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Rachat de Cray : HPE veut rapprocher le HPC des entreprises et de l’IA

Pour 1,3 Md$, HPE s’empare de Cray, un cadre des supercalculateurs, avec l’intention de conjuguer les deux portefeuilles pour aller porter la puissance du HPC vers l’AI. Là où le besoin est aujourd’hui présent.

Dans l’espoir de ressusciter sa place sur le marché des supercalculateurs, HPE a annoncé le rachat de Cray pour 1,3 milliard de dollars. Si approuvée - ce qui est prévu au premier trimestre 2020 - , cette transaction pourrait bien modifier le paysage de ce segment de marché.

Pour Antonio Neri, le PDG de HPE, les portefeuilles HPC (High Performance Computing) des deux entités sont complémentaires. Tous deux ont développé des technologies innovantes dans des secteurs certes différents, mais qu’il qualifie d’essentiels. Les technologies de Cray sont hautement modulaires et peuvent être utiles pour le traitement de couches inférieures au HPC, a précisé le responsable.

« Ce que Cray nous apporte vraiment, c'est ce que j'appelle les technologies fondamentales », commente-t-il. « Cray a développé la prochaine génération d’outils d'interconnexion et de logiciels, vraiment essentielle pour gérer ces workloads très gourmandes en données ». 

HPE acquiert l’expertise exascale de Cray

Cette opération HPE-Cray pourrait bien permettre à Hewlett Packard Enterprise de remporter plusieurs grands contrats gouvernementaux, précise Steve Conway, vice-président chez Hyperion Research. « Grâce à cet accord, HPE gagne en crédibilité sur le haut de gamme. Les gros achats qui se situent entre 300 et 600 millions de dollars chacun comprennent des systèmes exascale et Cray s'en tire très bien sur ce point. HPE n'a pas encore été en mesure de se montrer en tant que concurrent sur ce terrain, mais cela va changer avec Cray », explique-t-il. Il est toutefois à noter que HPE a développé le supercalculateur qui servira la nouvelle stratégie nationale en Intelligence Artificielle de la France.

La valeur de Cray pourrait d’ailleurs avoir augmenté considérablement suite à la signature de deux grands contrats américains pour le développement de calculateurs exascale en 2021. Cela représente le prochain grand saut en matière de puissance de calcul,  1000 fois plus élevé que le pétaoctet - qui a été atteint en 2008.

Dans ces contrats, on retrouve le supercalculateur Frontier du laboratoire Oak Ridge National Laboratory, au sein du département de l'Énergie des États-Unis. Ce système exascale coûte 600 millions de dollars. Le système Shasta de Cray, ainsi que son interconnexion Slingshot, sont également utilisés dans un deuxième système exascale américain, Aurora, au sein de l’Argonne National Laboratory. Ce système coûtera 500 millions de dollars - Cray étant ici un sous-traitant d'Intel.

Aucun commentaire toutefois sur une éventuelle conséquence de cette opération sur « The Machine », un serveur présenté il y a plus de quatre ans comme un système doté d’une « architecture de calcul révolutionnaire ». Celui-ci n’a pas encore été commercialisé.

HPE / Cray et l’IA

Ces deux entreprises se rencontrent alors que justement, le HPC et  les marchés des applications tendent à converger. Sur ce point HPE a une certaine expérience mais pas Cray, rappelle Steve Conway. L'intelligence artificielle et le machine learning sont le moteur de la croissance sur ces marchés convergents, ajoute-t-il.

« Clairement, HPE a plus d’expérience (sur les marchés des entreprises) que Cray, et Cray s’intéresse aux prochaines générations des supercalculateurs du gouvernement. Ces ordinateurs envahiront le marché, poussés par les besoins en ML, IA et Deep Learning », commente encore l’analyste.

Cette acquisition représente un changement majeur sur le marché du HPC. Aux États-Unis, il n’existe aujourd’hui que trois principaux fournisseurs de HPC : Dell, IBM et, à présent, la société issue de la fusion entre HPE-Cray. En Europe, Atos et Bull portent également le HPC au plus près des usages des entreprises. Les fournisseurs américains de HPC dominent certes le marché mondial, mais ils sont soumis à une concurrence intense, venue en particulier de la Chine.

Avec l'avènement de l'informatique exascale, la course à la construction des  calculateurs les plus rapides au monde s’est elle-aussi accélérée. Plus tôt cette année, IBM a présenté ses superordinateurs Summit et Sierra au Oak Ridge National Laboratory et au Lawrence Livermore National Laboratory. Ils sont maintenant classés comme les deux ordinateurs les plus rapides du monde.

Si le rapprochement entre HPE et Cray doit encore faire l’objet d’un examen réglementaire, il est peu probable que des problèmes surviennent, car les activités principales de Cray se situent dans la partie supérieure du marché des calculateurs hautes performances et ne chevauchent pas beaucoup les activités de HPE, rappelle encore Steve Conway. « Il existe suffisamment de concurrents importants, tels qu'IBM et Dell, pour que la société HPE-Cray ne s'empare pas du marché ou n'élimine la concurrence en termes de pricing. »

Ces questions sur le caractère antitrust ou pas dépendront de la manière dont les agences gouvernementales considéreront le marché des supercalculateurs, souligne de son côté Dan Olds, analyste HPC et partenaire du cabinet de conseil OrionX.

« S'ils considèrent le calcul haute performance comme un marché distinct, ils voudront probablement examiner de près cet accord et pourraient éventuellement s'y opposer », pense-t-il.

Le marché des supercalculateurs est en plein essor

Le marché des HPC devrait passer de 28 milliards de dollars cette année à 35 milliards de dollars d'ici 2021, selon les chiffres de HPE. Sur ce segment, la demande pour les systèmes exascale générera environ 4 milliards de dollars d'ici cinq ans.

 L’histoire de Cray remonte à 1972, avec la création par Seymour Cray de Cray Research. Ses systèmes sont fabriqués à Chippewa Falls, dans le Wisconsin, là où le fondateur a grandi.

Ces dernières années, la société a connu des difficultés financières. Cray a publié un chiffre d’affaires de 456 millions de dollars en 2018, mais ces revenus étaient accompagnés de 72 millions de dollars de perte. Pertes qui se sont toutefois réduites par rapport à 2017 -  134 millions de dollars de pertes.

Pour son premier trimestre, Cray a annoncé un chiffre d’affaires de 72 millions de dollars et une perte de 29 millions de dollars – contre 80 millions de dollars et 25 millions de dollars, respectivement, il y a un an.

Mais les choses ont commencé à s'améliorer récemment, grâce au contrat avec le Oak Ridge National Laboratory pour la construction de son système Shasta exascale. Cependant, ces systèmes ne seront pas commercialisés avant la fin de cette année et les dirigeants de Cray ont qualifié 2019 de phase de transition pour l'entreprise.

A terme, la technologie de Cray rejoindra la famille de systèmes HPC de HPE, comme Apollo et SGI racheté en 2016.  Les plans à long terme portent sur la création d’un service HPC as a Service. Des travaux sur l’association du service de pricing à la demande Greenlake de HPE, appliqué à l’AI et au ML sont également en cours.

Greenlake pourrait intéresser les partenaires (ou les clients) qui souhaitent proposer des solutions HPC mais qui n’ont ni la volonté ni la capacité de réaliser l’énorme investissement financier que cela nécessite.

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