Self-service BI : où placer le curseur ?

Pour tirer le plus de valeur de la Business Intelligence, il faut trouver un juste équilibre entre informatique décisionnelle centralisée et gouvernée d’une part, et usage en libre-service d’autre part. Pas toujours simple. Une spécialiste du cabinet de conseil Datasulting explique les différentes pistes possibles.

La BI, positionnée depuis plus de vingt ans comme une merveille technologique permettant de comprendre, analyser et booster la performance d’une activité, peine parfois à délivrer les résultats escomptés, laissant les dirigeants perplexes ou sceptiques, et pour cause.

La promesse de la BI

La promesse de la « business intelligence », littéralement « renseignement d’entreprise », est un service censé puiser dans toutes les sources de données pertinentes pour fournir des renseignements sur le fonctionnement d’une entreprise, depuis la vision synthétique bout-en-bout à l’analyse détaillée.

« Il s’agit de mettre entre les mains du métier un outil qui permette de répondre aux questions avec un minimum d’effort et de compétences IT. »
Salomé SERIEYSDatasulting

Que les données utilisées soient internes ou externes (par exemple l’open data), ce service doit être capable de les restituer de façon efficace, ergonomique et attrayante afin d’éclairer les dirigeants et aider à la prise de décision. C’est pourquoi on parle aussi de « système d’information décisionnel » ou « d’informatique décisionnelle ».

En résumé, il s’agit de mettre entre les mains du métier un outil permettant de répondre aux questions du business avec un minimum d’effort et de compétences informatiques.

Tout l’enjeu consiste à se mettre d’accord sur les ambitions et la répartition des tâches. Qui est censé fournir quel effort et posséder quelle compétence pour développer ou utiliser quel genre d’interface exactement ?

Si l’on s’accorde généralement à dire que l’interface en question est une suite de rapports plus ou moins interactifs, il y a débat sur les rôles et responsabilités de chacun pour obtenir ces rapports.

Du jardin à l’assiette

Pour prendre une analogie culinaire, la donnée peut être considérée comme la substance, qui, une fois préparée, va alimenter les décisions des dirigeants.

« Plus le consommateur final sera impliqué dans la préparation du résultat, plus ce résultat sera à son goût. Mais, tout le monde n’a pas vocation à jouer les jardiniers, et les chefs de cuisine. »
Salomé SERIEYSDatasulting

Du jardin à l’assiette, plusieurs étapes ont été nécessaires avant de pouvoir déguster un plat mijoté. Il a d’abord fallu semer des graines, s’assurer que ces graines poussent et s’assurer de leur qualité, en récolter les fruits et les légumes, isoler ce qui était comestible du reste, le laver, le cuisiner, puis le disposer sur l’assiette.

De la même façon, le développement d’une suite décisionnelle digeste se fait par étapes.

Ces étapes peuvent être entièrement déléguées à des spécialistes, ou au contraire impliquer les consommateurs finaux (décideurs) selon leurs compétences et appétences.

D’un point de vue systémique, il est évident que plus le consommateur final sera impliqué dans la préparation du résultat, plus ce résultat sera à son goût. Cependant, tout le monde n’a pas vocation à jouer les jardiniers, commis de cuisine et chefs gastronomiques avant de passer à table.

D’où l’importance de s’interroger sur « qui fait quoi ? ».

BI « totalitaire » ou BI « libérale » ?

À l’une des extrémités du spectre : la BI traditionnelle centralisée. Un pôle data qui se charge de tout pour le business. Depuis le recueil des besoins métiers, en passant par la modélisation conceptuelle de données, la validation des calculs d’indicateurs, le développement d’un entrepôt respectant toutes les bonnes pratiques d’alimentation et de stockage (staging, datawarehouse, datamart), jusqu’à la restitution sous forme de rapports et tableaux de bord que le métier n’a plus qu’à valider et utiliser. La totale.

Ce mode opératoire a fait ses preuves, mais n’est pas sans présenter quelques écueils :

  1. Coût : D’abord cela nécessite un département data lourd en ressources. En effet, prendre en charge toute la chaîne de la data depuis l’alimentation jusqu’à la restitution requiert une diversité de profils et de compétences (des architectes, data engineers, business analystes, testeurs, administrateurs BI, data steward, etc.).
  2. Temps : D’autre part, le temps qui s’écoule entre le démarrage d’un projet et l’aboutissement à un rapport utilisable par les utilisateurs est long.
  3. Décalage : Enfin, la séparation entre la technique et le métier peut engendrer des écarts dans la définition du fini (« Definition of Done », DoD, en anglais) et des frustrations de part et d’autre.

Résultat : Des projets coûteux, aux résultats parfois décalés par rapport aux attentes, et un business qui s’impatiente et cherche des solutions parallèles pour servir ses besoins data.

