Jaguar Land Rover

Chez Jaguar Land Rover, l’analytique est aussi tout-terrain

En juin 2022, le responsable du programme d’analytique d’entreprise chez Jaguar Land Rover expliquait comment le groupe automobile favorise la « démocratisation » de l’analytique dans ses rangs.

En février 2021, Thierry Bolloré, alors PDG de Jaguar Land Rover (JLR), a dévoilé un plan visant à redynamiser le constructeur automobile de luxe. Ce plan repose sur des services connectés, des technologies axées sur le traitement des données et ce qu’il décrit comme une « numérisation absolue du parcours et de l’expérience client ».

Dans le cadre de cette « réinvention » de JLR, Clive Benford, Chief Data Officer et responsable du programme d’analytique d’entreprise de la firme jusqu’en octobre 2022*, déclarait en juin dernier à ComputerWeekly [propriété de Techtarget, également propriétaire du MagIT] qu’une culture des données doit être mise en place du sommet à la base de la hiérarchie. D’un point de vue stratégique et dans le cadre de cette transformation, l’ex-responsable estime que « l’agilité, la numérisation et les données sont indissociables. »

Selon lui, les services IT doivent passer d’une approche, qui consiste à fournir les applications dont les utilisateurs métier ont besoin, à une autre centrée sur les données. « Si vous deviez supprimer toutes les données de l’entreprise, vous n’auriez plus aucune activité », dit-il. « En revanche, vous pourriez supprimer toutes les applications ».

« Si vous deviez supprimer toutes les données de l'entreprise, vous n'auriez plus aucune activité. « En revanche, vous pourriez supprimer toutes les applications ».
Clive BenfordEx-CDO, Jaguar Land Rover

Cette évolution de l’informatique, selon Clive Benford, tient au fait que les systèmes étaient limités par la puissance de calcul des processeurs, l’espace de stockage des systèmes, la largesse de la bande passante et la vitesse du réseau. « Les données étaient des ressources secondaires ».

 En route pour devenir une entreprise data-driven

De nombreuses entreprises souhaitent être « data-driven ». Selon l’expérience de Clive Benford, tout l’intérêt de l’analytique réside dans l’exécution d’opérations que les systèmes en place ne sont pas capables d’effectuer ou pour lesquelles ils n’ont pas été conçus. « Mon parcours chez KPMG m’a appris à me demander quels sont les facteurs opérationnels, et à utiliser les données pour améliorer les processus », explique-t-il.

La prévision des volumes (d’achat de matières premières, de ventes, etc.) constitue un usage clé des données pour améliorer un résultat commercial, indique-t-il. « Prévoir les volumes avec plus de précision vous permet de réagir plus rapidement aux signaux du marché. C’est un classique du conseil en amélioration, et il vaut de l’or. ».

D’après Clive Benford, la première fois que l’analytique prévisionnelle (et non prédictive) a changé la donne chez JLR, c’était en 2019, au moment où le marché a commencé à basculer, et que l’entreprise a pu « ralentir la production de véhicules ».

Autre exemple, les données permettent à Jaguar Land Rover d’améliorer leur observation des signaux sur toute la chaîne d’approvisionnement. « En général, il est vraiment difficile de passer d’un signal de demande à un signal d’offre », explique Clive Benford. Un tel signal peut indiquer que la production aura besoin de plus de pièces.

Les données nécessaires pour améliorer la transparence du processus de fabrication sont éparpillées entre de nombreuses sources complexes dans plusieurs services : données de prévision et de la chaîne d’approvisionnement, données sur les pièces provenant des systèmes de gestion du cycle de vie des produits (PLM) et données de configuration des véhicules générées à la fois par les systèmes de configuration et des outils consacrés à la simulation.

Ces systèmes comprennent un vaste éventail de technologies, allant de mainframes dédiés, en passant par des plateformes ERP et de planification des ressources de production (MRP), ainsi que par des applications personnalisées de simulation distribuée des véhicules. Avec une telle diversité, il était autrefois impossible d’interroger les données dans un délai raisonnable.

JLR utilise TigerGraph pour combiner 12 sources de données distinctes en un graphe rassemblant l’équivalent de 23 tables relationnelles, couvrant les pièces fournies par des centaines de fournisseurs, en passant par les nomenclatures du modèle et de ses configurations, jusqu’à l’ordonnancement de la fabrication et la prévision des commandes des véhicules concernés.

