
IA générative : TotalEnergies et Mistral AI précisent leur partenariat
Le salon Big Data & AI Paris a été l’occasion pour le Chief Data Officer de l’énergéticien d’évoquer les travaux en cours avec la startup française. Quelques mois après l’annonce, de premiers projets d’IA agentique entrent en développement.
Selon Michel Lutz, Chief Data Officer et directeur données et IA au sein de la Digital Factory de TotalEnergies, la société dirigée par Patrick Pouyanné vit une « double transformation ».
Il y a d’un côté la numérisation et l’adoption des techniques modernes de gestion de données. Une modernisation que le groupe pousse depuis plus de dix ans.
De l’autre, son activité connaît une transformation majeure. Le spécialiste des hydrocarbures n’abandonne pas les énergies fossiles. Toutefois, il développe une « stratégie ambitieuse » dans les domaines de l’électricité et des énergies renouvelables.
L’IA comme levier d’une « nouvelle phase d’accélération » technologique chez TotalEnergies
« L’IA est un levier très important pour accomplir ces deux objectifs », affirme Michel Lutz, lors d’une présentation au cours de Big Data & AI Paris 2025. « Nous utilisons l’IA et le numérique afin d’améliorer toutes nos activités industrielles : l’efficacité, la sécurité et la réduction des émissions de CO2. La maîtrise de la gestion et de l’IA sont d’ailleurs clés en matière d’énergies renouvelables ».
TotalEnergies a adopté les préceptes du Big Data et de la data science vers 2015. Il a vécu un passage à l’échelle aux environs de 2020. Cette date coïncide avec la sortie de terre (ou presque) de la « Digital Factory ». Elle rassemble environ 300 personnes. Le groupe revendique plus de 10 000 algorithmes de machine learning et d’IA en production. Ceux-là servent par exemple à détecter des risques pendant les opérations de forage, à optimiser en temps réel les émissions de CO2 des opérations de raffinage, ou encore propulsent des solutions de maintenance préventive à partir d’analyse de données de capteurs. Dans le monde des énergies renouvelables, les algorithmes aident à vérifier la qualité des batteries produites, à installer des fermes de panneaux solaires, à gérer le stockage de l’énergie ou encore à anticiper des ordres de ventes et d’achat sur le marché de l’électricité belge. La Digital Factory aurait elle-même développé plus de 100 solutions, dont 60 mobilisant du machine learning et de l’IA générative.
« Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle phase d’accélération en matière de numérisation de nos activités industrielles et énergies renouvelables », lance Michel Lutz.
C’est dans ce cadre que TotalEnergies noue des partenariats stratégiques. « Certains servent à exposer à l’échelle nos données », note-t-il. Le responsable mentionne là un accord avec Emerson pour déployer AspenTech, une plateforme logicielle de gestion d’actifs et d’analyse de données industrielles. Il évoque également l’adoption d’une solution de Cognite, un spécialiste du déploiement de projets d’IA industrielle à l’échelle.
Deux modes de développement autour de la GenAI
En matière d’IA générative, Michel Lutz présente deux grands modes de disponibilité : low-code/no-code et pro-code. « Pour les développeurs, nous avons mis en place le LLM Hub, qui leur permet d’accéder à plus de 30 modèles de langage, validés par notre équipe cyber et hébergés sur nos plateformes Azure et AWS », relate Michel Lutz. Ici, les développeurs peuvent utiliser indifféremment les LLM de Mistral AI, d’Anthropic, OpenAI et d’autres. Les équipes de TotalEnergies exploitent à la fois les API des fournisseurs cloud (très populaires auprès des développeurs) et déploient des « plug-ins » pour certains modèles.
Il y a principalement deux environnements low-code/no-code au sein du groupe. « Nous avons déployé massivement Microsoft Copilot auprès des collaborateurs en nous procurant 30 000 licences. Nous avons organisé un plan de formation auprès de 23 000 personnes », souligne le responsable. Pour mémoire, TotalEnergies compte plus de 100 000 collaborateurs. Un outil bien accueilli. Les métiers ayant accès au copilote ont observé des gains de productivité notables, dixit le responsable auprès du MagIT.
L’entreprise a également déployé TotalEnergies GPT pour des usages plus spécifiques. Ce chatbot est connecté au LLM Hub, ce qui permet d’appeler les modèles catalogués et d’utiliser des fonctions de RAG as a Service. « Nous avons aussi les outils sur étagère qui couvrent des besoins spécifiques, par exemple GitHub Copilot ou encore un outil d’analyse de contrats ».
Rappelons que TotalEnergies annonçait en juillet un partenariat avec Mistral AI. L’accord prévoyait la création d’un laboratoire d’innovation commun aux deux entreprises.
Il rassemble des data scientists de TotalEnergies, ainsi que des ingénieurs appliqués et des architectes solutions côté Mistral AI.
