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Comment Danone a optimisé sa planification de la demande

Alors que le processus était manuel et chronophage, le géant agroalimentaire a largement automatisé la planification de la demande dans 38 pays, tout en l’affinant à l’aide du machine learning.

Confronté à des défis inédits en matière de supply chain ces dix dernières années, Danone devait la rendre plus robuste, plus résiliente et plus durable.

Le groupe franco-espagnol s’est associé à B Lab en 2015. Aujourd’hui, environ 70 % de ses ventes sont couvertes par la certification B Corp.

Dans un même temps, il a recentré ses activités sur trois grandes catégories de produits : les produits laitiers, l’eau et la nutrition spécialisée (nutrition médicale et infantile).

Les produits laitiers représentent 49 % de son chiffre d’affaires, l’eau, 18 % et 33 % pour la nutrition spécialisée. Une quatrième catégorie de produits, issus de végétaux (par exemple à travers la marque Alpro), complète ce tableau.

L’entreprise aux 90 000 employés et aux 27,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024 est présente physiquement dans 57 pays. Toutefois, elle livre ses produits dans 120 pays. Le groupe compte environ 150 sites de production et 300 centres de distribution.  

Une nécessaire harmonisation de la planification de la demande

Or, les responsables des catégories citées plus haut disposaient de leurs propres outils de planification de la demande. Outils qui pouvaient varier entre les différents pays. De plus, les métiers s’appuyaient fortement sur des fichiers Excel.

En 2019, Danone a décidé de rationaliser ce processus en déployant une solution à l’échelle du groupe. La société a fait le choix de SAP Integrated Business Planning, SAP IBP pour les intimes.

Ce choix découle en partie du fait que Danone a pu développer l’outil que l’entreprise utilise aujourd’hui. Certaines fonctions de machine learning n’existaient pas dans IBP avant que le groupe influence la feuille de route de l’éditeur allemand.

Ce n’est pas une première pour elle. Les deux sociétés avaient annoncé en 2011 travailler au codéveloppement d’une solution analytique consacrée à la réduction de l’empreinte carbone du géant de l’agroalimentaire.

Quatre ans pour déployer SAP IBP à l’échelle

Le gros du déploiement de SAP IBP en lui-même a été réalisé par vague successive entre 2019 et 2023. « Par pays, le déploiement prenait environ six mois », explique Maxime Lelièvre, responsable senior de la planification de la demande au sein du centre d’excellence européen de Danone. « Évidemment, plus nous avancions, plus cela se faisait rapidement, grâce à l’expérience accumulée ».

SAP IBP est déployé sur la Business Technology Platform, sur le cloud donc. Elle est connectée aux ERP du groupe (dont ECC), des outils spécifiques et un lakehouse Snowflake.

Le projet a été mené à l’aide du cabinet SAPtools, une société qui accompagne Danone depuis plus de 20 ans. Qui plus est, il y a un peu plus de deux ans, Danone a mis en place un centre d’excellence pour encadrer la planification de la demande.

Fin mai 2023, SAP IBP était déployé dans 35 pays. La plateforme est désormais installée dans 38 pays, majoritairement en Europe. Le projet a été lancé trois ans plus tôt à travers trois pilotes menés en parallèle en Espagne, en Pologne et en France. « Aujourd’hui, c’est pratiquement la moitié du chiffre d’affaires de Danone qui fait l’objet de prévisions dans SAP IBP (44 %) », indique Maxime Lelièvre.

Comme beaucoup de solutions de SAP, IBP est personnalisable.

« Nous avons adopté un modèle “core” en analysant les différents besoins et spécificités des marchés », explique le responsable. « L’objectif était d’éviter de nous retrouver avec 38 versions de SAP IBP personnalisées par pays. Aujourd’hui, nous disposons d’un environnement de travail unifié : un outil identique déployé dans toutes les catégories et tous les pays d’Europe ».

Plus de 230 utilisateurs – prévisionnistes des ventes – utilisent l’outil, mais d’autres fonctions annexes (IT, data) peuvent y avoir accès.

De fait, avant d’adopter IBP, les prévisions découlaient de l’application de méthodes statistiques traditionnelles. « Cela représentait beaucoup d’analyse de données, de dépollution pour reprojeter une tendance par bloc. C’était très répétitif, fastidieux et chronophage », Maxime Lelièvre.

D’où l’intérêt d’utiliser des modèles de machine learning pour « gagner en vitesse et en finesse ».

En outre, les prévisionnistes de Danone souhaitaient exploiter davantage d’information, dont les bulletins météo, les stocks, certaines données clients, etc.

« Les modules d’IA de SAP IBP permettent de maximiser l’exploitation de données qui restaient sous-utilisées avec les méthodes de prévision manuelles traditionnelles », estime Maxime Lelièvre.

