soleg - stock.adobe.com
IA agentique : trop d'outils, pas assez de compétences, alerte Gartner
Selon Gartner, il existe déjà plus d’outils d'IA agentique que le marché n’en a besoin. De leur côté, les équipes IT doivent passer par une phase d’apprentissage pour les exploiter efficacement.
D’après les experts, le nombre écrasant d’outils infusés à l’IA générative, qui – en réalité – exigent de nouvelles compétences, paralyse les décisions d’achat. Le secteur devrait se préparer à une correction imminente.
Le concept selon lequel une surcharge d’outils entraîne des frictions et des ralentissements dans les achats est connu. Il est décrit dans un ouvrage publié en 2004 intitulé Le paradoxe du choix : comment la culture de l’abondance éloigne du bonheur, du psychologue Barry Schwartz. Le livre soutient que le fait d’avoir trop d’options augmente l’anxiété des consommateurs.
« Ces choses changent… toutes les 48 heures, semble-t-il, et essayer de suivre le rythme est donc un gros problème pour l’ensemble du secteur », a lancé Tyler Jacobsen, directeur des opérations et de l’ingénierie cloud chez Adobe, lors d’une présentation liminaire à la HashiConf le 26 septembre. « Nous essayons de normaliser et d’adopter certains outils ou certaines capacités d’IA, et deux semaines plus tard, quelqu’un parle d’un nouveau standard ».
Agents IA : peu rentables pour les éditeurs, trop chers pour les clients
Les agents IA, qui dominent les annonces des éditeurs IT depuis l’année dernière, restent une priorité à long terme pour la plupart des DSI. Cependant, selon un rapport Gartner Tech FutureSight publié ce mois-ci, le marché est déjà saturé.
« L’offre actuelle de modèles, de plateformes et de produits d’IA agentique dépasse largement la demande. […] Les prévisions de croissance du secteur technologique pour les systèmes d’IA agentique de nouvelle génération ne sont pas viables », indique le document. « Alors que les investissements continuent de croître à un rythme exponentiel, cette technologie est confrontée à des obstacles importants à court terme ».
Parmi ces défis figure le décalage entre les tarifs pratiqués par les fournisseurs d’agents IA et ce que souhaitent les clients. D’un côté, le cabinet d’analystes qualifie les modèles économiques « d’opaques, d’imprévisibles et d’insuffisants pour couvrir les coûts des éditeurs ». De l’autre, les responsables en entreprise exigent « des tarifs simples, prévisibles et liés à la valeur commerciale ».
Le rapport ne précise pas le ratio entre fournisseurs et consommateurs. Toutefois, cet écart entre les prix, les revenus et les coûts est particulièrement problématique pour les outils d’IA agentique, selon Will Sommer, analyste chez Gartner et l’un des auteurs du rapport.
« Le critère déterminant ici n’est pas le nombre de consommateurs par rapport au nombre de fournisseurs. C’est le chiffre d’affaires que chaque éditeur peut générer auprès des consommateurs par rapport à ses coûts », écrit M. Sommer dans un e-mail adressé à Informa TechTarget [propriétaire du MagIT]. « Contrairement aux débuts du cloud computing, où les hyperscalers actuels pouvaient vendre leur capacité de calcul excédentaire aux consommateurs à des prix relativement abordables, les systèmes d’IA agentique nécessitent des investissements importants ». Cela implique de développer de nouvelles solutions et d’investir davantage dans les infrastructures de calcul.
L’évolution rapide du marché évoquée par Tyler Jacobsen d’Adobe pose également un problème aux éditeurs, poursuit l’analyste chez Gartner.
« Les entretiens menés par Gartner avec des fondateurs et des PDG de startups indiquent que la fenêtre d’opportunité pour bénéficier d’un avantage concurrentiel basé sur l’innovation technologique se réduit rapidement à quelques mois », écrit-il dans son e-mail. « La monétisation des nouvelles fonctionnalités d’IA agentique sera très difficile, car chaque innovation devient rapidement la norme. »
Néanmoins, les entreprises ne peuvent pas simplement rester en retrait dans ce contexte d’incertitude, met en garde le rapport Gartner.
