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Adoption de l’IA générative : BPCE fait un (gros) point d’étape
BPCE a largement mis à disposition des assistants IA aux mains de ses collaborateurs. Alors qu’il récolte les premiers fruits de son programme, le groupe prépare prudemment l’intégration de ses premiers agents IA.
Le groupe BPCE (Banque Populaire, Caisse d’Épargne, Caseden, Crédit Coopératif, Oney, Palatine, Natixis) adopte massivement l’IA générative depuis deux ans. Mais pas n’importe comment. Il y a 18 mois, BPCE l’a enchâssée au sein de son plan stratégique Vision 2030.
« Notre vision en matière IA s’articule autour de trois convictions », résume Yves Tyrode, directeur général « Digital & Payment » chez BPCE, lors d’une conférence de presse. « La première, c’est l’humain. Nous pensons profondément que l’IA ne peut être au rendez-vous que si l’appropriation est maximale. La deuxième, c’est que la qualité des usages crée la valeur, la valeur en matière d’efficacité et la valeur économique », poursuit-il. « Et puis le dernier point, c’est la sélection. Nous avions sélectionné un certain nombre de cas d’usage dans des domaines spécifiques ».
Une vision que le groupe entend exécuter de manière éthique. Voilà pour le préambule. En 2024, BPCE revendiquait 10 000 collaborateurs utilisateurs de l’IA générative. Désormais, la moitié des 100 000 collaborateurs du groupe exploitent la technologie. « Nous avions tablé sur une appropriation à 50 % fin 2026. Nous avons déjà atteint notre objectif », se félicite Yves Tyrode.
Ce programme d’appropriation intitulé « L’IA pour tous » passe par la mise à disposition d’un assistant IA interne de BPCE : MAiA. Comme la plupart des « Secure GPT », le chatbot lancé en 2023 est devenu une plateforme à partir de laquelle les collaborateurs alimentent ou piochent dans des bibliothèques de prompts et d’assistants IA personnalisés. Le portail comprend également des modules d’acculturation et de formation. Environ 45 000 collaborateurs ont été formés ou acculturés à l’IA.
Techniquement, BPCE met à disposition les modèles de langage d’OpenAI, d’Anthropic, de Mistral AI, de Google (Gemini) à travers des tenants « sécurisés » Microsoft Azure et Google Cloud. « Nous avons également une petite ferme d’une quarantaine de GPU dans nos data centers pour exécuter des modèles sur les données les plus confidentielles », précise Luc Barnaud, Chief Data & AI Officer chez BPCE. L’entreprise a par ailleurs déployé en interne sa base de données vectorielle pour ces mêmes documents. Le groupe dispose de 4 centres de données interconnectés (près de 75 000 serveurs) d’une capacité d’environ 120 Po de stockage. Des choix hybrides guidés par la volonté d’une maîtrise technologique et de maintenir une approche agnostique. L’IA embarqué dans les progiciels utilisés par le groupe est utilisé de manière tactique, au besoin.
« Notre stratégie technologique, nos choix de partenaires, nous les faisons transversalement au niveau du groupe. Nous mutualisons également nos développements pour accélérer la mise à disposition de services à toutes les entités », affirme Luc Barnaud.
MAiA : un assistant IA générique qui a fait ses preuves
Avec MAiA, les équipes IT et IA du groupe comptabilisent 2 millions de prompts par mois, 40 par collaborateur en moyenne. L’assistant est utilisé pour des tâches de rédaction, de synthèse et d’analyse.
« Dans le métier de paiement [600 collaborateurs en 2024, N.D.L.R], nous mesurons un taux d’adoption de 95 % de MAiA. Autant dire que tout le monde l’utilise », affirme Karine Delattre, directrice expérience client et organisation chez BPCE Payment Services. « Nous l’utilisons pour gagner en temps et en efficacité ».
Karine Delattre évoque des usages dans le marketing et les campagnes d’emailing. « Nous avons énormément de réglementations à respecter. Nous avons travaillé des prompts très élaborés qui intègrent directement toutes les règles. Nous sommes passés d’environ une dizaine d’allers-retours entre le juridique, la conformité et le marketing, à plus que deux », assure-t-elle.
MAiA est également utilisé pour rédiger les enquêtes de satisfaction et les analyser.
« Nous avons, généralement plus de 4 000 verbatim », relate-t-elle. « Nous mettions auparavant trois semaines pour analyser, structurer, réaliser les plans d’action. Aujourd’hui, en quatre jours, c’est fait ».
