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Agent IA et ERP industriel : vers une nouvelle « main-d’œuvre numérique »

Malgré les effets de mode et les difficultés de mise en œuvre, l’IA agentique trouve peu à peu sa place dans l’industrie manufacturière. Les applications qui combinent IA générative et IA agentique transforment les ERP et les systèmes de gestion d’actifs (EAM), ouvrant la voie à une « main-d’œuvre numérique ».

L’intelligence artificielle (IA) progresse dans les systèmes de production, des progiciels de gestion intégrés (ERP) à la gestion des actifs industriels (EAM, Enterprise Asset Management) en passant par la supply chain. L’IA générative (GenAI) et l’IA agentique y trouvent petit à petit des cas d’usage concrets et à forte valeur ajoutée.

Pour les organisations, il ne s’agirait donc plus de savoir si elles utiliseront l’IA, mais comment la mettre en œuvre de manière sécurisée, à quelle vitesse obtenir un retour sur investissement et en tirer de la valeur.

Dans l’industrie, la réponse semble se situer du côté des processus fondamentaux : conception, production, logistique et exécution.

D’un « système d’enregistrements » à un « système d’action »

« Chaque jour, des millions de transactions sont générées. L’ERP est donc une formidable opportunité pour générer de la productivité grâce à l’IA », s’enthousiasme Vaibhav Vohra, directeur produit et technologique chez Epicor, un éditeur d’ERP spécialisé dans le manufacturing.

Selon lui, l’IA agentique permettrait de faire évoluer les ERP de simples systèmes d’enregistrement (system of record) vers de véritables systèmes d’action (system of action). Mais cette transformation s’accompagne de quelques blocages.

« La plupart des industriels, des distributeurs et des revendeurs expérimentent l’IA », constate-t-il, « mais à moins que ces projets ne s’accompagnent d’une manifestation tangible de valeurs, ils donnent parfois l’impression de n’être que des projets scientifiques. »

Conséquence, Gartner anticipe que 40 % des initiatives d’IA agentique seront abandonnées d’ici fin 2027 par les entreprises. Une enquête de S&P Global Market Intelligence confirme que 42 % des organisations en Amérique du Nord et en Europe ont déjà abandonné des projets d’IA en 2024, un chiffre en très forte croissance.

Pour autant, les investissements dans l’IA ne devraient pas ralentir. MarketsandMarkets estime que le marché des agents d’IA est de 7,84 milliards de dollars en 2025, et qu’il pourrait atteindre 52,62 milliards en 2030. Gartner prévoit pour sa part que 33 % des applications métiers professionnelles intégreront de l’IA agentique d’ici 2028, contre moins de 1 % aujourd’hui, et que 15 % des décisions opérationnelles quotidiennes seront alors prises de manière autonome par l’IA.

L’ERP cognitif

Pour Vaibhav Vohra, les processus industriels et logistiques seront les premiers bénéficiaires en termes de ROI. Face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, il n’est plus réaliste d’attendre des nouveaux employés qu’ils maîtrisent plusieurs systèmes ERP complexes. D’où la nécessité d’interfaces plus conversationnelles grâce aux agents GenAI.

Pour lui, même si les éditeurs n’en sont qu’aux toutes premières étapes des agents, les cas d’usage seraient déjà bel et bien là.

Le responsable d’Epicor illustre son point de vue avec l’exemple d’un distributeur confronté à un retard de livraison à cause de la météo. Celui-ci souhaiterait alerter ses clients – des industriels – afin qu’ils adaptent leur supply chain.

Avec un « ERP cognitif » enrichi d’agents IA capables de contextualiser les données et de dialoguer entre eux, de telles décisions collectives pourraient être prises.

« L’idée, c’est que les agents des distributeurs et ceux des fabricants se réunissent pour prendre les décisions optimales pour la “communauté” » anticipe Vaibhav Vohra. « On ne se contente plus de parler à l’ERP comme à un copilote, on commence à prendre des décisions en temps réel », résume-t-il.

La main-d’œuvre numérique

L’éditeur néerlandais Ultimo (filiale d’IFS), spécialisé dans l’EAM, avance dans cette voie. « La combinaison de l’IA générative et de l’IA agentique permet de passer des systèmes d’enregistrement aux systèmes de recommandation et d’action », confirme Steven Elsham, directeur général d’Ultimo.

