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Renault teste la blockchain pour assurer la conformité de ses véhicules

Le groupe automobile veut associer ses fournisseurs – dont Faurecia – pour mieux assurer la certification de ses véhicules et devenir plus réactif grâce à une blockchain privée, XCEED, qui s’appuie sur Hyperledger et IBM. Plusieurs points clefs du projet restent confidentiels.

Pour un constructeur automobile comme Renault, la certification et la conformité sont des enjeux cruciaux. Or dans ce domaine, la blockchain peut apporter une nouvelle forme d’efficacité et de réactivité.

La traçabilité en matière logistique a d’ailleurs été une des premières applications de la blockchain. Aujourd’hui, avec le projet XCEED (pour eXtended Compliance End to End Distributed), Renault met en œuvre un cas d’usage plus sophistiqué, visant à certifier la conformité des composants d’un véhicule, de la conception à la production, grâce à une blockchain.

« Il semble qu’on soit un peu en avance sur le choix de ce cas d’usage. Tout le monde a pensé à la logistique. Dans notre cas, nous travaillons sur la traçabilité de certification de conformité. C’est un usage auquel tout le monde pense, mais qui reste au niveau de l’idée pour l’instant, car cela implique davantage de fonctions dans l’entreprise que pour la seule supply chain », explique Odile Panciatici, Vice-présidente blockchain du Groupe Renault, au MagIT. « Quand on parle de certification et de conformité, c’est beaucoup plus transversal, donc c’est moins trivial que de faire de la traçabilité simple de pièces ».

Hyperledger et IBM

Initié mi-2018, le projet a d’abord fait l’objet du choix technologique, puis du partenaire. La technologie open source Hyperledger Fabric, plutôt mature, s’est révélée la plus appropriée d’après Renault, du fait qu’elle devait supporter des échanges de grands volumes de données sur un large réseau. Pour mémoire, Hyperledger est une blockchain dite « avec permission », ou « privée », contrairement aux blockchains publiques comme celle du bitcoin. Dans une blockchain privée, il existe une gouvernance, définie en amont par les membres qui la mettent en place, pour définir l’acceptation d’éventuels nouveaux membres.

Dans un deuxième temps, IBM a été désigné comme partenaire, au regard de son expérience en termes de projets blockchains de vaste envergure, tel Food Trust, explique Renault.

Les tests ont débuté avec six équipementiers, dont Continental, Faurecia et Saint-Gobain. L’objectif est d’accueillir sur cette plateforme – accessible via un portail Web – tous ceux qui y trouvent de la valeur dans l’écosystème automobile.

« L’intérêt de la blockchain est de mettre un lien directement avec ses bases de données, de manière sécurisée. »
Odile PanciaticiVP blockchain, Groupe Renault

« Aujourd’hui, un fournisseur adresse plusieurs OEM. Pour chaque échange d’information, il doit s’adapter à un portail d’interface différent », explique Odile Panciatici. « Chaque OEM et chaque fournisseur a sa propre procédure, et nous passons notre temps à faire des matrices de transformation d’un processus à l’autre […] à échanger les données sous forme de fichiers Excel ou autres. Ce ne sont pas des échanges de données en direct, contrairement à ce que permet la blockchain. Celle-ci va apporter de la valeur à chacun des membres. L’intérêt de la blockchain est de mettre un lien directement avec ses bases de données, de manière sécurisée ».

Faurecia – qui fait partie de ce projet – avait lancé une initiative assez similaire. « Quand un fabricant automobile comme Renault conçoit un nouveau véhicule, il crée un grand fichier Excel de 15 à 20 000 lignes auxquelles sont associées des étapes de conception sur trois à cinq ans. Chacune de ces lignes fait interagir un fournisseur ou un OEM. Il y a une complexité de construction phénoménale », décrivait alors Grégoire Ferré, Chief Digital Officer chez Faurecia, lors d’un Octo Talks en mars 2019 auquel avait assisté LeMagIT.

« La blockchain nous permet de réduire la complexité liée à la planification des produits, de réduire le temps d’interaction entre les OEM et le fournisseur et ainsi d’abaisser les coûts de construction », entrevoyait déjà Grégoire Ferré. Cette blockchain en devenir était motorisée par Corda de R3.

Volkswagen a de son côté choisi de construire une plateforme de partage de données et d’applications sous la forme d’un PaaS et de connecter ses usines via le cloud d’AWS. Le constructeur allemand a lui aussi, par le passé, testé Hyperledger pour certifier la provenance des matières rares qu’il utilise pour fabriquer ses batteries de véhicules électriques.

