
Alice & Bob franchit un nouveau cap dans la résistance des qubits aux erreurs
Le Français Alice & Bob annonce avoir porté à plus d’une heure la durée de résistance aux erreurs de type bit-flip de ses « qubits de chat ». Un résultat inédit, qui dépasse largement son objectif fixé pour 2030 et qui consoliderait sa feuille de route vers un ordinateur quantique tolérant aux fautes.
Alice & Bob, une des pépites françaises de l’informatique quantique, affirme avoir établi un nouveau record de durée de vie face aux erreurs bit-flip. Ses « qubits de chat » (« cat qubits ») auraient résisté à ce type de défaillance jusqu’à une heure, soit une avancée considérable par rapport au précédent record interne de 430 secondes atteint en 2024 sur sa puce Boson 4.
Un jalon vers un ordinateur quantique tolérant aux fautes
Ce résultat dépasse de quatre fois l’exigence fixée dans la feuille de route de l’entreprise pour 2030 : garantir 13 minutes de résistance pour permettre la mise en service d’un premier ordinateur quantique tolérant aux fautes, doté de 100 qubits logiques, et destiné à des cas d’usage en science des matériaux.
« Pouvoir améliorer la stabilité de nos qubits “chat” année après année nous rend confiants dans notre capacité à tenir notre feuille de route », se félicite Raphaël Lescanne, directeur technique et cofondateur d’Alice & Bob. « Les durées de vie face aux erreurs de type bit-flip ne sont pas le seul indicateur qui compte, mais pour les qubits “chat”, elles sont fondamentales. La route est encore longue, mais nous progressons rapidement. »
L’expérience a été réalisée avec la nouvelle architecture « Galvanic Cat », déjà intégrée dans la puce Helium 2 à 12 qubits.
« Le circuit “chat galvanique” supprime exponentiellement les erreurs de bit-flip du qubit en réinjectant continuellement de l’énergie dans le qubit selon un mécanisme particulier (échange de paires de photons) », explique un porte-parole d’Alice & Bob au MagIT. « Plus la fréquence à laquelle on réinjecte de l’énergie est élevée, plus le qubit de chat est stabilisé efficacement et plus les bit-flips sont supprimés ».
« Le design “chat galvanique” est novateur en ce qu’il permet justement d’atteindre des fréquences d’injection de paires de photons très élevées », ajoute-t-il.
Des performances inédites
L’expérience a été réalisée en maintenant en moyenne 11 photons dans le qubit chat. Les mesures ont montré des durées de résistance aux erreurs bit-flip comprises entre 33 et 60 minutes (avec un intervalle de confiance de 95 %).
« En comparaison, les meilleurs qubits supraconducteurs concurrents ne tiennent face aux erreurs bit-flip que 25 millisecondes, des millions de fois moins longtemps que [nos] résultats », ajoute Alice & Bob.
Parallèlement, l’équipe a démontré que ces qubits restent opérationnels pour les calculs quantiques : ils peuvent exécuter une opération quantique appelée « porte Z » avec une précision de 94,2 % en seulement 26,5 nanosecondes. Cette capacité à maintenir des performances de calcul élevées est cruciale pour la correction d’erreurs quantiques.
Pour mémoire, la porte Z (ou Z-gate) est une opération quantique fondamentale. Elle « retourne la phase » du qubit : elle laisse l’état |0⟩ inchangé mais transforme l'état |1⟩ en -|1⟩.
Le bit-flip, un des grands défis de l’informatique quantique
Heureuse surprise, les qubits d’Alice & Bob résisteraient plus longtemps aux erreurs que la fréquence habituelle des impacts de rayons cosmiques. Cela suggère que ces qubits pourraient être naturellement protégés contre ce type de perturbation externe.
Autrement dit, non seulement les qubits testés résisteraient mieux aux erreurs internes, mais ils pourraient aussi être plus robustes face aux perturbations cosmiques naturelles externes.
En neutralisant quasiment l’un des deux grands types d’erreurs des calculateurs quantiques (l’autre étant le phase flip ou erreur de phase, cf. encart), les qubits « chat » ouvriraient en tout cas la voie à des codes correcteurs d’erreurs plus efficaces, nécessitant moins de ressources physiques.
Alice & Bob avance que cette approche pourrait réduire jusqu’à 200 fois le volume de matériel requis pour bâtir un ordinateur quantique universel… à condition que les performances se maintiennent lors des opérations multi-qubits.
Un acteur qui veut s’imposer face aux géants
Fondée en 2020 et installée à Paris et Boston, Alice & Bob revendique 130 millions d’euros levés et plus de 150 salariés.
L’entreprise met en avant des résultats expérimentaux qui surpasseraient ceux d’acteurs majeurs comme Google ou IBM. Et elle rappelle, non sans une certaine fierté, qu’Amazon a adopté sa technologie de qubits « chat ».
Selon Alice & Bob, la prochaine étape consistera à tester la robustesse des cat qubits dans des opérations à deux qubits (CNOT), condition indispensable pour confirmer la viabilité de l’approche à l’échelle industrielle. Alice & Bob ne précise pas la date prévue pour ces prochaines expérimentations. Mais les résultats seront certainement attendus avec une certaine impatience.
Bit-flip et Phase-flip : quelles différences ?
Dans un ordinateur quantique, il existe deux grands types d’erreurs qui peuvent corrompre l’information stockée dans les qubits.
Le bit-flip ressemble aux erreurs classiques : il change |0⟩ en |1⟩ ou inversement, comme si un bit se retournait par accident.
Le phase-flip est plus subtil et purement quantique : il ne change pas la valeur du qubit, mais il modifie sa « phase », une propriété invisible qui affecte les calculs quantiques. Il change la parité de la superposition de l’état 0 +1, qui devient 0−1.
L’innovation d’Alice & Bob consiste à créer des qubits « chat » qui résisteraient aux bit-flips pendant des dizaines de minutes, là où les qubits classiques succombent en quelques millisecondes.
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