Le Libre français s’insurge contre le brouillon du cadre d’intéropérabilité européen

Dans une lettre ouverte à la Commission européenne, le groupe Thématique sur les Logiciels Libres du pôle de compétitivité System@tic affiche son opposition au brouillon - presque figé - du cadre d’intéropérabilité européen. Au coeur des débats, le flou autour de la notion d’ouverture des standards et de celle de l’intéropérabilité.

Trouble dans l’intéropérabilité en Europe. Le brouillon de la version 2 du European Interoperability Framework (EIF), un cadre d’interopérabilité européen dont le but est de faire la promotion des standards ouverts dans les administrations européennes, a subi quelques modifications capitales dans sa rédaction depuis sa première version. En ligne de mire, une définition alambiquée de l’intéropérabilité qui, dans cette mouture, ne repose plus uniquement sur des standards ouverts. Un changement de cap radical qui floute non seulement la perception de l’Open Source, mais fait surtout apparaitre au grand jour le lobbying de certains industriels auprès des organismes et groupes de travail logés au sein de la Commission européenne. C’est aujourd’hui ce que dénoncent Stéfane Fermigier et Roberto Di Cosma, respectivement président et vice président du groupe thématique sur les Logiciels Libres au sein du pôle de compétitivité francilien System@tic, dans une lettre ouverte à la Commission européenne. Un arrière goût de normalisation ISO d’OpenXML sur fond de puissant lobbying.

L’European Interoperability Framework dans sa version 1.0 a été publié en novembre 2004 par l’IDABC (Interoperable delivery of pan-European eGovernment services to public administrations, businesses and citizens), un organisme qui dépend de la Commission européenne et qui débat sur l’intéropérabilité des systèmes d’informations dans les administrations européennes. EIF a pour objectif de constituer un référentiel de bonnes pratiques en matière d’intéropérabilité chez les Etats-membres que ces derniers sont libres d’appliquer dans les SI de leurs administrations. Dans sa version 1.0, EIF est notamment réputé pour sa définition claire et simple d’un standard ouvert.

C’est justement ce dernier point qui coince, selon les deux défenseurs du logiciel Libre, qui ne décolèrent de voir le concept d’ouverture vidé de son sens dans la second mouture du document... pour finalement ne plus avoir de valeur concrète, déclare Stéphane Fermigier. Le document définit en effet l’ouverture comme émanant de “la volonté d’une personne, d’organisations ou d’autres membres d’une communauté d’intérêt de partager la connaissance et de stimuler les débats à l’intérieur de cette même communauté d’intérêt [..]”

Pire, explique-t-il.  Si l’on en croit la version 2.0, les standards ouverts ne sont  plus une condition à d’intéropérabilité. Le texte en brouillon dit en effet : “Bien qu’il y ait une corrélation entre ouverture et intéropérabilité, il est également vrai que cette intéropérabilité peut être obtenue sans l’ouverture, par exemple, dans l’homogénéité des SI, qui impliquent que tous les partenaires utilisent, ou s’accordent à utiliser la même solution pour implémenter un service public européen”.
En gros, la version 2.0 de EIF noie le concept d’intéropérabilité reposant sur un standard ouvert dans celui du standard d’usage. Par exemple, un format est considéré comme interopérable si les agences peuvent lire, éditer et échanger - notamment - le même format de fichier, même si celui-ci n’est pas ouvert. Un format propriétaire est, selon la nouvelle définition, un standard d’intéropérabilité. “L’intéropérabilité ne repose plus sur des standards ouverts, commente Stéfane Fermigier, qui ajoute que cette version 2.0 EIF autorise également les brevets logiciels et la collecte de royalties, excluant d’entrée les créateurs de logiciels Open Source.  Une véritable inquiétude pour lui qui voit en cela une mise sur la touche de la communauté du libre.

Le pire est que cette nouvelle rédaction de l'EIF (officiellement au stade du brouillon) a été révélée par une fuite au sein de la Commission européenne, et non pas par un processus transparent, explique-t-il. Tout en racontant que le parcours de cette version 2.0 a été semé d’ambuches. “En 2007, un rapport du Gartner [commandité par l’IDABC pour ses recommandations sur le sujet, NDLR ] avait déjà provoqué la polémique, notamment autour d’un flou artistique sur les standards. Comme en témoigne la réponse de l’Aful à la suite de ces mêmes recommandations du cabinet d’analystes.

Pour Stéfane Fermigier, ce “désastre” est l’oeuvre d’opérations de lobbying orchestrés par des industriels comme Microsoft qui “depuis la version 1.0 de EIF essaient de s’attaquer à cette définition”. Il rappelle également comment Microsoft avait baillonné le RGI (Référentiel Général d’intéropérabilité) en France.

Cette lettre ouverte, adressée à Siim Kallas, commissaire chargé de l’administration, de l’audit et de la lutte antifraude, et à Garcia Moran, directeur général de DIGIT (direction générale l’informatique) de la Commission européenne, vise à provoquer un mouvement de protestation d’une telle ampleur qu’il débouche sur une ré-écriture du texte de la version 2.0. Une tâche ardue car, si le document est encore un brouillon, les modifications encore opérées aujourd’hui sont de l’ordre de la forme. Le fond a semble-t-il été validé et la date de finalisation est probablement imminente. L’heure est donc à l’épreuve de force.

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