Sommet sur la souveraineté numérique européenne : SAP au centre de l’attention

Un temps dubitatif sur la souveraineté numérique, SAP multiplie désormais les partenariats pour rassurer les gouvernements allemands, français et les OIV. Il faudra encore combler quelques blancs.

Lors du sommet sur la souveraineté numérique européenne organisé à Berlin le 18 novembre, SAP a annoncé le renforcement de quatre partenariats. D’abord, Delos Cloud, sa filiale de cloud souverain, a signé un protocole d’accord avec Microsoft.

« Le partenariat donnera à Delos Cloud la capacité juridique et technique de fournir des services en cloud si un gouvernement en dehors de l’Europe restreint les services de Microsoft pour des clients spécifiques », indique un communiqué de presse de SAP.

« Les clients que Microsoft ne pourrait plus servir auraient la possibilité de migrer leurs charges de travail vers Delos Cloud en tant que plateforme cloud gérée au niveau national », y lit-on.  

Delos Cloud : SAP veut obtenir des garanties d’indépendance technique auprès de Microsoft

Pour ce faire, Microsoft assurerait à Delos Cloud l’accès au code source de son infrastructure et de ses applications. Les deux partenaires ne précisent pas combien de temps les services pourraient tenir sans mise à jour.

Selon nos confrères de CIO online, Bleu, la coentreprise d’Orange et Capgemini visant à fournir un « cloud de confiance », envisagerait un partenariat du même genre avec Microsoft.

Bleu et Delos Cloud appuient leurs infrastructures sur Azure Stack HCI (renommée Azure Local), une variante du cloud Microsoft Azure localisée.

Le mémorandum s’aligne avec les déclarations de Microsoft à la fin du mois d’avril 2025. La firme de Redmond avait promis des mesures techniques et légales pour s’assurer la continuité des opérations d’organisations potentiellement visées par des sanctions américaines. Pour mémoire, les accès aux mails et outils Microsoft d’un procureur et de quatre magistrates de la Cour Pénale Internationale avaient été suspendus à la demande de l’Administration Trump. Microsoft a nié toute intervention. Selon Handelsblatt et Radio France, la CPI a récemment décidé de migrer de Microsoft 365 vers OpenDesk, une solution allemande.

Lors de la convention de l’USF 2025, Daniel Nikaj, responsable du programme Sovereign Cloud chez SAP France, déclarait : « Delos Cloud est une structure qui ne travaille que pour le gouvernement fédéral allemand. Elles ne travaillent pas pour les entreprises régulées ni les entreprises privées. En Allemagne, elles n’y ont pas le droit ». 

Plus précisément, Delos cloud héberge potentiellement les solutions d’administrations directes, indirectes, des associations d’utilité publique subventionnée et des entreprises en partie détenues par l’État fédéral.

SAP ne précise pas si cette mesure sera valable pour les OIV allemands ou européens. La question lui a été posée par LeMagIT, mais l’éditeur allemand n’a pas répondu à l’heure de publier ces lignes. L’article sera mis à jour en conséquence.

Toutefois, le fait que Delos Cloud partagera des fonctions de cybersécurité avec Bleu laisse à penser que la filiale de SAP étend ses prérogatives.

Il s’agit d’assurer « la continuité opérationnelle de charges de travail critiques » des acteurs du secteur public et des industries régulées. En clair, il est fort possible que Delos Cloud serve à stocker les sauvegardes des systèmes hébergés sur Bleu et vice-versa. L’on peut imaginer qu’un système de répartition de charge permet de transférer des données et les workloads entre les deux clouds. Ensuite, les SOC des deux fournisseurs partageront des renseignements sur les menaces et s’entraideront pour remédier aux éventuels problèmes de sécurité.  

 Bleu franchit le jalon 1 du processus SecNumCloud

Bleu a annoncé le 17 novembre dernier qu’il a franchi le jalon J1 du processus de qualification SecNumCloud 3.2. L’ANSSI a validé sa stratégie d’évaluation des services IaaS, PaaS et CaaS. S'ensuivra une procédure d’échange avant une évaluation initiale (J2) qui déterminera le périmètre de la qualification. Le J3 correspond à la décision de l’ANSSI de confier le précieux sésame au candidat.

SAP et Capgemini de plus en plus proches

Ensuite, et cela paraît logique au vu de son implication dans Bleu, SAP dit étendre son partenariat avec Capgemini. « Le nouveau partenariat se concentrera sur la fourniture de solutions cloud et d’IA qui répondent aux exigences strictes en matière de réglementation et de souveraineté pour le secteur public et les industries réglementées, en particulier en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas », précise un porte-parole de SAP, dans un mail envoyé au MagIT.