À l’autre extrémité se trouve la self-service BI dans sa forme la plus libérale, qui s’articule soit autour d’un datalake – où toutes les données sont présentes, mais pas nécessairement structurées, sans relations préétablies – soit autour d’un libre accès aux données. Le(s) responsable(s) data se contente(nt) d’alimenter le datalake et/ou de mettre les données à disposition.

Photo de l'auteur Salomé SERIEYS
Salomé SERIEYS, Consultante Data

Autonomie maximale des utilisateurs qui sont libres d’aller explorer la donnée, la modéliser, l’analyser et la présenter. Ce dispositif est cependant plutôt conçu pour des utilisateurs qui savent manipuler la data et connaissent les impacts du fait d’interroger directement des systèmes sources, typiquement des data scientists qui ont besoin de l’intégralité des données disponibles pour construire leurs modèles.

Répliquer ce mode de fonctionnement en donnant une autonomie complète aux utilisateurs métier pose un problème majeur de gouvernance. En effet, la BI doit non seulement permettre de répondre efficacement aux questions du business en quelques clics, mais également fournir, à différents utilisateurs, des réponses identiques aux mêmes questions.

L’objectif ultime est d’aligner tous les acteurs d’une activité sur une compréhension commune de sa performance. La fameuse « unique source de vérité ».

Cela nécessite une maîtrise des outils de BI ainsi que des arbitrages dans la sélection, la terminologie et la définition des indicateurs ainsi que leur périmètre de calcul. De même, il ne s’agit pas que chacun ait son propre rapport, mais de mutualiser les efforts pour développer des rapports qui servent à tous.

Des modèles hybrides qui garantissent autonomie et gouvernance

La self-service BI, oui, mais dans un souci de cohérence et d’alignement ! Tout le défi consiste donc à bien placer le curseur entre autonomie et contrôle, afin de garantir une suite décisionnelle de qualité, qui inspire confiance, qui soit adoptée par le plus grand nombre, mais qui permette également des analyses ad hoc et d’évoluer rapidement si nécessaire.

« Trop d’autonomie et les rapports se multiplient sans en assurer la validité et la cohérence. Peu ou pas d’autonomie, et le business développe des solutions alternatives. »
Salomé SERIEYSDatasulting

Dans tous les cas se pose un souci de gouvernance. Trop d’autonomie et les rapports se multiplient sans personne pour assurer la validité des uns et des autres ou la cohérence des rapports entre eux. Peu ou pas d’autonomie, et le business développe des solutions alternatives pour répondre à ses besoins, indépendamment du pôle data qui ne fait donc plus figure de référence.

Une approche consiste à développer, en parallèle, un environnement certifié et un environnement expérimental, chantier, ou « bac à sable ».

L’environnement certifié « verrouillé » par le pôle data contient des objets (tables, jeux de données, rapports) au nombre limité pour commencer, mais qui ont été soumis à des tests et validations stricts. Le business peut donc s’appuyer sur les rapports qui en découlent en toute confiance.

Et si des indicateurs ou angles d’analyse manquent, l’environnement bac à sable donne accès à plus de données. Les utilisateurs métier peuvent soit y réaliser des analyses ad hoc, soit y développer de nouveaux modèles pour intégrer ces données. Si l’exercice le mérite, la logique est formalisée, validée et répliquée dans l’environnement certifié.

Une autre démarche est de fonctionner en mode agile, en constituant des équipes (squads) mêlant experts data et utilisateurs métier. Le but est, d’une part, de développer et de livrer sur des temps plus courts, par itération, et, d’autre part, de prioriser conjointement avec le business. Cela permet notamment d’assurer une création de valeur réelle et rapide et d’enrayer les développements parallèles clandestins du métier qui est directement impliqué dans la priorisation et la réalisation des projets.

Cette méthode est particulièrement adaptée pour une entreprise qui souhaite se faire accompagner par un partenaire data externe, qui a besoin de référents métier pour la compréhension opérationnelle de l’activité.

En outre, le modèle adopté n’est pas figé et peut évoluer au fil du temps, à mesure que les utilisateurs gagnent en maturité dans le domaine.

Conclusion

Il n’existe pas de modèle unique qui garantisse le succès des initiatives en matière de Business Intelligence. Et la self-service BI ne fait pas exception. Cependant il est certain qu’un compromis entre autonomie et gouvernance est indispensable :

  • Un degré raisonnable d’autonomie du métier pour embarquer le plus grand nombre de collaborateurs dans l’aventure et assurer ainsi la cohésion de la vision et de sa réalisation.
  • Une gouvernance claire pour que le projet atteigne ses objectifs en matière de qualité et s’inscrive dans la durée.

À chaque entreprise, avec ou sans aide extérieure, d’établir sa stratégie data en fonction des ressources dont elle dispose, des risques évalués, et des ambitions qu’elle veut se fixer.

L'auteure

Salomé Serieys est Consultante Data chez Datasulting, un cabinet de conseils indépendant, spécialisé dans la gestion des données, la BI et l'IA.

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