« Évitez de réduire vos investissements dans l’IA agentique alors que les marchés s’adaptent à chaque nouvelle génération de technologie IA », recommande le document. « Les entreprises qui délaissent le développement de produits prendront du retard par rapport à leurs concurrents. »
Les paris précoces des responsables IT ont ouvert la voie aux agents IA
Pour Tyler Jacobsen d’Adobe, il faut trouver de la valeur au milieu du bruit autour de l’IA. Cela signifie dans son cas se concentrer sur des modèles et des principes généraux plutôt que sur des outils spécifiques.
« Dans l’immédiat, nous cherchons à intégrer le protocole MCP (Model Context Protocol) à l’ensemble de nos services afin que les personnes qui ne connaissent pas le code ou les aspects techniques de nos différentes technologies puissent communiquer avec ces services en langage naturel », a-t-il déclaré lors de la présentation liminaire de la HashiConf. « Il s’agit de standardiser les modèles d’utilisation plutôt que les outils eux-mêmes ».
Pour un autre décideur informatique, la préparation à l’arrivée des agents IA implique de donner la priorité aux fonctionnalités qui permettent de modifier les flux de travail existants.
Hireology, l’éditeur américain d’une plateforme logicielle de recrutement, évalue plusieurs outils agentiques, dont GitHub Copilot, Claude Code, le futur agent Vega de LaunchDarkly et les solutions de Datadog. Il a finalement fait le choix de LaunchDarkly contre Datadog. L’éditeur utilisait déjà Highlight, une plateforme acquise par LaunchDarkly en 2020. Depuis, elle a été intégrée à la fonctionnalité Guarded Releases. Celle-ci permet d’effectuer des rollbacks instantanés en cas de couacs dans le code d’une mise à jour d’une application. Un choix que Scott Gainous, vice-président de l’ingénierie chez Hireology, justifie à l’aune de la génération de code par l’IA.
« Ce qui m’intéresse vraiment, c’est de savoir si le [produit], qu’il utilise ou non l’IA, m’aide à résoudre les problèmes auxquels je suis confronté », affirme M. Gainous dans une interview accordée à Informa TechTarget. « Comment pouvez-vous m’aider à accélérer la mise sur le marché ? À restaurer les systèmes plus rapidement ? ».
« Je ne suis pas vraiment intéressé par l’achat de modules complémentaires d’IA », poursuit-il. « Pour moi, c’est une mode passagère ».
Un outil piloté par un agent, AI Configs de LaunchDarkly, a également aidé à arrondir les angles lors du développement d’applications GenAI chez Hireology. « L’une des difficultés que j’ai rencontrées lors de la mise en œuvre de l’IA est l’association des prompts et des modèles », explique Scott Gainous. « Dans le code, on peut avoir des fichiers texte ou du contenu codé en dur pour définir les prompts et les données. Cet outil permet, comme avec un feature flag, de changer dynamiquement entre différents modèles et prompts […] ».
Tenir compte de la courbe d’apprentissage
Outre le prix, un autre fossé sépare les éditeurs et les acheteurs : un déficit croissant des compétences. Les fournisseurs vantent souvent les mérites des agents IA pour pallier le manque de main-d’œuvre qualifiée. Or, les outils IA exigent que les employés apprennent à les déployer et à les utiliser efficacement. Ce qui complique encore davantage leur adoption.
« Alors que de nombreuses entreprises expérimentent l’IA agentique (et que certaines l’ont même mise en œuvre avec succès), la plupart des entreprises manquent de talents et de données pour mettre en œuvre efficacement des solutions d’IA et obtenir de meilleurs résultats commerciaux », selon le rapport Gartner. « Gartner prévoit que d’ici 2028, plus de 40 % des projets d’IA agentique seront annulés en raison de l’escalade des coûts, d’une valeur commerciale peu claire ou de contrôles des risques inadéquats. »
Les personnes interrogées dans le cadre d’une enquête menée entre mars et avril 2025 par Enterprise Strategy Group [filiale d’Omdia, propriété d’Informa TechTarget] ont également fait part de leurs préoccupations concernant le manque croissant de compétences. Sur les 350 personnes interrogées, 33 % ont déclaré percevoir des lacunes dans la conception de systèmes permettant aux humains et aux agents IA de travailler ensemble efficacement. Une autre réponse fréquente, citée par 32 % des personnes interrogées, était le manque d’expertise de leur organisation en matière d’IA et de machine learning.
Selon le rapport d’Omdia, ces lacunes créent des opportunités pour les éditeurs.
