chez Zoom, sur LinkedIn. « Les mesures prises par la Commission pour résoudre les problèmes de concurrence liés à Microsoft Teams ont abouti à des changements significatifs qui augmenteront le choix et profiteront aux clients dans toute l’Europe et au-delà ».

« La pratique anticoncurrentielle de Microsoft consistant à lier Teams a nui aux entreprises, privé les clients d’un choix équitable et entraîné de nombreuses années de perte de concurrence. »
Sabastian NilesPrésident et directeur légal de Salesforce

Un avis partagé par alfaview. La décision de la Commission « démontre clairement que le droit européen de la concurrence est capable de répondre efficacement aux nouveaux défis numériques », déclare Thomas Höppner, conseiller légal d’alfaview et partenaire chez Geradin Partners. « Pour alfaview, un changement de pratique a toujours été plus important qu’une amende ».

Salesforce et Tixeo se montrent plus critiques. « L’annonce par la Commission européenne d’un accord contraignant et exécutoire visant à résoudre la plainte de Slack envoie un message clair », écrit Sabastian Niles, président et directeur légal de Salesforce, en réponse d’une demande de commentaire au MagIT. « La pratique anticoncurrentielle de Microsoft consistant à lier Teams a nui aux entreprises, privé les clients d’un choix équitable et entraîné de nombreuses années de perte de concurrence ». 

« Cette pratique de vente liée (bundling) a renforcé une position dominante au détriment de la transparence, de l’interopérabilité et de la portabilité. »
Renaud GhiaPrésident, Tixeo

« Cette pratique de vente liée (bundling) a renforcé une position dominante au détriment de la transparence, de l’interopérabilité et de la portabilité », affirme pour sa part Renaud Ghia, président de Tixeo.

Tous deux voient dans la décision de la Commission une avancée, mais espèrent qu’elle restera vigilante à l’avenir. « Nous attendons avec impatience que la Commission contrôle et fasse respecter rigoureusement les engagements pris afin de garantir que Microsoft se conforme pleinement à ses obligations », souligne Sabastian Niles.

… ou est-ce déjà trop tard ?

En 2023, Amit Zavery, alors vice-président et directeur général de la plateforme chez Google Cloud, estimait que le découplage de Teams et d’Office 365 représentait un « très petit changement » arrivé trop tard. Contacté par LeMagIT, Google n’a pas souhaité commenter la décision de la Commission.

Deux ans après, certains partagent ce même sentiment en coulisse.

Il faut dire que Microsoft rapportait 19 millions d’utilisateurs actifs de Teams dans son bilan annuel de 2019. Dans le rapport 2022, l’entreprise revendiquait 270 millions d’utilisateurs actifs. À travers le document consacré à l’année fiscale 2024, le groupe évoque 3 millions de sièges payants de Teams Premium. En juin 2025, il revendiquait 320 millions d’usagers actifs.

À titre de comparaison, Zoom a aussi bénéficié des effets du confinement (de 10 millions à plus 300 millions d’utilisateurs actifs sur la même période). Toutefois, il ne dispose pas des mêmes leviers que Microsoft. Aujourd’hui, l’éditeur assume qu’il faut parfois vivre dans l’ombre du groupe cofondé par Bill Gates.

« Microsoft dispose d’une plateforme très solide. Nous essayons de ne pas entrer en concurrence avec eux », affirme Steve Rafferty, head of International chez Zoom. « Auprès des indépendants, des PME, des ETI, nous jouons parfaitement dans cet espace où nous pouvons facilement battre les plateformes concurrentes », poursuit-il. « Lorsque vous arrivez dans les grandes entreprises, vous devez connaître votre place. Il s’agit vraiment d’apporter de la valeur aux clients, nous intégrer dans leur écosystème ».

« Vous connaissez l’adage, personne n’a été licencié parce qu’il a choisi Microsoft », lance-t-il. « En revanche, nous pouvons compléter les solutions en place, résoudre les cas limites, qu’il s’agisse de l’adoption de l’IA ou la modernisation des centres de contact. Parfois, ces investissements s’étendent sur cinq ou dix ans. Et il y a eu trop de remplacements dans ce secteur pendant trop longtemps ».

 De son côté, Renaud Ghia de Tixeo appelle à ce que la décision de la Commission « s’accompagne d’un soutien accru aux solutions vraiment souveraines, capables de garantir aux organisations européennes une indépendance stratégique dans un domaine aussi critique que la collaboration numérique ».

Un train de changements tarifaires chez Microsoft

Pour les clients de Microsoft, les engagements s’ajoutent à une mauvaise nouvelle. L’entreprise a annoncé, le 12 août, mettre fin aux remises au volume pour ses services en ligne (Azure, Microsoft 365, Dynamics 365, etc.) accessibles à travers les contrats Enterprise Agreement, MPSA (Microsoft Products & Services Agreement) et OSPA (Online Services Premium Agreement, spécifique à la Chine). Ce changement de politique sera effectif au 1er novembre 2025, mais ne concerne pas les licences on-premise.

Pour les clients, cet alignement tarifaire avec les prix publics entrera en jeu au prochain renouvellement de contrat, ou s’ils achètent un service qui n’y est pas déjà listé.

Des exceptions temporaires existent. « Les clients de l’Espace économique européen ayant des contrats pluriannuels pourront passer des suites avec Teams aux suites correspondantes sans Teams lors de leur période de commande annuelle, pendant les cinq prochaines années », indique Microsoft. « Ces clients paieront alors le prix actuel des suites sans Teams, tout en conservant leur pourcentage de remise précédent pour la durée restante de leur contrat ».

De plus, « toute remise offerte par Microsoft aux clients de l’EEE sur les suites incluant Teams s’appliquera également aux suites sans Teams, au même taux de pourcentage ». Les analystes et les experts du secteur envisagent que ces modifications entraîneront une hausse de la facture pour les entreprises..

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