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VINCI Construction mise sur le Big Data pour diminuer ses émissions de CO2

Le groupe industriel français veut réduire de 40 % son scope 1 et 2. Élément clef de ce projet : ses usines d’enrobés (revêtement pour les routes) qui représentent une grande part de ses émissions de gaz à effet de serre. Pour y arriver, VINCI Construction a affiné sa connaissance de ses processus opérationnels grâce à l’IoT dans une stratégie Big Data. Prochaines étapes : des jumeaux numériques, et le scope 3.

Cet article est extrait d'un de nos magazines. Téléchargez gratuitement ce numéro de : Applications & Données: Applications et données 18 – Numérique durable : comment la DSI peut agir

« On ne réduit pas, ce que l’on ne mesure pas ». En une phrase, Camille Vaneenoge résume le projet de VINCI Construction. Le groupe industriel a décidé d’utiliser le big data, l’analytique, la Data Viz et demain les jumeaux numériques pour traquer – et donc réduire – ses émissions de gaz à effet de serre (GES).

Une de ses activités très énergivores joue un rôle particulier dans ce projet : les enrobés.

Les enrobés : 25 % des émissions de VINCI Construction

« La construction est un secteur qui pollue beaucoup parce qu’il utilise beaucoup d’énergie », resitue Camille Vaneenoge, Data Lab & Innovation Manager chez VINCI Construction. Mais, ajoute-t-elle lors du salon Big Data Paris 2022, « tout le monde dans le secteur s’engage pour atteindre [les critères] de l’accord de Paris ».

Concrètement, pour le groupe français international, l’objectif est de réduire ses émissions directes (Scope 1 et 2) de 40 %, mais aussi de 25 % ses émissions indirectes (le Scope 3, c’est-à-dire les émissions des fournisseurs, des partenaires, du recyclage, etc.).

Pour atteindre ces objectifs, VINCI Construction s’est penché sur ses différentes activités pour déterminer celles qui étaient les plus grosses sources de pollution. Parmi elles, et même si elles sont loin derrière les engins de chantier (40 % des émissions du groupe), les industries – principalement « l’enrobé » – représentent 25 % de ses GES – à égalité avec ses véhicules (camions et voitures). Les 10 % restant venant des bâtiments.

L’enrobé est la matière qui couvre les routes : un mélange de gravier, de sable et de bitume. Une des étapes clefs de sa fabrication est le passage dans un sécheur. « C’est une grosse flamme qui sèche tout », vulgarise Camille Vaneenoge, « et qui dit grosse flamme dans un tambour ; dit forcément combustible fossile ».

Des données, mais pas assez pour agir

Problème, la granularité des données dont disposait VINCI Construction sur ses sites de productions était trop faible pour comprendre en détail sa consommation et la réduire. En fait, le groupe n’avait – peu ou prou – que des factures mensuelles d’énergie.

Pour tenter d’aller plus loin, Camille Vaneenoge et ses équipes listent alors les sources déjà disponibles dans les usines et identifient celles dont le groupe aura besoin (et dont il ne dispose pas encore).

« La première est l’automate de l’usine. On y trouve des informations de production : les débits (combien on produit de tonnes par heure), la formule (on ne met pas le même enrobé sur une piste d’atterrissage que sur une petite route de campagne) ou la température à laquelle on produit », explique Camille Vaneenoge.

Mais l’automate s’arrête là. Impossible de l’utiliser pour remonter, en temps réel, la consommation ou pour identifier les types de gaz ou d’électricité utilisés par tel ou tel site, partout dans le monde.

Au fondement du Big Data : des capteurs et du retrofitting de machines industrielles

Pour compléter cette connaissance générale de la production, VINCI Construction mise alors sur l’IoT avec un partenaire, Avanade, pour collecter une information plus précise et plus en continu.

« La partie IoT est toujours passionnante, mais aussi difficile avec le fameux “dernier kilomètre”. Il faut être malin. »
Jean-Pierre RiehlTechnology Innovation Lead, Avanade

En plus des consommations d’énergie, les capteurs déployés doivent pouvoir, dans un second temps, mesurer d’autres facteurs comme l’oxygène, l’humidité ou encore les poussières : « quand on chauffe des cailloux et qu’on les remue, on crée beaucoup de poussière. Un filtre les capte et les remet dans l’enrobé pour ne pas polluer », explique la manager.

Mais déployer des capteurs oblige à mettre les mains dans le cambouis des machines, et tout n’est pas possible, avertit Jean-Pierre Riehl, Technology Innovation Lead chez Avanade. « À l’ère du Big Data, on pourrait se dire qu’on peut tout récupérer, avec la granularité la plus fine », lance-t-il. Mais le réel reprend souvent le dessus.