Ainsi, l’intégration et le traitement automatisés des données ont fait progresser le volume de points de données observés de 20 000 à 66 millions par pays. Au lieu de traiter les dimensions produits et localisation, le groupe a pu affiner ses prévisions en ajoutant les dimensions clients et canaux.

De 160 à quatre heures pour obtenir les prévisions

Alors qu’il fallait 160 heures pour obtenir les prévisions de la demande, cela réclame 20 minutes à quatre heures en première instance. Prétraitement des données inclus.

Comme les modèles de machine learning écrit en Python sont exécutés sur SAP IBP, Danone, SAPtools et SAP ont travaillé ensemble pour réduire en partie le temps d’exécution.

« Les quatre heures correspondent aux temps nécessaires pour exécuter les modèles et obtenir des résultats de base », précise Hugo Niel, responsable de la transformation des opérations mondiales chez Danone. « Il peut y avoir une passe et un retravaille par certains planificateurs ». D’ailleurs, les équipes ont mis en place des alertes afin que ces prévisionnistes puissent se concentrer sur les sujets les plus importants.

La moitié des résultats ne sont pas remaniés. En moyenne, la valeur ajoutée par les retouches serait de 5 %, d’après les deux responsables du groupe.

La fiabilité des prévisions augmenterait de 1 à 10 % en fonction des catégories de produits. Enfin, cela permettrait de réduire de 35 % les déchets liés aux produits laitiers.

Pour obtenir ces résultats, Danone utilise des modèles de machine learning multivariés. C’est-à-dire qu’ils intègrent une multitude de données de différentes natures en entrée. Les data scientists ont exploité la technique de Gradient Boosting.  

Les principaux éléments en entrée concernent les investissements marketing, les promotions, les calendriers événementiels (vacances scolaires, fêtes, etc.), des séries temporelles ainsi que les données historiques. Les prévisions portent sur 75 000 combinaisons produit/segment de clientèle.

En moyenne ce sont 30 variables qui sont utilisées par modèle. Deux à trois modèles ML sont exécutés par catégorie pour les horizons de planification (deux semaines et trois ans). Cela représente une cinquantaine de jobs et des centaines de millions de prédictions par semaine. Les modèles ont été adaptés suivant les pays et les produits. « Cela a demandé de faire intervenir les métiers, l’IT et les équipes de data science », note Hugo Niel.

Cette trentaine de variables sont définies par un effort de feature engineering.

Ce plus grand nombre de variables permet d’affiner les prédictions. L’automatisation des traitements, elle, fait gagner du temps aux prévisionnistes qu’ils réinvestissent dans la compréhension des enjeux des équipes marketing et ventes. Ils peuvent ainsi participer à l’évolution des modèles.

Une solution d’explicabilité reprise par SAP

Or, ce plus grand nombre de paramètres nuit généralement à l’explicabilité des résultats.

« Dans SAP IBP, la fonctionnalité Analyze Impact on Forecast va permettre de mesurer la contribution de chaque donnée d’entrée à la demande finale », explique Hugo Niel. « C’est une implémentation de la technique SHAP (Shapley Additive exPlanations) ».

Mais avant que SAP propose des outils, Danone et SAPtools ont mis au point leur propre fonctionnalité d’explicabilité.

L’équipe de data science de Danone exploite davantage une simulation. Elle a fait en sorte de décomposer les prévisions en lançant plusieurs modèles en parallèle. Un premier est exécuté sans prendre en compte les promotions ni le marketing afin d’obtenir une « baseline », une prédiction des ventes naturelles. Les autres modèles incluent différents leviers commerciaux.

« En comparant les résultats, on peut calculer la contribution proportionnelle de chaque facteur (baseline, promotions, marketing) au forecast total », explique Jaime Bombi, consultant SAP Digital Supply Chain et cofondateur de SAPtools. Cette méthodologie a ensuite été reproduite par SAP auprès de différents clients.

Le centre d’excellence a accompagné les prévisionnistes pour qu’ils abandonnent petit à petit les méthodes manuelles et adoptent pleinement SAP IBP. « Nous avons remanié nos processus. Nous avons créé de nouveaux rôles, donc des responsables au sein du centre d’excellence et des “Forecast Specialists”, raconte Hugo Niel.

« Un Forecast Specialist travaille les modèles d’IA et s’assure que leurs sorties, les résultats, sont fiables avant d’être envoyé aux prévisionnistes », ajoute-t-il.

Le recours à SAP IBP n’est plus considéré comme un projet. Désormais, le centre d’excellence œuvre avec des organisations cibles pour « l’adoption et l’amélioration continues » des modèles de machine learning.

Il existe des axes d’évolutions, notamment dans la qualité des données promotionnelles. Les équipes de vente n’ont pas encore harmonisé les outils de planification des promotions.

Propos recueillis lors de la Convention USF, le 8 octobre 2025 à Lyon.

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