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GenAI et ML : les secrets de Renault pour sécuriser sa supply chain
Pour prévenir les impacts sur sa production de véhicules, le groupe Renault a mis en place trois tours de contrôle qui exploitent données et modèles d’IA. Le constructeur exploite par exemple la GenAI pour scanner l’actualité et anticiper les incidents logistiques.
L’ambition de Renault Group est de s’imposer comme un constructeur automobile « Next Gen ». Y parvenir suppose entre autres d’atteindre l’excellence dans le domaine de la chaîne logistique. L’actualité a déjà démontré les conséquences d’un problème d’approvisionnement, comme avec les semiconducteurs.
Pour exceller sur la supply chain, l’industriel a donc mis en œuvre des outils et des processus qui visent à sécuriser le cycle complet, depuis les fournisseurs jusqu’aux clients finaux. Mais dans un environnement changeant et un contexte très instable, cette maîtrise de bout en bout s’avère d’une grande complexité.
Un écosystème fournisseurs tentaculaire
À cette complexité s’ajoute celle de la supply chain de Renault. Le constructeur compte 50 000 fournisseurs de Tier-N, situés en amont des 6000 fournisseurs Tier-1 produisant 300 000 références et opérant 3500 transports chaque jour à destination des 26 usines Renault.
Mais la supply ne s’arrête pas dans l’usine. Le groupe fabrique 10 000 véhicules par jour et 2000 sont expédiés au quotidien, partout dans le monde. « Sécuriser une chaîne logistique aussi complexe dans un environnement produit de plus en plus changeant […] a été une de nos priorités », confie Christian Serrano, manager équipe Intelligence artificielle Supply Chain de Renault.
Pour les métiers de la logistique du groupe, le département Data & IA a mis au point trois tours de contrôle digitales qui « surveillent, coordonnent et optimisent toutes les activités logistiques. »
La première (« plan de continuité des activités ») doit à garantir la résilience de l’écosystème fournisseurs. Avec « la logistique pièces », Renault s’efforce de s’assurer de la livraison des composants en temps et en heure dans les usines. La « logistique véhicules » enfin supervise la livraison aux clients.
Dans chacune de ces « control towers », Data et Intelligence artificielle (IA) sont largement exploitées. Et les sources sont multiples. Sur la livraison des pièces, Renault exploite des données de transport et de stock, mais aussi des informations externes, par exemple la météo ou les conditions de circulation. En résumé, les principaux facteurs susceptibles d’impacter l’approvisionnement, et donc la production.
Des cockpits décisionnels pour les logisticiens
Les différentes sources de données alimentent des modèles d’intelligence artificielle, déployés en particulier pour améliorer la fiabilité des estimations d’arrivée des transports et pour générer des alternatives en cas d’incident logistique. Pour ces scénarios alternatifs, un coût et un délai sont calculés.
La tour de contrôle affiche une cartographie – des KPI – et signale par exemple lorsque des camions sont bloqués à cause d’un problème routier. En cas d’impact sur la production, les métiers pourront alors réagir et, par exemple, déclencher une livraison d’urgence des pièces critiques à la continuité de la production.
La logistique véhicules fonctionne de manière comparable en combinant données internes et externes, et grâce à des IA pour calculer l’heure d’arrivée et suggérer des alternatives.
Le constructeur évolue dans un écosystème qui implique une multitude de fournisseurs. Il est dès lors crucial qu’il puisse s’assurer de leur résilience, « susceptible d’être impactée par des évènements » (météo, séisme, etc.).
Renault a donc constitué une base de données relative à l’ensemble de ses fournisseurs Tier-1 et Tier-N, dont leur localisation. « Dans cette énorme base de données » peuvent d’ailleurs se glisser des erreurs de localisation. Pour les corriger, le constructeur a là encore recours à l’IA.
Collecte et analyse de l’actualité des fournisseurs pour anticiper
Ces technologies sont aussi mises à contribution pour traiter et classifier des articles de presse. L’équipe IA de Renault a en effet conçu un système de « media screening » pour identifier des évènements qui présentent des risques pour la supply chain. « Nous pouvons, beaucoup plus en avance que par le passé, lancer des enquêtes sur les fournisseurs concernés pour anticiper », précise Christian Serrano. « Nous avons l’information plus tôt, ce qui nous permet d’engager des actions et de manager le risque ».