L’éditeur parle même de « main-d’œuvre numérique ». En interne, ses agents IA commencent à aider ses employés à exécuter leurs tâches plus efficacement. En externe, il multiplie les agents embarqués dans son système EAM.

L’un d’eux, dédié à la santé, la sécurité et l’environnement (EHS), est intégré directement aux workflows et agit comme un expert spécialisé.

« La gestion traditionnelle de l’EHS repose sur un reporting manuel, souvent incomplet. Ce qui rend difficiles les mesures préventives comme les programmes de sensibilisation. Notre agent surveille en continu les remontées du terrain, identifie automatiquement les contenus liés à l’EHS et génère des rapports d’incident avec des recommandations pour résoudre les problèmes » vante Steven Elsham.

Encore des freins et des blocages

Steven Elsham reconnaît cependant que le secteur manufacturier n’est pas réputé pour être le plus rapide à s’approprier les innovations numériques. L’IA agentique devra faire ses preuves avant d’être largement acceptée dans le secteur.

Les employés sont souvent impatients quand on leur promet des technologies susceptibles d’améliorer leur efficacité, mais les responsables chargés de les mettre en œuvre et de les gérer restent logiquement prudents sur leur intégration sécurisée dans l’entreprise, explique le responsable d’Ultimo.

« Au sommet de l’organisation, certaines personnes sont favorables [au agents], mais elles subordonnent cette décision de faire confiance à une plateforme à l’avis des experts », synthétise Steven Elsham. « Elles veulent utiliser un outil qui permettra à l’organisation de fonctionner de manière plus efficace et efficiente, tout en lui offrant la flexibilité nécessaire pour surpasser ses concurrents. » Mais pas forcément être ceux qui essuient les plâtres.

L’IA agentique, tour de contrôle des autres formes d’IA

Bien que des cas d’usage industriels soient déjà là, un autre point bloquant est qu’il faut bien distinguer les IA en fonction de chacun.

L’IA générative, l’IA traditionnelle (ML, Deep Learning, cognitive vision, etc.) et l’IA agentique ont des rôles bien distincts – complémentaires, mais distincts, observe Simon Ellis, directeur de recherche chez IDC.

La GenAI excelle dans l’analyse de documents – manuels de maintenance, appels d’offres, contrats d’approvisionnement, ordres de commandes, factures, etc. À l’inverse, elle n’est pas du tout adaptée pour la planification de la demande – qui relève d’outils d’IA prescriptive.

Quant à l’IA agentique, « elle est comme une tour de contrôle qui prend les métriques et qui exécute es décisions ou les recommandations », compare l’analyste. « Il reste juste à savoir jusqu’à quel degré d’autonomie de décision des agents les entreprises sont prêtes à aller ».

Un frein majeur à cette autonomie totale, ou en tout cas plus poussée, reste la qualité des données, ajoute-t-il.

L’acceptation variera aussi en fonction de la criticité du cas d’usage. Pour le retard d’un camion, un agent peut décider de transférer la cargaison vers un autre transporteur agréé, illustre Simon Ellis. Mais s’il n’y a pas d’autres camions disponibles, ou si l’urgence impose un autre mode de transport comme le fret aérien, le coût change la donne. « Vous voulez peut-être que l’agent ne transfère pas la cargaison, mais qu’il vous fasse un point complet avec ses recommandations ». À l’humain de choisir et de valider l’activation de la meilleure option.

IA agentique, une « semi-hype »

Dernier frein aux agents IA dans l’industrie, la « hype médiatique » peut rendre méfiants les dirigeants ou susciter de la déception si les premiers résultats ne suivent pas les promesses des éditeurs.

Pour Gaurav Malhotra, associé chez EY, l’IA se distinguerait cependant d’autres technologies surmédiatisées par le passé comme la blockchain ou l’IoT.

« L’IA est une semi-hype : elle a plus de potentiel et de réalité », estime-t-il. Les entreprises doivent toutefois s’assurer de bâtir des stratégies solides et d’intégrer l’IA dans leurs systèmes pour éviter l’échec des PoC… comme ce fut le cas pour la blockchain, souvent implémentée, mais sans les fondations technologiques et organisationnelles nécessaires, compare Gaurav Malhotra.

L’expert d’EY voit en tout cas lui aussi déjà de nombreuses applications des agents dans la logistique, la distribution, la gestion des stocks, la planification de la demande ou encore la maintenance prédictive et l’EAM. « Il y a du potentiel et il est là », insiste-t-il.

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