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T-Systems : « Les entreprises françaises sont devenues matures sur le cloud »

Pour le PDG français de l’ESN, les grands comptes ne font plus de résistance. Contraints de remplacer leurs datacenters, ils ont rapidement remis en question leur stratégie d’hébergement territorial.

Fin 2016, l’ESN T-Systems installait dans l’un des datacenters parisiens d’Equinix l’infrastructure pour infogérer les applications de ses clients français. Deux ans plus tard, le bilan est inattendu : « cette solution n’a servi à rien. Le temps que nous la mettions en place, les entreprises françaises avaient changé d’avis. Elles nous ont finalement demandé des infrastructures plus flexibles. Par conséquent, nous les hébergeons à présent dans nos datacenters allemands », déclare au MagIT Jean-Paul Alibert, PDG de T-Systems en France.

Selon lui, les entreprises françaises ont subitement gagné en maturité sur les questions de cloud.

« Pendant très longtemps, les entreprises françaises ont voulu faire elles-mêmes leur cloud, officiellement pour des questions de réglementations. Mais mon avis est qu’il s’agissait surtout de rentabiliser les datacenters qu’elles possédaient », dit-il, en suggérant au passage que la véritable notion de cloud IaaS va au-delà d’un simple système de machines virtuelles à la demande.

« Puis, d’un coup, elles sont entrées dans l’ère du multi-cloud. Elles souhaitent à présent vider leurs datacenters en fin de vie et ont compris que leur intérêt financier serait de répartir leurs ressources tantôt sur du cloud privé, tantôt sur du cloud public. Notre but est de les aider à construire cette flotte », témoigne-t-il.

Et il l’assure : ses clients, qui sont désormais prêts à mettre des données ailleurs qu’en France, comprennent bien des chaînes de distribution, des banques, ou encore des opérateurs d’importance vitale (OIV) soumis à la loi de programmation militaire.

A l’instar d’OBS, T-Systems, filiale de Deutsche Telekom, se revendique ESN paneuropéenne spécialisée dans la transformation des grands comptes vers le cloud. Le mérite de ses datacenters allemands est qu’ils hébergent une plateforme IaaS OpenStack, OTC, où les machines virtuelles sont extensibles à volonté et prêtes à tous les traitements, soit en mode cloud public (sur des serveurs mutualisés) soit en cloud privé (sur des serveurs dédiés à un client).

A Paris, les infrastructures hébergées chez Equinix étaient plutôt figées pour exécuter des charges de travail particulières, notamment des projets SAP ou Oracle, qui ne constituaient qu’une partie du SI des entreprises visées.

La contrainte : parvenir à quitter un datacenter en fin de vie en seulement 9 mois

Pour Jean-Paul Alibert, l’attrait soudain des entreprises françaises pour les offreurs de cloud s’explique, comme précédemment dans le reste de l’Europe, par le constat d’une obsolescence des équipements :

« Les dernières réglementations, l’impossibilité technique de se protéger contre les nouvelles menaces, ou encore le coût actuel de l’électricité font que, dans de nombreux cas, on se retrouve aujourd’hui en France avec la pression de quitter un datacenter en seulement neuf mois. Dans un délai aussi court, il n’est plus possible de migrer toute l’IT vers un autre site plus moderne, d’autant que si l’on se trompe sur l’infrastructure à mettre en place, il faudra encore attendre des semaines pour revenir en arrière. »

Dans l’urgence des décisions à prendre, Jean-Paul Alibert constate que les professionnels français ont très vite acquis de nouvelles bonnes pratiques.

