IA génératives : promesses tenues et prévisions déçues de 2024
Début 2024, les analystes s’attendaient à ce que l’année soit celle de la régulation, des modèles open source et de la multimodalité. Avec, déjà, un fort impact sur l’emploi. Une partie de ces prévisions se sont confirmées, mais pas toutes.
En 2023, l’Intelligence artificielle générative (GenAI) avait fait une entrée fracassante dans les entreprises et dans les discussions du grand public. En 2024, les LLMs (grands modèles de langage) ont rapidement évolué, et les usages ont gagné en maturité. Mais toutes les prévisions des analystes ne se sont pas forcément réalisées. Bilan de ce qui s’est réellement passé cette année.
1 - IA responsable et régulation
Prévisions
En début d’année, on prévoyait une évolution plutôt lente de la régulation sur les systèmes d’IA, qui suivrait le rythme habituel des législations IT. Malgré la directive (executive order) signée par le président Joe Biden en novembre 2023 sur la sécurité de l’IA et l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’IA (AI Act) en 2024, peu s’attendaient à des avancées majeures.
Réalité
Ces prédictions se sont avérées relativement correctes, estime Michael Bennett, conseiller en politiques de l’IA à l’Université Northeastern.
Aucune avancée significative au niveau fédéral aux Etats-Unis n’a été enregistrée. Et l’effet non contraignant de la directive Biden en limiterait l’impact, ajoute Kashyap Kompella, analyste chez RPA2AI.
Cependant, cette régulation a tout de même entraîné quelques changements, comme l’obligation pour chaque agence fédérale de nommer un responsable IA.
Par ailleurs, plusieurs affaires autour des droits d’auteur des données utilisés par les modèles d’IA pour leurs entrainements - comme celle qui oppose le New York Time à OpenAI – n’ont pas trouvé de solutions pérennes en 2024. Ces litiges ont néanmoins poussé certains acteurs, comme OpenAI, à signer des accords avec des éditeurs pour utiliser leurs contenus.
Des entreprises comme Adobe ont aussi commencé à rémunérer les artistes.
Enfin, l’IA Act a poussé certains géants de l’IT à ne pas sortir leurs outils en Europe (comme Apple ou même Meta)
Perspectives pour 2025
L'élection de Donald Trump pourrait encore ralentir la régulation fédérale sur l'IA, et plutôt laisser place à des initiatives locales et étatiques. Michael Bennett anticipe que « les États, voire des villes, testeront probablement de nouvelles régulations, notamment dans des domaines comme l’emploi ou la police ».
2 - Open source et multimodalité
Prévisions
On s'attendait à voir éclore des modèles multimodaux, capables de traiter en entrée du texte, des images, ou de la voix, et de générer en sortie du contenu sous plusieurs formes comme des vidéos ou de l’audio.
L’essor des modèles open source, déjà amorcé par Meta (Llama), devait également s’accélérer.
Réalité
Les modèles ont effectivement progressé, que ce soit en termes de précision, de fiabilité et de capacité à gérer des tâches complexes, note AJ Sunder, responsable produit chez Responsive.
Mais les avancées dans la multimodalité n’ont pas été aussi rapide qu’espéré. « Nous n’avons pas encore de système de niveau professionnel capable de traiter différents types de données de manière fluide, comme créer un court-métrage à partir de données éparses », illustre Michael Bennett.
Côté open source, l’enthousiasme s'est aussi révélé plus modéré. Des modèles semi-ouverts comme Llama (dont le jeu de données reste fermé) ont néanmoins prospéré. Et le Français Mistral a misé sur des modèles ouverts pour se faire une place sur le marché (ce qu’il a réussi à faire).
Plus globalement, le succès d’une plateforme comme Hugginface – qui héberge des modèles open source - traduit bien une tendance de fonds sur le long teme. Une tendance confirmée par la stratégie de la majeure partie des éditeurs, en particulier français, qui s’appuient sur l’open source pour infuser leurs propres solutions.
3 - Créer de la valeur avec l’IA générative
Prévisions
2024 devait marquer le passage de l’expérimentation à l’industrialisation de l’IA générative en entreprise, avec des retours sur investissement (ROI) mesurables.
Réalité
Malgré une adoption accrue, le ROI reste largement questionné. Pour AJ Sunder, les entreprises continuent d’expérimenter - tout en gardant une supervision humaine. « Les promesses de productivité ou de transformation ne se sont pas encore été réalisées, » résume-t-il.
Les gains de productivité sont néanmoins déjà réels dans des domaines comme le marketing ou le développement logiciel, mais l’impact global sur les processus métiers reste limité, confirme Mark Greene, vice-président de UiPath, un des grands spécialistes de la RPA (domaine avec lequel la GenAI promet de nombreuses synergies dans l’automatisation et l’IA agentique).
4 - Impact sur l’emploi
Prévisions
Beaucoup craignaient des suppressions massives d’emplois, en particulier, et pour la première fois, dans des secteurs créatifs et des travailleurs du savoir (journalisme, design, arts).
Réalité
L’IA générative a déjà modifié certaines professions, mais sans entraîner de licenciements massifs. Par exemple, les développeurs utilisent désormais des assistants IA, mais conservent leurs postes… Pour l’instant diront certains.
Car l’IA remplace peu à peu des emplois où la main-d'œuvre vient à manquer, comme dans la logistique, le service client ou la création de contenu. « Que les IA fassent de plus en plus ce que font les humains est un juste fait. Les personnes qui sauront exploiter l’IA de manière efficace deviendront les plus précieuses [pour les employeurs] » prévient Daryl Plummer, analyste chez Gartner.
Conclusion
2024 a confirmé que l’IA générative progressait à un rythme impressionnant, mais les défis en termes de régulation, d'adoption et d'impact sociétal restent nombreux.
Les années à venir détermineront si ces technologies parviendront à transformer durablement les entreprises et les modes de travail. Ou si le soufflet retombera, avec des évolutions plus modérées et contraintes par des problématiques comme l’empreinte énergétique et écologique qui devraient pousser (2025 le confirmera-t-il ?) vers des modèles plus frugaux, plus petits, plus spécialisés, et vers des mélanges d’IA.