Première pierre d’un écosystème

Chez Renault, les gains de temps avec la blockchain sont variables. Ils dépendent beaucoup des fournisseurs et de leur système de traçabilité. Certains n’ont pas forcément un SI très élaboré et leur méthode de traçabilité peut être plus ou moins manuelle.

Il n’empêche, pour Renault, on observerait au final des délais de traitement qui se comptent en minutes et non plus en jours.

Au-delà de ce premier objectif lié à la conformité, le but de XCEED est aussi de faciliter les opérations de supply chain. Par exemple, elle doit permettre de se rendre compte qu’un fournisseur rencontre des problèmes pour livrer certaines pièces, laissant à Renault le temps de trouver une alternative. Le groupe automobile cherche ainsi à obtenir une vision globale de la conception à la production d’un véhicule.

XCEED semble en tout cas être une première pierre à la formation d’un écosystème autour du fabricant de Boulogne-Billancourt.

Tous les métiers du groupe impliqués

L’ensemble des fonctions du groupe Renault ont été impliquées autour de XCEED : ingénierie, fabrications, achats, logistique.

Un premier nœud a d’abord été déployé à l’usine de Douai. Le système a alors permis de certifier plus d’un million de documents à la vitesse de 500 transactions par seconde, dixit IBM.

Odile Panciatici ne souhaite pas préciser si d’autres sites industriels du groupe intégreront ce réseau de confiance. Ce qui est clair en revanche, c’est que dans un souci de simplification, Renault a choisi dans un premier temps un cloud unique (celui d’IBM). Mais le constructeur s’est aussi assuré que le système était bien agnostique en matière d’hébergement cloud, en validant sa compatibilité avec d’autres fournisseurs (Renault utilise notamment Google Cloud – GCP – et Microsoft Azure).

Plusieurs nœuds sur plusieurs clouds, mais encore beaucoup de détails confidentiels

Combien de nœuds sont aujourd’hui actifs dans le consortium ? Difficile à dire. Les participants au projet ne communiquent pas sur ce point. Mais des nœuds XCEED auraient bien déjà été installés sur « plusieurs clouds et environnements des participants », affirme Luca Comparini, responsable blockchain pour IBM France.

« Nous avons étendu le réseau initialement sur le cloud IBM avec des nœuds GCP », renchérit Mathilde Ffrench, ingénieure logiciel senior, spécialisée dans la blockchain chez IBM France.

Renault veut en tout cas clairement ouvrir cette blockchain à de nombreux autres acteurs qu’ils gèrent un nœud ou pas. « Une plateforme comme XCEED permet, quel que soit le rang d’un fournisseur dans la chaîne de valeurs, d’être un partenaire, d’avoir la possibilité se connecter […] et donc de bénéficier d’un système d’information relativement puissant », s’enthousiasme Odile Panciatici. Bien sûr, plus le nombre de partenaires présents sur la blockchain sera élevé, plus les avantages de cette intelligence collective seront palpables.

Rassurer autorités et clients

L’argument est d’autant plus critique que, suite aux tricheries en matière de pollution des moteurs diesel de certains constructeurs, la transparence devient essentielle (par exemple dans les matériaux utilisés).

Soupçonné à plusieurs reprises, Renault assure n’avoir jamais utilisé de logiciels tricheurs et a proposé au début de l’année 2018 des mesures pour réduire les émissions d’oxydes d’azote (NoX) de ses véhicules. La certification apportée par la blockchain doit aider à ôter tout doute dans l’esprit des autorités et dans celui des clients eux-mêmes.

Autre élément clef : une nouvelle réglementation européenne proposée en 2016 est entrée en vigueur au premier septembre 2020. Elle vise à renforcer la surveillance du marché et impose surtout un accès aux protocoles logiciels des constructeurs. En cas de non-conformité, les sanctions économiques prévues sont lourdes (jusqu’à 300 000 euros d’amende par véhicule).

Dans cette optique, le gouvernement français a créé le service du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM), doté d’un budget de 5 millions d’euros. Ce service réalisera une centaine d’essais par an. Le projet XCEED faciliterait aussi le respect de ce règlement. Reste au groupe automobile à confirmer publiquement s’il le déploiera à l’échelle – ou s’il l’est déjà – et dans quelle envergure (France, Europe, Monde).

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