Une efficacité qui fait évoluer les métiers. « Nous avons des équipes qui ont développé l’art de prompter et en corollaire, bien sûr, le sens critique et le contrôle, parce que c’est évident que c’est un élément essentiel dans le développement de l’IA ».
MAiA demeure un outil « généraliste », accessible à tous les métiers. D’autres outils ciblent des usages plus spécifiques. C’est l’objet du programme « l’IA transformante ». Ici, BPCE priorise ses projets dans cinq domaines : l’IA au service du conseiller, l’évolution des centres de contact, simplification de l’expérience numérique pour les clients, la lutte contre la fraude et l’IA pour les métiers de l’IT.
75 % des conseillers chez BPCE utilisent l’IA. Elle doit augmenter leur proactivité au service du développement de l’activité du groupe, le temps de disponibilité auprès des clients et l’accès à la documentation.
« L’IA est désormais intégrée à toutes les étapes du parcours entre le conseiller et son client », affirme Sonia Kaufman, directrice IA pour conseillers CRC et clients chez BPCE.
Préparation du rendez-vous, prise d’information sur le client, accès à la documentation bancaire sont les principaux périmètres d’action de l’IA générative. Pendant le rendez-vous, « Il s’agit de répondre à la question “est-ce que mon client est éligible à ce produit-là ?” », illustre Sonia Kaufman. « Si j’ai un doute sur ce produit, sur cette éligibilité, il faut être capable à tout instant de répondre et d’être sûr de donner une réponse fiable à son client ».
Après le rendez-vous, la GenAI est utilisée pour rédiger les comptes rendus, les restructurer et « identifier les opportunités commerciales à venir ».
« Ce qui vaut aujourd’hui pour nos conseillers en agence vaut également pour les centres de relation client », affirme Sonia Kaufman. Plus spécifiquement, le groupe a équipé ses téléconseillers spécialisés (leasing, Oney, prêt personnel, assurance IARD).
« Nous avons identifié sept cas d’usage majeurs qui sont des éléments transformants de ces CRC », indique Sonia Kaufman. Certains sont déjà déployés, dont des voicebots qui ont traité un million des douze millions d’appels reçus l’année dernière.
« Ils sont capables d’interpréter, de comprendre le besoin du client, éventuellement le router, mais surtout de traiter les demandes les plus simples », assure-t-elle.
Côté client, l’IA générative est intégrée dans les applications mobiles Banque Populaire et Caisse d’Épargne. Ici, il s’agit de répondre aux questions des clients en les renvoyant à la documentation relative au sujet évoqué. Le groupe revendique plus d’un million de clients ayant déjà utilisé ce service. Il sera petit à petit déployé auprès des clients professionnels.
Pour les assureurs du groupe, il s’agit de générer des comptes rendus des appels. Après dix mois en production, 85 % des synthèses générées sont validées sans modification. Le temps de traitement moyen des appels a baissé de 10 %.
Des outils de « recherche profonde »
Certains ce ces assistants IA sont avancés. C’est le cas de celui dédié aux conseillers assureurs professionnels. Ceux-là « coconstruisent » leurs analyses avec un assistant IA qui parcourt des éléments financiers, des frais de gestion, des données sur les fonds de roulement, des informations complémentaires afin de guider un entretien.
Du côté de Natixis Corporate & Investment Banking, GeorgIA, est un assistant IA propulsé par un mécanisme de recherche augmenté par la génération (RAG). Déployé depuis décembre 2024, celui-ci a permis, dans un premier temps d’explorer des documents volumineux (internes, articles de presse, notes financières externes, etc.) afin de réaliser des analyses macroéconomiques et « coller » aux évolutions du marché. « Aujourd’hui, nous avons plus d’une centaine d’utilisateurs, six cas d’usage en production dans les métiers front, risque et opération, et nous en prévoyons une quinzaine en 2026 », détaille Dominique Bernier, directrice générale de la gestion de portfolio financier chez Natixis CIB. « Nous utilisons GeorgIA, pour la production des mémos de crédit. Ils servent de base à la décision de financement de nos grands clients. Dans le cas de la CIB, l’on parle de transactions avec un ordre grandeur de plusieurs millions à plusieurs centaines de millions ».
Environ 1500 développeurs ont aussi accès à un outil d’assistance à la programmation infusé dans IDE. Celui-ci est basé sur un fork du projet open source Continue. « Nous avions déployé certains outils qui déployaient des agents sur le poste de travail, mais ils étaient très intrusifs », justifie Luc Barnaud. « Nous avons donc cherché un outil open source que nous avons forké avec l’ambition de le déployer auprès de la totalité des développeurs du groupe ».
