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La mode, un secteur sous-digitalisé, mais en progression
Surproduction et mauvaise qualité sont considérées comme les principaux handicaps de l’industrie de la mode, avec des conséquences environnementales. Un recours accru à des technologies, en particulier prédictives, pourrait contribuer à améliorer le bilan du secteur.
La mode, une industrie verte ? Le chemin s’annonce long pour prétendre à ce qualificatif. Entre 1996 et 2012, la quantité de vêtements achetés dans l’Union européenne (UE) a augmenté de 40 %, mesure l’Agence européenne pour l’environnement.
Cette « frénésie de consommation » est mondiale depuis les années 2000 et l’émergence de la fast-fashion ne fait que l’accentuer. Pour Marina Spadafora, Global Fair Fashion Ambassador, le secteur souffre de deux maux principaux, qui sont la surproduction et la mauvaise qualité des produits.
Des problèmes identifiés et « très urgents »
Il résulte de ces pratiques une quantité croissante de déchets, aboutissant au fait que « la mode est l’une des industries les plus polluantes du monde. » Selon l’experte, interrogée lors d’une table ronde organisée par Lectra, il est essentiel que « les marques modifient leurs manières de produire, de concevoir et de suivre la production. »
Les problèmes identifiés « sont urgents ». Comment les solutionner ? Par le biais notamment des technologies, note Adeline Dargent, déléguée générale du syndicat de Paris de la Mode Féminine et responsable RSE de la Fédération Française du Prêt-à-porter Féminin.
Des investissements technologiques sont donc à consentir. Cependant, le « contexte économique très tendu », notamment en France, ne favorise pas de telles dépenses. « Beaucoup d’entreprises sont préoccupées par leur viabilité à long terme », ce qui est en outre de nature « à ralentir la mise en œuvre d’une stratégie RSE. »
Adeline DargentDéléguée générale, syndicat de Paris de la Mode Féminine
Les outils informatiques ne sont pas absents pour autant. Ils interviennent par exemple déjà dans l’optimisation de la découpe (des tissus), permettant ainsi d’économiser de la matière. Cependant, d’autres solutions sont désormais nécessaires, notamment pour assurer la traçabilité et ainsi une meilleure compréhension de la chaîne de valeur.
« L’anticipation fait aussi partie des stratégies adoptées », déclare Adeline Dargent. « Les outils prévisionnels basés sur l’IA devraient être davantage utilisés pour aller vers une mode sur demande ou vers l’écoconception », poursuit-elle.
L’IA pour une mode plus à la demande
Agnès Kiss, directrice Stratégie de Lectra, estime que le secteur progresse dans son usage des technologies. « Beaucoup de progrès restent à faire », ajoute-t-elle, la mode demeurant « l’un des secteurs les plus sous-digitalisés. »
Mais comment concrètement le numérique peut-il contribuer à la santé économique et environnementale de cette industrie ? Pour la dirigeante de l’éditeur, en fournissant une vision plus fine du marché.
La prévision des tendances et des ventes ainsi que la planification des collections aideraient ainsi les marques à aligner la conception de leurs produits avec « les opportunités de vente ». À la clé, une adéquation de la demande et de l’offre.
« Vous pouvez réduire le surstock et la surproduction. Et cela a des avantages économiques et environnementaux », souligne Agnès Kiss. Le prédictif et l’IA constituent une partie de la réponse. La 3D trouve aussi, et déjà, des applications dans la mode (essayage virtuel et confection).
Les solutions dites omnicanal et du domaine de la supply chain sont aussi mises en avant pour leur apport en matière de traçabilité et de transparence. « C’est dans ce domaine qu’il y a le plus d’investissements actuellement ».
Automatisation de l’analyse concurrentielle par l’IA
Ces outils ont pour fonction « d’aider les entreprises à retracer leurs vêtements tout au long d’une chaîne logistique très fragmentée ». Pour la représentante de l’industrie de la mode, l’IA constitue néanmoins la technologie générant le plus grand impact – « même si l’utilisation de la blockchain pour la traçabilité est intéressante. »
Les usages de l’IA pour le secteur concernent notamment la connaissance des consommateurs et de leurs comportements d’achat, mais aussi de la concurrence. En exploitant l’IA, l’éditeur Retviews fournit ainsi aux entreprises des données (dont des historiques) « activables » pour concevoir leurs collections et fixer leurs prix.
Selon Martin Van Den Abeele, spécialiste Market Intelligence, les marques ont aussi besoin d’informations supplémentaires, sur les matières et les stocks par exemple. L’IA est donc appliquée à l’intelligence de marché et à l’automatisation de l’analyse concurrentielle.
Les données de marché, y compris sur les prix, leur évolution dans le temps, ou encore sur la composition des produits, sont présentées comme clés « pour élaborer la gamme et la stratégie de gamme les plus pertinentes ».
Pas d’amélioration durable sans nouveau modèle économique
Les informations agrégées permettent par exemple de décrypter les goûts des consommateurs dans le domaine des pantalons en denim, cite Martin Van Den Abeele. « Nous savons que les jeans coupe droite et baggy sont plus tendance que les jeans skinny ».
L’état de la tendance signifie des ventes à plein tarif pour les jeans coupe droite et au contraire des ventes en période de solde pour les modèles skinny, détaille-t-il pour illustrer la valeur des données et leur traitement via l’IA.
En matière de durabilité, la connaissance du marché se traduit par une réduction des déchets, des stocks et des risques de surproduction.
Toutefois, prévient la directrice Stratégie de Lectra, les changements structurels dans la mode, c’est-à-dire les plus profonds, ont (auront) d’abord pour source une évolution des modèles économiques – au profit par exemple de modèles circulaires et d’un approvisionnement basé sur la demande.