« Le protocole d’accord prévoit des projets pilotes communs, une gouvernance partagée, des normes de sécurité harmonisées et un cadre de résilience franco-allemand pour répondre aux attentes strictes des autorités publiques et des industries réglementées », ajoute-t-il.

De son côté, Capgemini précise qu’elle combinera ses compétences en matière de gestion de données, de migration d’ERP SAP vers le cloud et d’IA. L’ESN s’appuiera notamment sur Syniti et Cloud4c, deux sociétés qu’elle a récemment acquises.

Le Chat et Mistral AI Studio arrivent sur la BTP de SAP

En matière d’IA, SAP avait déjà annoncé un partenariat avec Capgemini et Mistral AI. Capgemini a proposé, lors de Sapphire, de développer des solutions d’IA personnalisées pour les entreprises régulées s’appuyant sur les modèles de la startup française.

Ce précédent accord concernait l’offre AI Foundation, une solution attenante à la Business Technology Platform (BTP). Celle-ci peut déjà être hébergée sur les data centers de SAP en Allemagne. Justement, avec Mistral AI, il ne s’agit plus d’intégrer les modèles de langage de la startup, mais également ses outils de la suite Mistral AI Studio, et ses applications, dont Le Chat.

Cette extension du partenariat fait suite à un autre accord promettant la mise à disposition des technologies d’OpenAI au service de l’administration allemande dans des data centers de SAP dotés de GPU Nvidia. Un partenariat, qui, en coulisse, ferait jaser. « C’est une réponse à une demande des acteurs locaux », indiquait Daniel Nikaj.

Dans la suite de fonctionnalité d’AI Foundation, le module Locally Hosted est au centre de l’attention. Celui-ci permet d’héberger des modèles Mistral AI ou Cohere dans un data center SAP choisi par le client. Par défaut, l’offre n’est pas forcément souveraine, distinguait Daniel Nikaj.

« L’annonce de SAP [du 18 novembre] marque un tournant important : elle montre qu’il est désormais possible d’allier innovation de haut niveau et souveraineté numérique, sans compromis », affirme Gianmaria Perancin, président du club des utilisateurs francophones de SAP, dans un communiqué.

Une réponse en ligne avec la vision de la souveraineté de l’USF. Gianmaria Perancin s’interroge tout de même. 

« […] SAP se présente aujourd’hui comme un fournisseur d’infrastructure au même titre que les grands acteurs mondiaux du cloud, AWS, Google ou Microsoft. Cette position affichée reste cependant largement centrée sur l’Allemagne », comprend-il. « Dans ce contexte, quelle place sera réellement accordée aux acteurs français ? Notre écosystème national compte des fournisseurs solides et reconnus, comme OVHcloud, Bleu ou S3NS, qui doivent être pleinement intégrés et valorisés dans la stratégie annoncée ».

La France et l’Allemagne misent sur Mistral AI et SAP

Voilà du côté de SAP. Mais l’événement de Berlin a également débouché sur une lettre d’intention signée par les gouvernements français et allemand.

Ils promettent d’établir un « partenariat public-privé stratégique avec Mistral AI et SAP SE ». Il s’agit de mettre à disposition des administrations des deux pays un « ERP Souverain » infusé à l’IA.

Un comité dédié au sein du consortium franco-allemand pour l’infrastructure numérique se chargera de la coordination du projet. Il s’agit de s’assurer que Mistral et SAP suivent les exigences des deux pays. Un accord-cadre contraignant sera signé « d’ici mi 2026 » (sic). « Des cas d’usage à fort impact sélectionnés seront déployés dans les administrations entre 2026 et 2030 », d’après le ministère de l’Économie.

Flux financiers critiques automatisés, classement de factures, agents d’IA d’aide à la décision réglementaire, assistants IA, simulation de scénarios budgétaires, et agents IA en relation frontale avec les citoyens sont autant de cas envisagés.

« Ce partenariat est conçu comme un cadre orienté vers l’écosystème, ouvert à d’autres fournisseurs européens proposant des solutions numériques souveraines, interopérables et fiables », précise le communiqué.

En clair, les deux États n’ont pas défini qui hébergera ces systèmes, ni si SAP et Mistral AI seront les seuls à intervenir.

C’est en tout cas un pas en avant, selon David Amiel, ministre délégué chargé de la Fonction publique et de la Réforme de l’État. « Plus de 80 % des outils numériques sur lesquels nous nous appuyons sont conçus, exploités ou contrôlés en dehors de l’Europe : il ne s’agit pas seulement d’un problème technique, mais d’une préoccupation majeure pour notre autonomie numérique européenne », affirme-t-il.

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