« Les cordonniers ne seront pas les plus mal chaussés », s’amuse Yves Tyrode.
Pour ces domaines prioritaires, les ambitions sont fortes, rappelle le directeur général « Digital & Payment ». « Pour un euro investi, nous souhaitons un euro de gain d’ici à 18 mois. Bien évidemment, si nous nous apercevons qu’un cas d’usage est rentable au bout de six mois, nous le prioriserons ». Le dirigeant ne dévoile toutefois pas le montant investi par le groupe dans l’IA. « Nous n’avons pas communiqué sur nos paris. Nous ne communiquerons que sur les résultats concrets : nous avons mis en place des métriques pour ce faire ».
Les balbutiements de l’IA agentique
L’adoption des assistants IA va, donc bon train. En revanche, les agents IA sont au mieux en développement ou en phase de R&D.
Oney, la branche crédit consommation du groupe BPCE testera au mois de décembre une expérience d’IA agentique visant à dynamiser le parcours de financement. « Lorsqu’un client doit faire une demande de financement pour un projet en self-care, il doit suivre un parcours un petit peu strict imposé », constate Renaud Ferran, directeur digital chez Oney. « Il doit commencer par fixer le montant de son crédit, puis déterminer les mensualités, la durée, communiquer des informations, transmettre des justificatifs, accepter des consentements et enfin signer. Et s’il veut revenir en arrière, c’est là que c’est compliqué ». En conséquence, les prospects ont tendance à multiplier les demandes.
La réponse à ce problème résiderait dans la mise en place d’un agent conversationnel relié à un système d’IA orchestrateur. Celui-ci doit appeler des agents IA spécialisés dans la vérification d’identité, l’analyse du risque de fraude, la proposition de l’offre adéquate et le contrôle de conformité.
« Les données que nous échangeons avec le client, ça ne change pas, les API ne changent pas. Ce qui change profondément, c’est l’expérience qu’il va vivre », promet Renaud Ferran. En clair, les clients pourront revenir en arrière sans casser le processus.
En parallèle du test mené en décembre, Oney structure la supervision humaine, qui reste « incontournable ».
De manière générale, BPCE a mis en place une équipe de red teaming et s’appuie, comme un bon nombre des institutions financières françaises sur les services du Français Giskard.
À plus long terme, la fintech PlayPlug, elle aussi sous l’égide du groupe bancaire, entend proposer un agent IA capable d’acheter un produit à la place d’un consommateur si son prix passe sous un certain seuil. En clair, mettre légalement dans les mains des clients une méthode d’achat jusque là pratiqué par les « scalpers ». Ces acteurs plus ou moins organisés achètent des produits populaires en masse avant de les revendre plus cher.
À cette fin, PlayPlug et BPCE s’associent à Google et son projet Agent Payment Protocol. « Ce protocole doit permettre de sécuriser et de standardiser les transactions initiées par des IA », indique un porte-parole de PlayPlug. « L’objectif est de créer une interopérabilité entre les agents IA, les marchands, les institutions financières, les prestataires de paiements ».
« Un des gros enjeux sur ces parcours sera de garantir à tous les partis impliqués dans l’acte d’achat que l’agent a bien un mandat authentique et valide de la part de l’acheteur pour réaliser cette transaction ».
« Nous explorons également l’IA agentique sur des opérations de back-office ou sur des contrôles internes, domaines pour lesquels elle pourrait également s’avérer pertinente », indique Luc Barnaud. Nous nous accordons quelques mois d’expérimentation avant d’envisager un passage à l’échelle ». Il faut encore mettre en place les procédures de sécurité et s’assurer de la robustesse de ces systèmes.
Il faut dire qu’au moment de renouveler l’accord collectif GEPP (Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels) avec les syndicats, BPCE a intégré un volet sur l’intelligence artificielle. Le document a été signé en juillet 2025 par tous les syndicats majoritaires. « Nous sommes d’accord sur le cadre que nous avons posé […] », avance David Marchal, DRH adjoint chez le groupe BPCE. « Notre volonté, c’est de permettre, grâce à l’IA, de remettre le conseiller ou le collaborateur au cœur de son métier, en lui ôtant les irritants qu’il peut avoir, pour qu’il soit à même d’être plus à l’aise avec le client. Au sein du groupe BPCE, l’IA assiste, aide le collaborateur et ne le remplace pas ».
