AMD et Intel : 35 ans de concurrence exacerbée

Cloneur historique des puces Intel, le Texan AMD s'est imposé comme son seul concurrent, un concurrent dont l'inventivité et la rapidité d'exécution ont fait trembler la firme de Santa Clara, mais qui est aujourd'hui à la recherche d'un second souffle. Après la condamnation antitrust d'Intel par l'UE, ce second souffle pourrait venir avec le lancement de ses puces hexa-coeurs attendu en juin.

La récente condamnation d'Intel par l'Union Européenne à une amende de 1,06 Md€ pour abus de position dominante n'est que le dernier épisode d'un affrontement entre AMD et le fondeur californien qui dure depuis 35 ans. 

Les relations entrer les deux fondeurs ont commencé au milieu des années 70 lorsque AMD a lancé le 8080A, un clone du processeur 8080 d'Intel. Peu de temps après, en 1982, Intel et AMD signaient un accord de licence croisé permettant au second couteau de devenir une seconde source des puces x86 d'Intel à la demande d'un de ses principaux clients, IBM.

Cette cohabitation paisible s'est poursuivie jusqu'à la fin des années 80, avant de tourner au vinaigre lorsqu'Intel a unilatéralement coupé les ponts avec AMD, peu de temps après la sortie du 386. AMD a alors attaqué Intel en justice et obtenu gain de cause en 1994 devant la cour suprême de Californie. Ce qui lui a permis de négocier un accord de licence croisé avec Intel en 1995. 

Un cloneur devenu concepteur, par obligation

Contraint d'abandonner son rôle de simple cloneur, AMD s'est ironiquement mué en un redoutable concurrent pour Intel en développant ses propres processeurs. Ses premières créations, lancées  tout au long des années 90, étaient certes économiques, mais n'ont pas marqué les mémoires par leurs performances. Le vrai tournant est venu en 1999 avec l'Athlon, un concurrent direct du tout nouveau Pentium III d'Intel, qui sera le premier processeur à passer la barre du GigaHertz. AMD monte à l'assaut des assembleurs et autres passionnés d'informatique en jouant la carte des prix bas. Peu à peu, un écosystème se construit autour de l'offre d'AMD et  les ventes progressent. AMD est retenu par Compaq, puis HP pour certaines de leurs machines grand public. AMD devient du coup l'alternative économique à Intel, une alternative qui garantit aux clients des prix raisonnables et qui permet aussi aux constructeurs d'agiter la menace d'une seconde source dans leurs discussions tarifaires avec Intel. Un rôle de lièvre parfaitement assumé par AMD qui, au début de l'année 2002, peut se targuer de détenir près de 20% du marché mondial des processeurs.

Mais le poil à gratter texan commence à agacer à Santa Clara, qui engage une guerre des prix qui met rapidement AMD à genoux. A la rentrée 2002, la firme connaît son pire trimestre depuis longtemps et affiche des pertes abyssales. Sa part de marché a chuté à 12,4%. Dans cette atmosphère de déroute, AMD s'accroche toutefois aux travaux de développement autour d'Hammer, une nouvelle architecture processeur 64 bit compatible avec le jeu d'instruction x86 d'Intel. Objectif, sortir du ghetto des prix bas et disposer d'une offre capable de rivaliser avec Intel sur l'ensemble des segments.

Hammer : quand l'élève dépasse le maitre

Curieusement, Intel ne prête que peu d'attention à Hammer alors même qu'AMD n'hésite pas à dévoiler publiquement son architecture et à en vanter les mérites. Intel est ainsi largement pris de court lorsqu'en avril 2003, AMD dévoile son premier processeur Hammer, l'Opteron « SledgeHammer », et que Microsoft annonce son support de l'architecture 64 bit d'AMD. Une première en dix ans : Depuis l'abandon des versions MIPS, Alpha et PowerPC de Windows, Microsoft n'avait jamais développé de version spécifique de Windows pour une architecture processeur non-Intel. 

Plus important encore pour AMD, l'annonce de l'Opteron s'accompagne du lancement par IBM d'un serveur rack Opteron, dédié aux applications de calcul. En 2004, AMD ajoutera à son tableau de chasse HP et Sun, aujourd'hui ses deux principaux clients, et manquera de peu Dell, ce dernier décidant finalement de rester un fidèle exclusif d'Intel. Il n'empêche : En moins de deux ans, l'Opteron est devenu une alternative aux puces d'Intel sur le marché des serveurs et des stations de travail et les benchmarks montrent que l'élève a dépassé le maître dans la plupart des domaines. Il se permet même le luxe d'innover à un rythme supérieur à Intel. Premier sur le 64 bit x86, AMD a ainsi été le premier à lancer une puce serveur bi-coeur, avec 6 à 9 mois d'avance sur les Xeon 64 d'Intel.

