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Coup de tonnerre dans le stockage : Broadcom abandonne les vVols

Cette fonctionnalité servait à conjuguer simplement un cluster de machines virtuelles VMware avec la baie de disques d’un autre fournisseur. Sans elle, les utilisateurs se retrouvent contraints d’utiliser vSAN, c’est-à-dire acheter leur stockage chez Broadcom.

Broadcom éliminera la fonctionnalité des vVols dans la prochaine mise à jour 9.1 de VMware Cloud Fondation (VCF) et VMware vSphere Foundation (VVF). Officiellement, le fournisseur considère que cette fonctionnalité de stockage n’a jamais été beaucoup utilisée. Officieusement, les analystes estiment qu’en abandonnant le principe des vVols, Broadcom se débarrasse de l’obligation de partager ses revenus avec des fournisseurs de stockage tiers tels que Pure Storage, NetApp, HPE et autres Dell.

« En clair, Broadcom explique à ses clients que tout est dans la suite qu’il leur vend et qu’ils n’ont plus à chercher des fonctions supplémentaires chez quelqu’un d’autre. Cela renforce l’importance de la technologie de stockage maison vSAN et augmente la dépendance des entreprises à la seule pile logicielle de VMware », estime l’analyste Brent Ellis, de Forrester, au micro de nos confrères de SearchStorage.

La fonctionnalité vVols a été lancée dans la seconde moitié des années 2010 pour simplifier l’allocation de ressources de stockage issue d’une baie de disques externe. Avant elle, les administrateurs de clusters VMware devaient passer par un système de volumes VMFS très rudimentaire. Simultanément à la sortie de la fonctionnalité vVols, VMware a aussi commercialisé vSAN, un module de stockage aussi simple que les vVols, mais qui, lui, permet de se passer complètement d’une baie de disques externe.

Au moment de ces lancements, VMware était une filiale plus ou moins indépendante du fournisseur de stockage EMC, tout juste racheté par Dell. Il s’agissait alors, pour gagner des parts de marché, de montrer patte blanche en favorisant la compatibilité de cette suite de virtualisation avec toutes les solutions de stockage concurrentes de celles de sa maison mère. Mais aussi de pouvoir fonctionner avec un stockage autonome, le cas échéant.

Dell s’est finalement séparé de VMware en 2021. L’éditeur abandonné à son sort a ensuite été avalé par le fabricant de puces Broadcom fin 2023, lequel fait preuve depuis lors d’une avidité peu commune pour rentabiliser son achat. Cela comprend l’augmentation significative du prix des licences et la rupture avec nombre de partenaires. D’ailleurs, la solution de virtualisation de serveurs, encore numéro 1 parmi les logiciels qui motorisent les datacenters, a été repensée pour avoir un fonctionnement le plus autonome possible.    

La fonctionnalité des vVols ayant été imaginée pour générer une dynamique de bundles entre VMware et les fournisseurs de baies de disques, il n’est pas si surprenant que Broadcom décide de l’éliminer.

La perte d’un bénéfice majeur pour les clients ?

L’abandon des vVols est un tremblement de terre pour les services informatiques chargés de déployer et de maintenir des clusters VMware. Il leur coupe l’accès à une facilité très importante dans leur travail.

« Franchement, je détesterais revenir à VMFS après avoir utilisé les vVols. J'aime la suppression instantanée des snapshots avec les vVols, là où VMFS propose des fusions de snapshots lentes et sujettes aux erreurs », témoigne par exemple un utilisateur sur un forum Reddit dédié aux clients de VMware.

Avec les vVols, l’administrateur configure dans la console vCenter de VMware un jeu de règles (accès bloc ou fichiers, bande passante, fréquence des snapshots, etc.) qui caractérise le volume qu’il souhaite mettre à la disposition d’une VM. Ensuite, la fonctionnalité communique avec les baies de disques de fournisseurs partenaires pour tout paramétrer automatiquement, à l’endroit le plus opportun. L’administrateur indique simplement dans vCenter quel jeu de règles vVol va de pair avec quelle VM. Un jeu d’enfant.

Sans les vVols, obtenir le même résultat est autrement plus alambiqué. L’administrateur doit intervenir sur la baie de disques d’un constructeur tiers pour y partitionner des volumes et paramétrer leurs caractéristiques afin de répondre le mieux possible aux besoins des différents types d’applications qui s’exécuteront en machine virtuelle dans le cluster VMware.