« La plupart des organisations pourraient trouver qu’il n’est pas facile à court terme de combler ces lacunes en matière de compétences par le recrutement. Une concurrence acharnée règne actuellement pour attirer les talents », indique le rapport. « Les dirigeants devraient se tourner vers les technologies pour trouver de l’aide, en déterminant rapidement si les agents IA [outils] peuvent contribuer à combler ces lacunes grâce à des processus automatisés ou à une expertise en matière de low-code/no-code. »
Mais il existe également des communautés de plus en plus nombreuses qui proposent des outils et des formations gratuites et open source visant à favoriser la collaboration entre l’homme et l’IA dans la conception d’applications. Par exemple, Brian Madison a créé la méthode BMAD (Breakthrough Method of Agile AI-Driven Development). La méthode BMAD implique l’exploitation de deux templates d’agents IA servant à générer des documents d’architecture et de planification de développement de projets applicatifs. Des vidéos de formation sur YouTube et une chaîne Discord complètent le projet open source. Scott Gainous, de Hireology, s’est tourné vers la méthode BMAD pour obtenir des conseils sur l’utilisation des agents IA dans le développement de logiciels.
« Vous pouvez utiliser [BMAD] avec des outils tels que Claude Desktop ou ChatGPT, ou vous pouvez l’utiliser dans des IDE [environnements de développement intégrés] tels que Cursor et Claude Code », liste-t-il. « C’est un bon modèle pour cette étape de l’ingénierie et du développement de l’IA. Cela m’inspire également beaucoup pour intégrer l’IA dans notre produit ».
Les analystes prévoient une consolidation imminente du marché
Finalement, les analystes du secteur prévoient une forte attrition parmi les fournisseurs d’outils d’agents IA. Selon le rapport Gartner, les gagnants seront probablement ceux qui sont déjà grands, puissants et disposent de beaucoup d’argent à investir.
« Je pense que nous commencerons à voir une attrition au quatrième trimestre de cette année », prédit Chris Saunderson, analyste chez Gartner, dans un entretien séparé. Christ Saunderson ne fait pas partie des auteurs du rapport Gartner Tech FutureSight sur les agents IA.
« Du côté des startups, c’est assez simple : elles vont tout simplement manquer d’argent », lâche-t-il. « Les fournisseurs établis vont également passer par un cycle d’itération de leurs produits. La première version de leur produit sera peut-être remplacée par autre chose. Ils apprennent à la même vitesse [que le reste du marché] ».
Bradley Shimmin, analyste chez Futurum Group, a déclaré dans une interview ce mois-ci que les grands fournisseurs qui disposent déjà d’une importante base installée, en particulier ceux qui stockent déjà de grandes quantités de données d’entreprise, bénéficieront également de l’avantage de la gravité des données. L’ingénierie contextuelle devient de plus en plus importante pour utiliser efficacement les agents IA.
« Les produits infusés à l’IA des nouveaux acteurs ne remplacent pas les systèmes des éditeurs établis », considère Bradley Shimmin. « Loin de là ».
C’est pour cela qu’IBM s’est lancé ce mois-ci sur le marché déjà saturé des IDE agentique avec Project Bob, d’après Bradley Shimmin. Ce n’est pourtant pas sa spécialité.
« L’un des facteurs de différenciation de ce produit est la manière dont IBM gère l’ingénierie contextuelle », explique-t-il. « Si une entreprise a certaines normes en matière de documentation et de génération de code, Bob constituera un corpus de connaissances autour de ces normes… afin de l’adapter spécifiquement à l’entreprise. C’est la recette secrète qui fera son succès. »
Selon l’analyste, d’autres géants de la tech tels que Microsoft, Salesforce et AWS, pourront tirer parti des mêmes atouts.
En attendant que la situation concurrentielle se précise, l’agent IA autonome ne risque pas de s’imposer de sitôt, selon un autre rapport récent de Gartner. Parmi les 360 personnes interrogées dans le cadre d’une enquête menée par le cabinet d’analystes entre mai et juin 2025, seuls 15 % ont déclaré envisager, tester ou déployer actuellement des agents IA entièrement autonomes.
« Bien que la mise en œuvre à long terme des agents IA soit moins claire, la plupart des dirigeants ne s’attendent pas à ce qu’ils remplacent les applications ou les travailleurs au cours des deux à quatre prochaines années », selon une déclaration de Gartner publiée le 30 septembre. « Seuls 12 % sont tout à fait d’accord pour dire que les agents IA remplaceront les applications, et seulement 7 % affirment qu’ils remplaceront les travailleurs dans ce délai ».