Cette innovation technologique permanente a rapidement porté ses fruits. Inexistant sur le marché des serveurs en 2002, AMD a vu sa part de marché passer à 3,5% à  8% fin 2004 avant de dépasser la barre des 22% fin 2006. Pire pour Intel, AMD s'est accaparé une large partie du marché des serveurs x86 haut de gamme (quadri-socket et plus) grâce à l'architecture point à point de son bus Hypertransport qui permet la conception de serveurs  jusqu'à 8 sockets sans composants additionnels.

Intel a sous-estimé son « petit » concurrent

Obsédé par la promotion de son architecture 64bit Itanium, Intel a longtemps méprisé la stratégie 64 bit du petit AMD. Fort de sa domination du marché des serveurs 32 bit avec ses processeurs Xeon et certain du support des constructeurs pour l'Itanium, Intel a choisi d'ignorer l'alternative proposée par AMD : une sorte de voie du milieu consistant à étendre l'architecture x86 pour l'adapter aux exigences du 64 bit. Ce péché de vanité lui a coûté très cher. L'approche d'AMD ayant séduit les constructeurs de serveurs et les principaux éditeurs de systèmes d'exploitation dont Microsoft, Red Hat, Suse et Sun, Intel a été contraint de réagir en catastrophe et a dû se résoudre à cloner le jeu d'instruction conçu par AMD dans ses Xeon (technologie EM64T), donnant ainsi naissance aux Xeon 64 bit "Nocona". 

Cette retouche d'abord "cosmétique" s'est poursuivi avec une refonte des roadmap d'Intel et avec le lancement d'une première vraie riposte avec le Xeon 5100 « WoodCrest » à la mi-2006, puis du premier processeur pour serveur quadri-coeur x86, le Xeon 5300 « Clovertown ». 

AMD pêche par orgueil, Intel rattrape son retard

AMD ayant sans doute pêché par orgueil en voulant concevoir un processeur quadri-coeur natif, alors qu'Intel a opté pour la « facilité » en accolant sur une même puce deux processeurs bi-coeur, Intel va reprendre l'avantage sur son concurrent en étant à même de proposer aux constructeurs des puces quadri-coeur pendant plus d'un an sans concurrence de la part d'AMD. Et lorsque ce dernier ripostera enfin avec le lancement en septembre 2007 de ses puces Barcelona, ce sera pour mieux reculer. Un bug critique forcera en effet AMD à annuler son lancement et à repousser l'arrivée de barcelona au printemps 2008. Ruinant en 12 mois les gains obtenus au cours des trois années précédentes. Fin 2007, la part de marché serveur d'AMD était ainsi repassé sous la barre des 15%. 

Si le lancement réussi de ses Opteron « Shanghai » a permis à AMD de limiter la casse, l'échec de Barcelona a coûté cher au groupe, de même que son acquisition sans doute trop coûteuse d'ATI en 2006. Plombé par les dettes, AMD a du se résigner à une restructuration en profondeur et s'est délesté de son activité de fabrication, qui opère désormais séparément sous le nom de Global Foundries. Cette séparation a redonné des couleurs aux finances du fondeur et devrait lui permettre de se concentrer sur le design de ses processeurs.

Avec ses puces hexa-coeurs, AMD pense tenir sa riposte face à Intel

La principal préoccupation d'AMD est aujourd'hui de répliquer au lancement récent par Intel de ses puces Xeon Nehalem, des puces qui empruntent à l'Opteron la plupart de ses recettes techniques (notamment un bus point à point baptisé QuickPath et un contrôleur mémoire intégré) et dont les performances ont marqué les esprits(des performances qu'il convient toutefois de mettre en perspective avec leur prix). Le texan pense disposer avec sa prochaine puce Opteron « Istambul » d'une riposte à Intel. Les premiers serveurs équipés de ces puces hexa-coeurs sont attendus en juin et AMD fourbit déjà une puce à 12 coeurs pour le début 2010, une puce qui accolera deux puces hexa-coeur comme Intel l'avait fait pour ses premiers quadri-coeurs.

Entre le géant californien et la société texane, la guerre continue donc, une guerre que les utilisateurs ont sans doute intérêt à voir perdurer en s'approvisionnant chez les deux entreprises. En mettant Intel sous pression, elle a en effet permis aux utilisateurs de bénéficier de processeurs toujours plus puissant à des prix toujours plus abordables. 

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