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Informatique quantique : Alice & Bob et Inria font une percée dans la préparation d’états magiques

La startup française Alice & Bob et l’institut national de recherche Inria ont dévoilé une nouvelle architecture, dite du « code déplié », qui réduirait drastiquement le coût et la complexité de la préparation d’états magiques. Cette avancée pourrait rapprocher l’informatique quantique de ses premières applications pratiques.

L’informatique quantique promet d’exécuter certains algorithmes de manière plus efficace que les ordinateurs traditionnels. Mais pour passer de la théorie à la pratique, il reste encore à surmonter une série de verrous technologiques. L’un d’eux concerne la préparation d’« états magiques ». Ces états magiques sont des ressources quantiques spéciales nécessaires pour effectuer certaines opérations complexes qu’un ordinateur quantique ne peut pas réaliser directement – un peu comme des « outils spéciaux » indispensables pour certaines tâches.

Ils sont indispensables pour rendre une machine quantique véritablement universelle et capable d’exécuter n’importe quel algorithme, y compris ceux avec un avantage prouvé comme celui de Shor (cryptographie) ou de Grover (recherche dans des bases de données).

Problème : produire ces « états magiques » se révèle extrêmement coûteux en ressources matérielles et en temps de calcul.

Les chercheurs d’Alice & Bob et d’Inria se sont penchés sur ce défi. Et d’après eux, le fruit de leur travail proposerait la méthode la plus efficace publiée à ce jour pour y parvenir sur des architectures supraconductrices.

Le « code déplié », une nouvelle approche

Leur innovation s’appuie sur une technique baptisée le « code déplié », décrite dans l’article scientifique Unfolded distillation : very low-cost magic state preparation for biased-noise qubits, publié le 18 juillet sur arXiv.

Cette approche reprend des travaux antérieurs en correction d’erreurs, initialement conçus pour des architectures tridimensionnelles, mais elle les adapte à un schéma en deux dimensions, bien plus simple à mettre en œuvre.

Ce code, surnommé en interne le « Heart Code » en raison de sa forme, n’est rendu possible que grâce à l’utilisation de qubits spéciaux, dits « cat qubit », développés par Alice & Bob. Ces qubits présentent un biais naturel qui les protège de certaines erreurs, notamment les inversions de bits, et constituent ainsi un support qui serait particulièrement adapté pour cette nouvelle méthode. 

Des gains matériels et temporels sans précédent

L’efficacité annoncée serait notable. Là où les méthodes les plus avancées requièrent 463 qubits pour préparer un état magique, le code déplié permettrait d’y parvenir avec seulement 53 qubits, soit une réduction par un facteur de 8,7.

En parallèle, le nombre de cycles de correction d’erreurs serait divisé par cinq, rendant la préparation environ cinq fois plus rapide.

Malgré cette simplification, le taux d’erreur resterait inférieur à une chance sur un million.

 « Les acteurs les plus avancés du secteur ont multiplié les percées pour réduire le coût de la préparation des états magiques », souligne Diego Ruiz, doctorant chez Alice & Bob et Inria et auteur principal de l’article. « C’est très stimulant de voir comment notre travail continue de faire progresser les choses grâce aux qubits biaisés. »

Un pas vers l’ordinateur quantique universel tolérant aux fautes

La robustesse d’un ordinateur quantique repose sur sa capacité à corriger automatiquement les erreurs inhérentes aux systèmes quantiques. Alice & Bob a même fait de cette approche son axe stratégique en misant sur ses « qubits de chat ». Le code déplié constitue une brique supplémentaire dans cette feuille de route, censée rendre plus accessible la mise en place d’un ensemble universel d’opérations tolérantes aux fautes.

« Ce qui était encore récemment l’un des principaux obstacles à l’ordinateur quantique utile est en train d’être levé. »
Théau PeronninCofondateur et CEO d’Alice & Bob

Théau Peronnin, cofondateur et CEO d’Alice & Bob, insiste sur cette dimension stratégique. « Ce qui était encore récemment l’un des principaux obstacles à l’ordinateur quantique utile est en train d’être levé », avance-t-il. « Certains ont même déjà réussi à démontrer la préparation d’états magiques en conditions expérimentales. »

Un autre aspect mis en avant par Alice & Bob et Inria est l’absence de besoin en composants supplémentaires.

La nouvelle méthode repose intégralement sur des éléments déjà intégrés à l’architecture de correction d’erreurs de la startup. En théorie, cette simplification devrait permettre de concentrer les efforts de recherche et développement sur l’amélioration de la performance, sans dépendre d’innovations technologiques encore incertaines.

Un écosystème en forte dynamique

Cette annonce s’inscrit dans un contexte de concurrence intense autour du calcul quantique. Google avait présenté une méthode en deux dimensions pour réduire le coût de la distillation d’états magiques, un travail salué comme un jalon important. Alice & Bob et Inria affirment aller un cran plus loin avec leur code déplié, ouvrant la voie à des machines plus rapides et plus sobres en qubits.

La startup française multiplie d’ailleurs les annonces. Elle a récemment officialisé un partenariat avec NVIDIA autour de la plateforme CUDA-Q pour accélérer les simulations quantiques, autre étape indispensable à la conception de processeurs tolérants aux fautes.

Alice & Bob et Inria, acteurs complémentaires

Basée à Paris et Boston, Alice & Bob a levé 100 millions d’euros depuis sa création en 2020 et emploie désormais plus de 100 personnes. L’entreprise revendique des résultats expérimentaux supérieurs à ceux de géants comme Google ou IBM, et affirme que son architecture peut réduire jusqu’à 200 fois les besoins matériels des calculateurs quantiques concurrents.

De son côté, Inria rassemble plus de 3 800 scientifiques au sein de 220 équipes projet. L’institut joue un rôle moteur dans la recherche française en sciences et technologies du numérique et se positionne à l’interface entre recherche académique et innovation industrielle.

Une étape, mais pas encore une application concrète

Si l’étude est présentée comme une percée scientifique, elle reste pour l’heure au stade de la recherche. Elle a été soumise à évaluation par les pairs, condition indispensable pour valider la robustesse des résultats.

Le communiqué officiel des deux organisations ne précise d’ailleurs pas de calendrier sur une éventuelle expérimentation en conditions réelles ni sur l’intégration effective de cette méthode dans les futurs processeurs d’Alice & Bob.

Reste qu’en réduisant la complexité de la préparation d’états magiques, le code déplié pourrait constituer une étape déterminante vers l’ordinateur quantique universel, que la startup ambitionne de livrer à l’horizon 2030.

100 recrutements pour accélérer la feuille de route

Alice & Bob prévoit l’embauche de 100 collaborateurs d’ici mi 2026, soit presque un doublement de ses effectifs actuels (environ 150 personnes).

Près de 90 % des postes concerneront des profils scientifiques et techniques spécialisés en physique, correction d’erreurs quantiques, développement logiciel et firmware, ou encore machine learning.

« Nous créons un marché de l’emploi inédit, avec de nouveaux rôles, des équipes aux périmètres repensés et des modes de collaboration innovants » vante Valentine Zatti, vice-présidente des ressources humaines d’Alice & Bob.

Théau Peronnin, PDG et cofondateur, rappelle pour sa part que « construire un ordinateur quantique universel est l’un des défis scientifiques les plus complexes au monde », et que ce plan de recrutement doit permettre de soutenir la feuille de route de son entreprise.

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