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Gartner prévoit un retour en force de l’esprit critique face à l’IA générative
Pour le cabinet de conseils IT, les entreprises vont amorcer un rééquilibrage. Face à la prolifération des usages de l’IA générative, l’esprit critique va rapidement redevenir une compétence stratégique, pour contrer les défauts de la technologie.
« Une atrophie d’esprit critique ». C’est avec cette formule frappante que l’analyste Daryl Plummer, chief of AI Research chez Gartner, a averti son public lors du Gartner IT Symposium/Xpo qui s’est tenu à Orlando du 20 au 23 octobre.
« Les risques et les opportunités du changement technologique affectent de plus en plus les comportements humains et leurs choix », a-t-il expliqué.
Autrement dit, nous assisterions à une érosion du jugement humain.
La remise par Deloitte d’un rapport à un demi-million de dollars australiens, écrit avec l’aide d’une IA qui avait « halluciné » et qui n’a pas été relu, en est un exemple déjà emblématique.
La tendance serait de « croire » l’IA. Et de remplacer massivement des travailleurs du savoir par des LLMs. Ce qui, de facto, créerait une dépendance « cognitive » à l’IA.
Or Gartner anticipe un dilemme. Et le cabinet de conseils prédit un tournant majeur dans les pratiques de recrutement.
Le paradoxe : tester l’IA et tester sans IA
Le dilemme tient au fait que d’un côté, 75 % des processus de recrutement devraient inclure des certifications et tests de compétences IA d’ici 2027. Les candidats devront prouver leur maîtrise des outils génératifs.
De l’autre, 50 % des organisations mondiales exigeront des évaluations « sans IA » dès 2026.
Cette contradiction illustre en réalité une prise de conscience : l’IA devient indispensable, mais l’autonomie cognitive l’est tout autant.
« L’IA vole vos compétences, et cela se produit plus vite qu’on ne l’imagine », lance, provocateur, Daryl Plummer, lors d’une keynote où il évoque le métier de développeur particulièrement exposé – positivement et négativement – à l’IA. « Si vous n’utilisez pas vos compétences en programmation chaque jour, vous les perdez chaque jour », rapportent nos collègues Lindsey Wilkinson et Makenzie Holland de CIO Dive (une publication du groupe Informa TechTarget, également propriétaire du MagIT).
« Vous devez décider ce que vous ne voulez pas laisser partir, ce pour quoi vous vous battrez pour le conserver en interne. Parce que si vous n’y prêtez pas attention, vous serez pris par surprise par l’atrophie de vos compétences. »
Il y a une « tension naturelle croissante », note l’analyste, entre vouloir que les équipes accomplissent des tâches avec l’IA tout en attendant d’elles qu’elles sachent également s’en passer.
Des tests « AI-free » dans les secteurs critiques
Des évaluations « sans IA » viseront donc rapidement à identifier les candidats capables de résoudre un problème ou d’analyser une situation sans l’assistance d’un LLM.
Elles seront particulièrement cruciales pour les emplois où la capture, la rétention et la synthèse d’information constituent des composantes majeures au quotidien.
Cette exigence de « raisonnement humain autonome » devrait particulièrement s’imposer dans les secteurs à forte responsabilité – comme la finance, la santé, ou le droit – où l’absence de qualité du jugement reste un facteur de risque critique.
D’autant que Gartner prévoit plus de 2 000 réclamations juridiques liées à des morts causés par l’IA d’ici fin 2026, en raison de garde-fous insuffisants dans les modèles.
Vers un marché des compétences « AI-free »
Cette évolution, si elle se concrétise, devrait avoir des conséquences économiques importantes.
Un marché des tests et certifications « AI-free » devrait émerger, avec des plateformes capables de mesurer la logique et la capacité d’évaluation d’un candidat.
Gartner prévoit par ailleurs une hausse du coût d’acquisition de ces talents qui deviendront plus rares à mesure que les générations les plus jeunes s’habituent à s’appuyer sur l’IA – voire à confier à l’IA la production ou la décision – prévient Daryl Plummer.
Un tournant culturel dans un contexte de bouleversement
Cette alerte sur la perte de discernement intervient dans un environnement où l’usage de l’IA, déjà massif, tendrait à lisser la pensée, mais où il provoque aussi de profonds changements, positifs.
Gartner prédit par exemple que l’IA générative et les agents IA provoqueront la première grande révolution dans les outils de productivité depuis trente ans. Avec à la clef, un bouleversement du marché à 58 milliards $. « Nous utilisons la technologie de 1995, et nous allons devoir en changer », lance Daryl Plummer.
L’IA générative pose donc des défis nombreux et variés aux DSI.
Pas simple. Mais pour les relever, Gartner recommande d’accorder autant d’attention aux comportements qu’aux technologies pour que l’ère de l’automatisation totale devienne celle de la « lucidité assistée ». Vœu pieux ?
