Formations IA : les intentions louables de Microsoft aux effets limités

Lors du Microsoft Envision à Paris, l’éditeur a une nouvelle fois mis en avant ses actions pour accroître le nombre de « techniciens de l’IA ». Bien que louables, ses intentions n'ont qu'un impact limité en pratique.

Une semaine après les annonces effectuées à Orlando, Microsoft a débuté son tour Ignite à Paris. L’éditeur a profité de la deuxième journée pour (re)présenter ses initiatives dans l’éducation des élèves, des étudiants et des métiers dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Cela passe par un partenariat avec Class’Code. Il s’agit d’un programme de formations en ligne (80 000 personnes formées, 500 000 consultations) soutenu par la société informatique de France, l’INRIA, ou encore OpenClassrooms. Microsoft, via Class’Code, va proposer un « tutoriel d’initiation à l’IA pour les enfants de primaire et de collège développé par Magic Makers », peut-on lire dans le communiqué de presse.

« L’intelligence artificielle constitue un sujet qui suscite énormément de fantasmes, d’imaginaires et sur lequel les personnes connaissent très peu de choses. Il faut fournir à la communauté éducative, aux citoyennes et aux citoyens les clés pour qu’ils puissent se l’approprier, comprendre de quoi il en retourne », déclare Sophie de Quatrebarbes, coordinatrice de Class’Code.

 Le tutoriel conçu en collaboration avec Microsoft s’insère dans le programme IAI (IA avec Intelligence). Il est accessible à des enfants à partir de l’âge de 7 ans. « L’idée, c’est de se faire sa propre expérience pour comprendre le machine learning, ce que c’est qu’un programme d’IA qui peut être paramétré et entraîné. Il est utilisable en autonomie ou dans le cadre d’un atelier. Ensuite, les personnes peuvent imaginer les cas d’application de cette technologie par rapport à leurs besoins » ajoute-t-elle.

Le partenariat entre Microsoft et Openclassrooms se précise

Cette vision pédagogique prend place dans une stratégie plus vaste. En avril 2019, Microsoft a annoncé un partenariat avec OpenClassrooms afin de d’enseigner aux étudiants les compétences en IA nécessaires en entreprise. Plus particulièrement, 1000 d’entre eux bénéficieront d’une formation diplômante aux Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en France. « Tous nos cours mis au point avec Microsoft sont gratuits. Les personnes qui choisissent d’accéder à la formation diplômante doivent effectuer des projets professionnalisants », déclare Mathieu Nebra, co-fondateur d’Openclassrooms.

Elles seront accompagnées par un mentor, professionnel du secteur, que les étudiants verront toutes les semaines par visioconférence au cours d’un entretien privé.

 « Nous avons lancé cette formation parce que les compétences liées au marché de l’IA sont très recherchées sur le marché du travail et les employeurs ont un mal fou à trouver les talents. Ils sont un peu en panique, car les étudiants ne sortent pas des formations traditionnelles avec les compétences attendues. Notre réponse avec Microsoft repose sur une formation entièrement en ligne, parce que c’est ce que nous savons faire. Microsoft nous offre la visibilité médiatique nécessaire et aussi de s’appuyer sur son infrastructure Azure », explique Mathieu Nebra.

La formation en question repose sur des projets IA « qui pourraient être demandés en entreprises ». L’étudiant devra en réaliser une dizaine en tout. Le but est de former des ingénieurs IA de niveau bac +5.

Elle coûte 400 euros par mois, soit 4 800 euros à l’année. Celle-ci sera également disponible en alternance (en ligne seulement), financée par un employeur ou par l’Etat. En France, elle sera ouverte à 330 postulants environ. Openclassrooms propose aussi un parcours en partenariat avec Centrale Supélec à 500 euros par mois. En un an, l’organisme a formé environ 500 alternants, selon Mathieu Nebra.

Openclassrooms n’a pas la meilleure des réputations auprès des étudiants ayant payé eux-mêmes leurs formations techniques. Si les utilisateurs considèrent que l’entreprise est à leur écoute, certains déplorent un manque d’organisation et d’engagement des mentors d’après les avis disponibles sur le Web. Surtout, l’organisme de formation émet une promesse qu’il ne peut pas réellement tenir. En principe, il garantit aux postulants de trouver un emploi en moins de six mois après le passage du diplôme. Or, si l’apprentissage profite d’une grande flexibilité grâce au Web, les évaluations terminales demandent une organisation stricte. Certains étudiants attendraient plusieurs mois avant de pouvoir valider leur formation.

De plus, le remboursement des cours n’est possible qu’à condition de s’être fait refuser, preuves à l’appui, au moins 100 candidatures en 6 mois après le passage du diplôme. Pour pallier ce problème, l’organisme propose un coach à ceux qui ont du mal à trouver un poste. D’après les dires de Mathieu Debra, le mode de formation en alternance est plus efficace parce que les entreprises recrutent plus facilement.

Les écoles IA ne sont pas réservées aux « élites »

Son engagement dans l’apprentissage et la reconversion professionnelle, Microsoft le veut plus complet avec ses « écoles IA ». Dix-huit mois après le lancement de cette initiative en France, l’éditeur a ouvert 12 promotions présentielles de 24 « apprenants » et une treizième en Belgique. Après deux promotions, 250 personnes ont bénéficié ou bénéficient d’une formation personnalisée dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ici, il ne s’agit pas de former des ingénieurs, mais des « artisans de l’IA ». Ils apprennent à partir des environnements comme Visual Studio et Azure Machine Learning. Pour autant, l’éditeur se veut agnostique concernant les technologies au cours de ce cursus. « Nous les formons à tous les langages, toutes les technologies IA et connexes comme Kubernetes », assure Laurence Lafont, COO de Microsoft France. Par ailleurs, l’éditeur maintient une « forme de contrôle sur le contenu de la formation pour en assurer sa qualité », selon la dirigeante.

