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Le numérique français : marché à deux vitesses, reprise espérée en 2026

Le secteur du numérique français a traversé une année 2025 compliquée, marquée par une croissance globale modeste et fragmentée. Le logiciel s’envole de +8,2 %, mais les activités de services subissent une contraction historique.

L’année 2025 s’est déroulée dans un climat d’instabilité (politique et géopolitique), qui a freiné les investissements dans l’économie globale. La performance du secteur numérique s’inscrit dans ce décor, dominé par trois angoisses stratégiques, résume Véronique Torner, la présidente de Numeum

La première est la conscience aiguë de la fragilité de la compétitivité européenne, entravée par la fragmentation entre États membres et un excès de réglementation – dixit le patronat français des éditeurs, ESN & ICT.

Une fracture entre l’édition de logiciels et les services

La seconde barrière pour les entreprises hexagonales est la transformation « fulgurante et profonde » engendrée par l’IA générative, qui bouscule tous les modèles économiques. Même si bien sûr, elles espèrent transformer la GenAI en générateur à revenus.

Enfin, troisième angoisse : une prise de conscience accrue des dépendances technologiques du continent, désormais perçues comme une menace dans un contexte de tensions géopolitiques.

Face à ces enjeux, Numeum se positionne en partisan du « jeu collectif » de la filière, à travers des initiatives comme « l’Équipe de France du Numérique » ou un engagement renforcé à Bruxelles. Cet impératif de souveraineté, bien que représentant encore un volume d’affaires modeste, devient un canal de revenus – et peut-être à l’avenir un réel moteur de croissance.

L’analyse du marché sur 2025 (71,2 milliards d’euros, +2 %) révèle aussi une fracture béante. D’un côté, l’édition de logiciels et les plateformes. Elle affiche une santé de fer avec une hausse en valeur de +8,2 % (29 milliards d’euros).

De l’autre, les services ont connu une contraction inédite : -1,8 % pour les ESN et -2,5 % pour le conseil en technologies (ICT). Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer cette déconvenue.

La réorientation des budgets des DSI est la principale cause de ce marché à deux vitesses. Bien que globalement en hausse (sous l’effet de l’inflation des prix notamment), ces budgets IT ont été profondément réalloués.

L’augmentation des dépenses en licences logicielles et en abonnements SaaS, tirée par des priorités en matière de cybersécurité et de plateformes de données, a été financée par une contraction des dépenses sur les grands projets d’intégration. La cybersécurité est au passage redevenue la préoccupation numéro un des DSI, devant la Data et l’IA.

Les ESN face à une année de contraction et d’adaptation

Ce recul, une première depuis la crise des subprimes de 2008 selon un porte-parole de Numeum, n’est pas un simple accident conjoncturel. La « pénurie » de compétences a longtemps été présentée comme le premier obstacle au développement de l’activité. À présent, c’est la perte de commandes qui est en cause. Les clients ont réduit le nombre et la taille des projets.

En outre, les DSI se focaliseraient quasi exclusivement sur l’optimisation des coûts, la recherche du meilleur prix et la massification des fournisseurs. Cette pression sur les prix accélère directement la bascule vers les modèles de livraison nearshore et offshore.

Le poids de ces activités est passé de 15,5 % à 18 % du chiffre d’affaires des ESN en seulement douze mois, un indicateur brutal de la manière dont les prestataires utilisent la production délocalisée pour protéger leurs marges dans un marché très préoccupé par les coûts.

L’impact est cependant inégalement réparti entre ESN. Les très petites ont souffert d’un accès réduit aux grands comptes en période de consolidation. Les grands acteurs, eux, ont peiné à reconfigurer rapidement leurs programmes de transformation. À l’inverse, les entreprises du mid-market (250 à 1000 salariés), plus agiles, se montrent les plus résilientes, et aussi plus confiantes sur les perspectives 2026.

Le logiciel tiré par le SaaS et l’IA

À l’inverse, le secteur de l’édition de logiciels s’affirme comme le pôle de dynamisme du marché français. Sa croissance de +8,2 % est portée par l’explosion continue du SaaS (+18 %) et du IaaS/PaaS (+12,9 %), compensant la décroissance structurelle de l’on-premise.

Le marché du SaaS atteint une nouvelle étape de maturité industrielle, juge Jean-Philippe Couturier, président du collège Éditeurs. À date, 82 % des éditeurs français disposent d’une offre SaaS. En outre, ce SaaS représente 77 % des nouveaux projets signés.

Parallèlement, l’IA générative serait devenue un levier de productivité majeur. En 2025, les éditeurs estiment ce gain moyen à 12,5 % pour leurs équipes techniques et tablent en 2026 sur une hausse de 17 %.

De quoi alimenter encore l’optimisme des éditeurs. Les prévisions anticipent une reprise pour l’ensemble du secteur, avec une croissance globale attendue à +4,3 %. La dichotomie entre conseil et édition persistera, mais elle devrait s’atténuer.

L’édition de logiciels devrait maintenir une croissance soutenue (au-dessus de 8 %), tandis que les services, fait notable, devraient renouer avec une croissance positive, quoique modeste, de +1,4 %. Pour le conseil en technologies, Numeum table sur +1 %.

Cette reprise attendue dans les services est soutenue par l’amélioration des indicateurs opérationnels (taux d’occupation, book-to-bill) remontée par les membres de l’organisation durant la fin du second semestre.

Elle serait surtout tirée par le redémarrage anticipé des investissements dans des secteurs majeurs comme l’industrie (+4,5 %) et la banque (+2,9 %). Ces deux secteurs représentant à eux seuls 45 % du marché en France.

Le grand défi de l’emploi et les compétences

Après une perte nette de 7 500 emplois en 2024, 2025 s’inscrit dans une tendance similaire. L’organisation patronale juge probable une nouvelle année de pertes d’emplois. Le chiffre exact ne sera connu qu’en juin prochain.

Pour autant, les besoins en compétences sont qualifiés d’immenses. Numeum met dès lors en garde contre un « discours dangereux » suggérant que l’IA détruira des emplois dans le numérique, en particulier chez les juniors.

Ce narratif, selon l’organisation et sa présidente Véronique Torner, risque de décourager les vocations et d’accroître encore la pénurie – un frein qui aurait bridé la croissance du secteur pendant des années.

Certes, l’IA générative automatise de nombreuses tâches traditionnellement confiées aux profils juniors. Numeum assure néanmoins qu’il ne s’agit pas de couper dans les effectifs une fois le marché reparti en confiant le travail à des IA.

L’organisation reconnaît que la filière doit repenser fondamentalement ses modèles d’intégration et de développement des jeunes talents. Et donc structurer son développement et la place des salariés sur le long terme.

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