Les volumes en question, des VMFS, doivent contenir à la fois les images-disques VMDK utilisées par les VM (disques de boot, disques de données, etc.), mais aussi tout ce qui a trait au fonctionnement de chaque machine virtuelle : leur configuration, leurs snapshots, etc.

C’est d’autant plus compliqué à faire et à maintenir qu’un volume VMFS peut servir à plusieurs VM et qu’une VM peut être liée à plusieurs volumes VMFS. En pratique, l’administrateur doit s’arracher les cheveux pour faire correspondre dans la console vCenter des VM avec des numéros de périphériques de stockage (des LUN). Le risque de commettre une bourde est très élevé.

La simplicité est désormais l’exclusivité du coûteux vSAN

La notion compliquée de LUN a complètement disparu avec les vVols. Et, d’ailleurs, on parle dans ce cas de « containers de stockage », ou de « datastores », plutôt que de « volumes » pour exprimer à quel point le dispositif est plus flexible. Par exemple, il est même possible de modifier les règles d’un vVol en cours de route.

Enfin, de la simplicité de configuration des vVols a découlé toute une série d’opérations de maintenance qui ont paru subitement plus fiables, essentiellement parce que l’erreur humaine est moins possible.

Désormais, toute cette facilité est l’exclusivité du module vSAN. Celui-ci agrège tous les disques présents dans un cluster VMware sous la forme d’une seule grosse baie de disques virtuelle, dans laquelle l’administrateur définit, aussi simplement qu’avec les vVols, des containers de stockage par VM.

Supprimer les vVols signifie donc soit revenir à la technique totalement décourageante des volumes VMFS, soit passer à vSAN et cesser d’utiliser des baies de disques externes. Problème, les utilisateurs estiment que vSAN est bien moins avantageux que des baies externes :

« vSAN est gourmand en processeur et en RAM. Il faut donc acheter des serveurs supplémentaires pour supporter ses besoins en plus d’exécuter les machines virtuelles. Des serveurs supplémentaires qui coûtent aussi des licences VCF supplémentaires. Qui plus est, il faut équiper vSAN des SSD NVMe les plus chers pour compenser ses défauts de compression et d’efficacité par rapport aux baies de de stockage de Dell, NetApp, HPE, Hitachi Vantara et consort », écrit un autre client de VMware sur le forum Reddit.

Les vVols posaient un problème commercial à Broadcom

La cause de l’abandon des vVols est sans doute à chercher dans les risques commerciaux qu’ils posaient à Broadcom. En théorie, puisque les volumes sont physiquement gérés par la baie de disques, il devrait être assez simple de migrer de VMware vers l’un de ses concurrents en conservant la même baie de disques. Et c’est justement ce que Nutanix propose aux clients de VMware qui possèdent une baie de stockage PowerFlex de Dell et, bientôt, à ceux qui utilisent une baie FlashArray de Pure Storage.

Et puis, il y a le cloud hybride, un scénario dans lequel une partie du cluster VMware est sur site et l’autre dans un cloud partenaire. Le fournisseur qui sait gérer le stockage sur site et en cloud comme un pool unique est celui qui empoche les licences de part et d’autre.

En d’autres termes, supprimer les vVols et imposer à la place vSAN garantit à Broadcom de revendre lui-même à son client le stockage d’un AWS, d’un Azure ou d’un OVHcloud. Sans vSAN, ce revenu irait dans les poches de NetApp ou de Pure Storage, parce que leurs baies proposent aussi cette fonction de gestion de pool de stockage global en cloud hybride. 

Vers une nouvelle collaboration avec les fournisseurs de stockage

Pour autant, couper entièrement les ponts avec les fournisseurs de baies de disques reviendrait à une déclaration de guerre et inciterait ces fabricants à grossir les rangs de ceux qui appellent au boycott de VMware. Il est donc probable que la stratégie de Broadcom soit en réalité un peu différente.

Sur le modèle de ce que son concurrent Nutanix propose à Dell et Pure Storage, Broadcom pourrait étendre les fonctionnalités de vSAN pour qu’il inclue dans son pool de ressources des baies de disques tierces. D’autant que la fonctionnalité vSAN Max sait déjà gérer des machines qui ne servent qu’au stockage. De cette façon, les fabricants de baies vendraient toujours leurs produits aux clients de VMware, sans toutefois facturer le stockage en cloud, qui resterait sous l’égide de vSAN.

Cette théorie pourra être vérifiée lors de la prochaine conférence annuelle de VMware, qui se tiendra fin août à Las Vegas et lors de laquelle l’éditeur exposera les nouvelles directions de sa stratégie.

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