« Nous pensons que l’IA ne doit pas être réservée à une élite. Nous pouvons former des gens qui sont isolés de l’emploi, qui cherchent à se reconvertir, les aider à se développer et à trouver des métiers dans le domaine de l’intelligence artificielle », affirme Laurence Lafont.

Microsoft et ses partenaires pratiqueraient la démocratisation positive. Le but serait de trouver des candidats « dans des milieux défavorisés » et d’adopter une démarche inclusive. La deuxième promotion lancée cette année au campus Microsoft comprenait 80 % de femmes. L’enseignement dure 7 mois et demi et est complété par un contrat de professionnalisation de 12 à 24 mois.

 Les candidats peuvent normalement partir de zéro. Le véritable responsable de la formation, Simplon, indique être à la recherche de personnes très motivées. Sur le papier, l’organisme s’intéresse à des niveaux bac+2 ou 3 en informatique. Ces personnes doivent maîtriser un, voire plusieurs langages informatiques back-end. Elles doivent avoir un niveau lycée en mathématiques pour comprendre à minima les dérivés et les fonctions. Dans le cas contraire, la formation coûte plus cher.

Trois des cinq parcours certifiants composant la formation comptent 420 heures de cours chacun. Simplon indique qu’il faut compter 16 à 25 euros de l’heure suivant le niveau de l’apprenant et du diplôme recherché. Selon la grille tarifaire de l’organisme, ce sont les entreprises qui prennent les étudiants en alternance ou l'État, par le biais de Pôle Emploi et des régions, qui paient les contrats de professionnalisation.

L’éducation par les entreprises impensable sans le soutien de l'État et des régions

Selon Laurence Lafont, « une école IA coûte environ 250 000 euros par an ». Elles sont cofinancées par Microsoft, Simplon, les partenaires, les régions et Pôle Emploi. « Le pourcentage de financement varie en fonction de l’engagement que veut avoir la région », déclare Laurence Lafont. Microsoft fournit essentiellement ses infrastructures, les équipements nécessaires et son écosystème de partenaires. Le Crédit Agricole, Orange, Capgemini, Accenture, CGI, Talan ou encore Groupama participent à ce partenariat public-privé. L’éditeur et Simplon entendent répondre aux besoins des entreprises et des régions qui cherchent à ouvrir une de ces écoles estampillées Microsoft. Par exemple, la dernière classe ouverte en France à Biarritz est accueillie dans les locaux du Crédit Agricole.

Précisons que sur les neuf régions françaises concernées, cinq d’entre elles financent réellement ce projet. En Pays de Loire, en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, l’initiative provient des entreprises.

« Nous travaillons aussi avec les écoles d’ingénieurs et les universités pour regarder comment nous pouvons les aider à développer des cursus Master autour de l’IA », déclare Laurence Lafont. « Nous lançons également un Master avec L’INSEEC, l’école d’ingénieur à Lyon qui va lancer son premier cursus en ingénierie IA de manière plus spécifique ».

« On appelle de nos vœux les écoles d’ingénieurs et les universités à développer ces modules en partenariat avec des acteurs comme Microsoft. Nous pouvons amener du contenu, des plateformes et des cas d’usage que nos clients peuvent présenter avec une approche concrète dans des domaines industriels », ajoute-t-elle.

Pour autant, l’éditeur américain n’a pas la meilleure des réputations auprès des enseignants de l’éducation nationale. Le contrat signé entre les deux entités avait provoqué une levée de bouclier en 2016. Les enseignants critiquaient la mainmise du géant de l’informatique sur les données des élèves.

Intentions louables, impacts limités

Si l’intention de Microsoft est louable, malgré un verni marketing à l’odeur prononcée, l’éditeur sait bien qu’il a pour l’instant un impact limité sur l’emploi et la formation. « Les besoins en personnel qualifié se chiffrent en dizaines de milliers », déclare Laurence Lafont. Il y aura normalement 20 écoles IA d’ici à la fin de l’année prochaine, soit 500 apprenants environ. Une goutte d’eau sur le marché de l’emploi.

Quant aux débouchés pour les étudiants, la dirigeante n’évoque pas de métier en particulier et s’en tient à répéter l’expression « artisan de l’IA ». La fiche de la formation fournie par Simplon évoque, elle, la mention « développeur Data IA ». Ce poste fait le pont entre le data analyst et le data scientist. Il correspond plus communément au poste de développeur BI. Pour Orange qui propose l’école IA dans son campus, ce métier consiste à « aider les data-scientists et les chefs de projets dans la création d’applications et d’interfaces fondées sur l’intelligence artificielle ».

Les différentes initiatives de Microsoft ne peuvent couvrir à elles seuls la demande des entreprises françaises. Il s’agit donc « d’une modeste contribution » qui portera ses fruits à condition que d’autres acteurs technologiques s’engagent dans la même voie, d’après les dires de la dirigeante.

Le géant de l’informatique veut sortir de la phase de prototype concernant ses écoles IA. « Nous sommes en train de réfléchir pour aller encore plus loin et passer à l’échelle avec les régions », assure Laurence Lafont. Enfin, une question se pose. Ces nouveaux ingénieurs et techniciens de l’IA ne vont-ils pas préférer tenter leur chance dans d’autres pays, dont les États-Unis et Israël, dans lesquels les besoins sont similaires et les salaires plus élevés ?

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