Installer des capteurs oblige en effet souvent à faire du retrofitting. Et toutes les informations ne sont pas forcément mesurables. Il faut aussi parfois envisager d’autres options technologiques, comme la computer vision pour compléter les données directement issues des machines.

Le réseau sur site, problématique clef de l’IoT industriel

À la problématique des capteurs s’ajoutent celles du réseau. Comment relier ces capteurs à « la cabine où l’on collecte les données ? », questionne Camille Vaneenoge. La réponse est simple sur le papier. Pas sur le terrain.

« La partie IoT est toujours passionnante, mais aussi difficile avec le fameux “dernier kilomètre” [N.D.R. : entre le concentrateur et les capteurs] », confirme Jean-Pierre Riehl. « Il faut être malin », continue-t-il.

Il faut à la fois connaître l’ensemble des protocoles et leurs limites, et l’environnement et ses contraintes – des environnements qui varient énormément d’un site à l’autre. « On constate souvent qu’un même industriel a des usines différentes parce que c’est très souvent le directeur industriel qui a le dernier mot sur l’aménagement et le câblage de l’usine », confirme l’expert d’Avanade. L’existant qui évolue au fil du temps (nouvelles machines et nouveaux câbles) ajoute à cette diversité.

VINCI Construction ne fait pas exception. Dans certaines de ses usines, les câbles étaient déjà installés. Dans d’autres, non. Les solutions ont varié (et continuent de varier) d’un site à l’autre. « C’est une difficulté du projet, il faut s’adapter à chaque usine », confirme Camille Vaneenoge.

Le groupe a même essayé ponctuellement des technologies sans fil… avant d’abandonner. « Nous n’avons toujours pas trouvé de techno pour faire du sans-fil en temps réel [N.D.R. : pour remonter des données toutes les cinq secondes] dans un contexte industriel où l’on n’a pas toujours le bon accès à l’électricité au bon endroit », constate la responsable avec le recul.

Pour l’instant, le groupe creuse donc des tranchées et passe des fils. Mais quand la distance dépasse 100 mètres, « les impulsions se perdent » (dixit Camille Vaneenoge) et il arrive de récupérer plus de bruit que d’informations. « C’est là qu’on est obligé de ruser un peu en passant par d’autres protocoles », confie la responsable.

Les données, en revanche, sont centralisées, quel que soit le site, sur un contrôleur PFC 200 de chez Wago qui transfère les informations locales (le « edge ») vers le cloud d’Azure.

« Value or Trash » : remonter toutes les données puis trier

VINCI Construction a fait le choix de compulser le plus d’informations possible. Ce qui ne signifie pas pour autant que toutes les données seront conservées.

« L’intéressant, ce sont des KPIs avancés qui ont besoin d’être calculés [dans le cloud] ; pas une information analogique d’un composant isolé de l’équipement. »
Jean-Pierre RiehlTechnology Innovation Lead, Avanade

« L’idée était de tout récupérer. Parce que tant qu’on ne les a pas analysées une première fois, il est difficile de savoir quelles données sont vraiment utiles », justifie Jean-Pierre Riehl. Certaines informations pourraient par exemple améliorer les recettes d’enrobés ; d’autres, l’efficacité d’une usine. Mais impossible de dire en amont lesquelles ont ces potentiels.

Les données sont donc toutes remontées et mises à disposition dans une stack Azure pour y être traitées. « Ce qui nous intéresse, ce sont des KPIs un peu avancés [N.D.R. : comme la consommation énergétique par unité de production] qui ont besoin d’être calculés [dans le cloud] ; ce n’est pas d’avoir une information analogique d’un composant isolé de l’équipement », explicite l’expert d’Avanade.

Dans un second temps, un tri est fait dans les données brutes – un travail de « value or trash » (sic) – pour garder une volumétrie raisonnable.

« On ne jette pas non plus la donnée », nuance néanmoins Jean-Pierre Riehl. « Mais on va très vite identifier celles qui ont de la valeur ».

Chaud vs Froid : indicateurs temps réels & analytique historique

Aujourd’hui, chez VINCI Construction, deux grands cas d’usages sont faits de ces « données à valeur » envoyées par les Wago dans Azure : une analyse à chaud et une analyse à froid.

La première consiste en des tableaux de bord « instantanés » pour le pilotage en usine. Ces dashboards « chauds » (qui remontent sur six jours de données) sont réalisés avec une application web et Azure SignalR Service.