Le rapprochement avec Mistral vise deux objectifs principaux. Premièrement, il s’agit d’utiliser Le Chat (le pendant de ChatGPT chez Mistral AI) et l’AI Studio pour créer en low-code/no-code des agents IA spécifiques.
Mathilde Lavacquery, architecte solution chez Mistral AI, précise que l’AI Studio inclut également des outils pour les développeurs. « Nous avons beaucoup de moyens pour créer des agents IA, des flux de travail, de l’évaluation, mais aussi la personnalisation de modèles. Cela va du fine-tuning au coentraînement sur des données très spécifiques », déclare-t-elle.
Deuxièmement, le laboratoire d’innovation doit développer des cas d’usage complexes, résume Michel Lutz.
Justement, ces projets plus techniques concernent le fine-tuning des modèles de Mistral AI sur des données de TotalEnergies, le développement de flux de travail agentiques et multimodaux, l’intégration de ces systèmes d’IA aux SI industriels existants. L’adoption d’une alternative souveraine à AWS et à Azure pour les cas d’usage sensibles ou critiques est envisagée à plus long terme. « Nous avons la fierté de contribuer à un écosystème technologique européen. C’est important pour nous », affirme Michel Lutz.
Le travail des équipes communes de TotalEnergies et Mistral AI a commencé par la recherche de potentiels cas d’usage. « Ensuite, nous élaguons progressivement : nous menons de petits tests. S’ils sont concluants, nous commençons à prototyper pour enfin développer », précise le CDO.
« Nous développons les pilotes en mode Agile. Nous faisons beaucoup de tests utilisateurs et nous mettons en place de frameworks d’évaluation pour dérisquer au maximum les projets », ajoute Mathilde Lavacquery. « Nous mettons dans la boucle d’évaluation des LLM-as-a-Judge et des experts métiers qui nous permettent de créer des jeux de données quantitatifs ».
TotalEnergies et Mistral AI détaillent leurs projets communs
L’un des cas évoqués lors de l’annonce du partenariat consiste en la délivrance de chatbots pour les 1000 chercheurs au sein de la R&D de TotalEnergies. « Nous développons des assistants pour de l’aide à la créativité et la rédaction de documentation », note le Chief Data Officer.
« Dans ce contexte, nous mettons en place notre produit Le Chat qui inclut un certain nombre d’outils (RAG-as-a Service, serveurs MCP), ainsi que des moyens de définir le ton et les garde-fous », indique Mathilde Lavacquery de Mistral AI.
D’autres assistants IA sont développés pour les ingénieurs et les métiers des activités industrielles et métiers du groupe. L’un d’entre eux vise d’abord à rapprocher des informations issues de bases de données différentes (ERP SAP, rapports techniques, etc.). Celles-ci alimentent un modèle de raisonnement devant suivre un processus « complexe ».
« Il s’agit de s’intégrer dans un système opérationnel et des bases de connaissances techniques afin d’effectuer en temps réel des analyses et des rapports d’inspection, de maintenance, d’analyse de la cause profonde d’un problème en fonction de toutes les données historiques à notre disposition », détaille Mathilde Lavacquery.
Ces analyses sont exécutées à l’aide d’outils. Le LLM appelle des librairies Pandas ou déclenche des requêtes SQL à partir d’un message en langage naturel.
Cela concerne également le support client. « Nous souhaitons accélérer l’accès à certaines données par nos opérateurs et par nos clients », indique Michel Lutz. Et Mathilde Lavacquery d’évoquer un pilote d’un agent IA pour le service client capable de répondre textuellement et vocalement.
Enfin, TotalEnergies travaille avec Mistral AI sur un projet lié à la science de la Terre. « Nous avons de très grandes bases de connaissances dédiées à la géoscience. Nous sommes en train d’y appliquer des processus OCR et des mécanismes RAG », relate Michel Lutz.
Préparer les premiers déploiements en production
Voilà pour les cas d’usage les plus avancés, « en cours de développement ». Certains travaux sont plus prospectifs, en « cours de définition ». Ils concernent l’étude de l’expansion d’actifs de production d’énergies renouvelables, la formation des forces de ventes, ou encore l’analyse des données financières. « Ce n’est pas exhaustif. Nous avons constamment de nouvelles idées », assure le CDO.
« La dernière phase consistera en la mise en production et à l’industrialisation. Nous superviserons en continu les cas d’usage en production », anticipe Mathilde Lavacquery.
Les projets sont installés dans un environnement « complètement isolé ». Celui-ci inclut les données, leur traitement et l’inférence. Les deux intervenants n’ont pas précisé si cette instance privée réside sur un cloud américain ou non.
« Ce ne sont pas des choses déployées en production. Les données sont pour l’instant banalisées », renseigne Michel Lutz. « L’objectif de l’Innovation Labs, c’est de préparer les conditions de déploiement. Cette démarche est suivie de près par les équipes Cyber et de conformité pour s’assurer que nous respectons les standards de l’entreprise en la matière ».