« Aujourd’hui, 50 % de nos clients savent précisément ce qui doit aller en cloud public ou en cloud privé. »
Jean-Paul AlibertPDG de T-Systems France

« Il y a quelque mois à peine, le nombre d’entreprises françaises capables de classifier leurs données était marginal. Aujourd’hui, 50 % de nos clients savent précisément ce qui doit aller en cloud public ou en cloud privé. Chez les industriels, des transformations se sont opérées en très peu de temps. Plusieurs se sont réorganisés en deux branches, l’une pour les activités susceptibles de travailler avec des offres publiques élastiques et, l’autre, pour les applications qui doivent être opérées avec un contrat depuis un cloud privé. » 

Du cloud oui, mais seulement 5 % en mode public

Jean-Paul Alibert balaie de la main les témoignages d’entreprises qui, quitte à passer au cloud, feraient héberger toute leur IT sur des IaaS publics :

« SAP en cloud public, ce sont des effets d’annonces. Les entreprises françaises ont bien compris que le cloud privé est bien plus rentable pour héberger les applications résilientes, car lorsqu’on peut s’engager sur le long terme à utiliser des machines virtuelles, celles-ci coûtent bien moins cher en IaaS privé qu’en IaaS public. »

En réalité, les entreprises françaises ne choisiraient d’héberger en IaaS public qu’environ 5 % de leurs applications, un taux qui avait déjà été communiqué au MagIT par l’ESN Axians.

« Le cloud public va surtout se montrer intéressant pour débrayer très rapidement des machines virtuelles jetables. C’est le cas pour les projets DevOps, pour la recherche scientifique où les codes changent tout le temps, mais aussi pour les frontaux B2C, où l’infrastructure doit être suffisamment élastique pour supporter les pics d’activité. Il répond également bien aux besoins d’archivage de données qui nécessiteront ponctuellement la mise en route de VMs pour les relire », ajoute Jean-Paul Alibert.

« 80 % des applications éligibles n’ont pas encore été adaptées à ce format [d'applications fonctionnant en containers plutôt qu’en machines virtuelles] »
Jean-Paul AlibertPDG T-Sytems France

Selon lui, 20 % à 25 % des applications en entreprises correspondent cependant à ce modèle. Mais si seules 5 % sont effectivement installées en IaaS public, c’est parce que l’équation économique ne serait optimale qu’à partir du moment où ces applications fonctionnent en containers plutôt qu’en machines virtuelles. « Or, 80 % des applications éligibles n’ont pas encore été adaptées à ce format », indique le PDG en démontrant que les entreprises françaises sont capables de faire les bons calculs.

Le cloud privé dicté par la technique et l’engagement contractuel

Il prend pour exemple les applications développées à façon en .Net et qui pourraient être hébergées sur Microsoft Azure, pour s’interfacer à peu de frais à des services tiers comme SQL Database :

« Le problème est que vous devenez tributaire des mises à jour permanentes de Microsoft. Et si vos codes ne sont pas correctement containerisés, vous serez obligé de mener régulièrement des tests de rétrocompatibilité. Pour éviter cet écueil, nos clients français préfèrent déployer ces applications sur un cloud privé à base d’Azure Stack, qui permet de maîtriser les montées de version. »

Précisons que l’offre phare d’IaaS OTC, n’est qu’une partie du catalogue de T-Systems. Le prestataire propose aussi d’héberger du cloud privé VMware ou Azure Stack partout dans le monde, en louant des mètres-carrés parmi la flotte de bâtiments d’Equinix, voire en infogérant ces infrastructures directement dans les salles informatiques de ses clients, quand ils rechignent encore à les démonter. Il propose aussi des services managés, à partir de ressources hébergées depuis d’autres clouds publics.

« Le cloud privé présente surtout l’avantage d’engagements de la part des prestataires, dont le paiement d’indemnités en cas d’incidents. »
Jean-Paul AlibertPDG T-Systems France

Quand il compare toutes ces offres et la manière dont elles sont consommées par ses clients, Jean-Paul Alibert estime que la différence entre IaaS public et IaaS privé est finalement plus contractuelle que technique :

« Le cloud privé présente surtout l’avantage d’engagements de la part des prestataires, dont le paiement d’indemnités en cas d’incidents. En France, pour des secteurs comme la grande distribution, où l’on achète de l’infogérance plus que des ressources virtuelles, c’est indispensable. »

Dans les prochains mois, T-Systems entend enrichir son offre de cloud avec des solutions de SIEM et de Edge Computing, deux autres domaines que les grands comptes français seraient prêts à externaliser.

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