Résultat tangible : « un opérateur terrain est aujourd’hui capable de voir en temps réel un KPI très important chez nous : les kilowattheures consommés par tonne d’enrobés produite », partage Camille Vaneeoge. L’objectif du groupe étant de ne pas dépasser 70 kilowatts/heure par tonne. « Forcément, il y a de grosses différences d’une usine à l’autre. [Mais] maintenant, au lieu d’avoir l’information au moment de la facture, on l’a en temps réel. C’est-à-dire qu’on est capable d’agir dessus », se réjouit la responsable.

Le deuxième cas d’usage est de l’analytique historique « froide », avec Power BI.

« Maintenant, au lieu d’avoir l’information au moment de la facture, on l’a en temps réel. C’est-à-dire qu’on est capable d’agir dessus. »
Camille VaneenogeData Lab & Innovation Manager, VINCI Construction

Ces données sur le passé (avec une granularité à la journée, voire à l’heure) permettent par exemple d’identifier les usines qui se sont comportées mieux que les autres. Puis de chercher pourquoi. « [Là] j’ai mis des hangars sur mes matériaux, ce qui fait qu’ils prennent moins l’humidité. Du coup, j’ai besoin de moins les chauffer, donc je consomme moins d’énergie », illustre Camille Vaneeoge qui en a tiré une conclusion opérationnelle : « il est peut-être temps d’investir pour faire la même chose avec les autres usines de cette région ».

Autre exemple, VINCI Construction est capable de déterminer les formules d’enrobés qui consomment le plus. Et, là aussi, de prendre des décisions : arrêter cet enrobé, changer sa formule, ou utiliser une formule équivalente moins énergivore (si elle existe).

Au total, dans le groupe, trois cents analystes s’appuient sur les données historiques pour améliorer l’impact écologique du groupe, au-delà des enrobés.

Jumeaux numériques : la continuité du Big Data et DataViz en 3D

Étape suivante dans la réduction de ces GES, VINCI Construction a commencé à modéliser des jumeaux numériques et à constituer une anthologie.

 Dans ce cas, « le jumeau numérique est une contextualisation des informations qui remontent du terrain, pour leur donner un sens et trouver de nouveaux leviers d’actions » pas forcément évidents à trouver avec les données seules, explique Jean-Pierre Riehl.

Quant à l’ontologie, « c’est exactement comme un modèle sémantique en BI », compare l’expert, « sauf qu’elle est très liée aux processus, aux personnes et aux équipements. On modélise ce qu’est un chantier, une usine, ou la production ».

« On s’est rendu compte, au fur et à mesure qu’on avançait, que l’on avait de plus en plus de données très contextuelles, très liées à l’usine », raconte Camille Vaneeoge.

« Plutôt que d’organiser les données dans une table, les jumeaux numériques permettent de les organiser autour d’une usine, [...] et de comprendre plus facilement ce qu’on fait. »
Camille VaneenogeData Lab & Innovation Manager, VINCI Construction

« Typiquement, le nombre de doseurs (ces entonnoirs qui dosent le nombre de cailloux qui vont sur le tapis) – un nombre qui varie d’un site à l’autre. Ou le facteur d’émission de telle ou telle usine. En fonction du pays, par exemple, l’électricité ne va pas émettre le même carbone. En France, on est relativement décarboné avec le nucléaire, mais en Allemagne, il y a encore des usines charbon lignite ».

Ces « données référentielles », propres à une usine, ne remontent pas des capteurs, mais sont présentes dans d’autres sources.

« C’est là que le digital twin a commencé à avoir du sens pour nous. Plutôt que d’organiser les données dans une table, les jumeaux numériques permettent de les organiser autour d’une usine et de mieux les visualiser ; ce qui permet aussi de comprendre beaucoup plus facilement ce qu’on fait et comment on va évoluer », résume la responsable. De la Data Viz en 3D en quelque sorte.

Le chantier des jumeaux numériques est en cours, avec une modélisation encore rudimentaire, « mais l’idée à terme, c’est d’être capable carrément d’aller dans la maquette 3D », entrevoit-elle déjà.

L’enjeu du Scope 3

Quant au Scope 3 (émissions indirectes), il reste un enjeu majeur pour VINCI Construction.

« On est en train de plancher dessus », confie Camille Vaneeoge. « Le scope 1, est globalement un scope qu’on peut maîtriser. C’est chez nous. Mais le scope 3, par définition, ce n’est pas chez nous. C’est une grosse difficulté ».

La piste explorée aujourd’hui par le groupe est celle de la facturation. « Quand on paie un fournisseur, il nous envoie une facture qui nous dit combien ça coûte en euros. Il faut aussi qu’il nous dise combien ça coûte en CO2… Mais, on n’en est encore qu’au tout début ». La route est longue vers la diminution des gaz à effets de serre. Une route sans enrobé celle-là.

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