Pour permettre une anticipation, le Media Screening se doit d’être le plus automatisé possible. Il doit aussi restituer une information « ciblée et pertinente » sur la base de « sources multiples et variées », indique Pierre Virgaux, Data Scientist du groupe.
« Nous ne pouvons pas analyser 10 000 articles par jour. Il faut donc filtrer. » Or, la pertinence relève de la subjectivité. Sa définition a été affinée au travers de discussions avec le métier, réduisant les faux positifs. Pour ce projet, l’équipe IA a créé « tout un pipeline » d’opérations qui fait intervenir plusieurs modèles de Machine Learning, mais aussi d’IA générative.
Parmi celles-ci, la collecte des articles et leur traduction dans une langue unique, en l’occurrence l’anglais. « Les modèles de langue […] ont été majoritairement entraînés sur des textes en anglais. Leurs performances sont donc généralement supérieures dans cette langue », justifie l’expert en data science.
« Cela nous oblige à rajouter une brique [Ndlr : de traduction], et donc du temps et des coûts, mais nous améliorons nos performances », poursuit-il. Viennent ensuite les étapes d’embedding (de vectorisation) et de clustering – pour regrouper les articles similaires.
Le pipeline comprend aussi du RAG itératif ce qui permet d’extraire de l’information des articles, de faire matching (rapprochement avec la base fournisseurs), du filtrage, et enfin de générer un résumé. Cette dernière tâche est source de gain de temps pour le métier puisqu’elle va synthétiser un contenu sans qu’il soit nécessaire de le lire intégralement.
Renault combine donc, dans son processus automatisé, GenAI et ML. « Un parti pris » assumé « pour gagner en performance. » Pour le métier, le résultat du media screening est restitué via un mailing et sous forme d’un rapport BI.
ML et GenAI combinés pour accroître les performances
Machine Learning et GenAI s’avèrent totalement complémentaires. Grâce au clustering, effectué via du ML, Renault évite la multiplication des alertes sur un même sujet. À cette fin, les articles sont vectorisés. Cette étape permet à l’algorithme de clustering classique de regrouper les contenus et donc d’identifier des thèmes.
L’opération ouvre ensuite la possibilité de recourir à du RAG. « Nous avons commencé avec un RAG classique », déclare le Data Scientist. Les performances étant insuffisantes. Il lui a été substitué un RAG itératif. Celui-ci fonctionne, comme son nom l’indique, par itérations successives.
« Nous allons par exemple commencer par demander le nom de l’entreprise au modèle de langage, puis nous le réinjectons dans le prompt d’après », explicite Pierre Virgaux. La date constitue une autre donnée qui peut être injectée.
Cette approche vise à gagner en précision. Elle nécessite en contrepartie d’effectuer plusieurs requêtes, ce qui génère des coûts supérieurs en comparaison d’un RAG classique. Au total, quatre prompts par groupe d’articles sont nécessaires.
« Le choix d’utiliser un RAG et de ne pas tout mettre dans le contexte, c’est pour obtenir seulement les parties de l’article qui nous intéressent ». Néanmoins, le media screening reste « un challenge pour l’informatique et pour le métier. »
Des résultats difficiles à évaluer, mais encourageants
D’ailleurs, les résultats sont encore considérés comme « difficiles à évaluer. » Des bases sont malgré tout posées. « Nous espérons pouvoir mieux industrialiser le framework technique et élargir nos sources de données », annonce le data scientist de Renault.
Les évolutions ne concernent, en outre, pas seulement la tour de contrôle dédiée aux fournisseurs. L’équipe IA supply prévoit en effet d’adapter le module de media screening pour ces deux autres « control towers », mais aussi d’étendre l’utilisation de l’IA générative dans le but « de faciliter l’interaction et la gestion des alertes » dans les outils de supervision.
En matière de logistique, Renault envisage enfin d’automatiser certaines actions, comme un dépannage dont le montant ne dépasserait pas un plafond défini.
Autant de projets qui s’appuient sur des années de travail en amont. « Nous avons passé des années à digitaliser les process, à construire des SI sur lesquels s’appuyer pour la production, le suivi des camions, la planification du transport (…) C’est cela qui nous a permis de développer les tours de contrôle en un temps relativement court. », résume Christian Serrano.