Ces données sont géolocalisées, ce qui permet de planifier la production des véhicules au plus proche du lieu de commande, en fonction des pièces disponibles et de la configuration réclamée par l’acheteur.

Il est possible d’apporter des modifications au schéma, ce qui permet d’ajouter d’autres ensembles de données à tout moment. Des tâches d’importation de données sont générées, afin que le processus d’extraction, de transformation et de chargement des données puisse être répété si nécessaire. Le post-traitement du modèle graphe ajoute des liens entre commandes et pièces pour chaque date de fabrication. Ainsi, la requête fournit des résultats sur l’ensemble du carnet de commandes de JLR en quelques minutes.

Approche décentralisée ou centralisée

Il existe deux approches pour développer un savoir-faire en matière d’analytique dans une entreprise. La première consiste à embaucher et à former une équipe pour créer un centre d’excellence, puis à centraliser la gestion de l’analytique pour toute l’entreprise. JLR a adopté la deuxième approche, qui vise à « démocratiser » le traitement des données.

 « L’un des problèmes est que, si vous centralisez, vous ne pouvez pas identifier tout ce qu’il y a à faire », considère Clive Benford au moment de comparer les deux modèles.

JLR déploie Tableau dans le but de démocratiser les données et l’analytique. Plutôt que de réserver l’analytique à une équipe centralisée, l’objectif est de doter le plus grand nombre des compétences, des outils et de la confiance nécessaires pour explorer et analyser leurs propres données.

Clive BenfordClive Benford, ex-CDO
de Jaguar Land Rover

« Il s’agit d’un cheminement, pas d’un but en soi », précise Clive Benford. En référence à une étude de l’International Institute for Analytics (IAA), il souligne que « c’est chez Amazon qu’il y a le plus à faire », mais que, du point de vue de l’analytique, le géant du commerce en ligne est « le plus avancé ».

Comme le fait remarquer Clive Benford, rien ne se fait sans les collaborateurs. « Nous nous sommes engagés à 100 % dans une démarche de formation des citizen data scientists. Sans une importante main-d’œuvre compétente en analytique, vous ne pouvez agir que sur quelques aspects », juge-t-il.

Au moment de son départ de JLR en octobre, le CDO comptait plus de 500 collaborateurs en cours de formation.

Clive Benford indique qu’en un an, JLR a triplé le nombre de ses utilisateurs de Tableau. « Nous avons établi un lien fort avec Tableau, et la hiérarchie incite fortement à décentraliser l’analyse des données. Notre directeur financier a longtemps été le chantre de cette approche. Vous en entendez parler aux entretiens trimestriels, et cela se diffuse en cascade. »

Jaguar Land Rover compte désormais plus de 1 300 employés qui créent activement des tableaux de bord et des analyses, et plus de 5 000 qui décortiquent ces données et en tirent eux-mêmes des informations.

Interrogé sur l’échéance à laquelle JLR est susceptible de devenir une entreprise data-driven, Clive Benford répond qu’il y a un an, il n’aurait jamais imaginé que le constructeur proposerait une initiation à la gestion des données. « Nous avons choisi de concevoir nous-mêmes cette formation, car elle n’a de sens que dans le contexte de JLR et est adaptée aux différents rôles de l’entreprise », témoigne-t-il.

Pour Clive Benford, il ne suffit pas qu’une entreprise donne accès aux données pour se revendiquer « data-driven ». L’accès à des outils analytiques est plus important. Il pense que l’analytique devrait s’immiscer dans toutes les suites bureautiques.

Bien que ces produits proposent généralement des outils de traitement des données embarqués, il est fréquent que la procédure d’appel d’offres et d’achat fasse l’impasse sur l’analytique. Clive Benford estime que cela doit changer, à l’heure où les knowledge workers sont appelés à devenir des citizen data scientists.

*Clive Benford a quitté son poste en octobre 2022 pour raisons personnelles et a « laissé les clés » à Martin Houghton, actuel CDO et responsable de la plateforme analytique chez JLR. Thierry Bolloré a démissionné en novembre 2022. Adrian Mardell, CFO de l’entreprise, assure pour le moment le rôle de PDG.

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