MWC 2022 : les fournisseurs IT bien partis pour coloniser les télécoms

Dell et VMware proposent aux opérateurs de virtualiser les fonctions 5G des équipementiers sur des serveurs peu chers, légers et plus faciles à maintenir. Une technique qui pourrait chambouler le marché des télécoms.

Ce fut la surprise de cette nouvelle édition 2022 du Mobile World Congress, la grand-messe annuelle des télécoms à Barcelone : désormais, les fournisseurs informatiques se positionnent parmi les équipementiers. En l’espèce, l’éditeur VMware et le constructeur Dell, mais aussi le Français Rapid.Space, proposent des infrastructures pour les cœurs de réseau et les RAN – les éléments qui pilotent les communications des antennes – qui remplacent les matériels autrefois fournis par Nokia, Ericsson et d’autres.

Ces fournisseurs surfent sur le principe de l’Open RAN : en 5G, le consortium de standardisation 3GPP a milité pour une interopérabilité universelle entre les différents éléments d’infrastructure d’un réseau mobile. Dès lors, il est devenu trivial de virtualiser les fonctions télécoms sur des serveurs x86, moins chers et plus denses que les boîtes noires historiquement vendues par les équipementiers.

Rencontré sur le salon, Bas Burger, le PDG de BT Global Services – l’équivalent pour British Telecom d’OBS pour Orange – voit cette arrivée des fournisseurs informatiques comme une bénédiction pour les télécoms :

« Dans les telcos, quand vous construisez quelque chose, ça prend des années, parce que c’est fait pour durer des années. Dans le monde informatique, vous publiez extrêmement rapidement une solution que vous améliorez en permanence. »
Bas BurgerPDG de BT Global Services

« Vous savez, dans les telcos, historiquement, quand vous construisez quelque chose, ça prend des années, parce que c’est fait pour durer des années. Dans le monde informatique, vous publiez extrêmement rapidement une solution que vous améliorez en permanence ! »

« Alors, bien entendu, notre métier est d’éviter que les éditeurs de logiciels vendent aux opérateurs des solutions qui ne marchent pas. Mais une fois cette problématique résolue, les fournisseurs informatiques nous apportent l’avantage de devenir extrêmement réactifs face aux incidents. »

Marc Rouanne, le patron des technologies réseau mobile pour l’opérateur américain Dish, est tout autant enthousiaste : « Franchement, ça fait des années que j’en rêvais ! Le déploiement des équipements RAN est devenu d’une simplicité inédite : en passant par des fournisseurs informatiques vous équipez un site en seulement en quatre semaines, calibrages et tests inclus ! En plus vous avez des outils pour visualiser directement le trafic. Ce n’est plus du tout une boîte noire, comme nous en fournissaient les équipementiers », confie-t-il au MagIT.

Passer des équipements lourds à la virtualisation sur des serveurs x86 1U

Un technicien rencontré sur le stand de Dell, numéro 1 des fabricants de serveurs, résume pour le MagIT le principe technique :

« Vous avez quatre éléments dans un réseau mobile : la partie modem qui décode/encode les ondes radio au pied de l’antenne (Radio Unit, ou RU), la partie qui s’occupe de découper le signal en flux spécifiques par type de communication et par utilisateur (Distributed Unit, ou DU), la partie qui accole à chaque flux des règles de routage et de qualité de services (Centralized Unit, ou CU), puis le cœur de réseau qui exécute les services (voix, données, etc.) et route les transmissions. »

« Auparavant, RU et DU devaient être installés sur le site de l’antenne et il s’agissait d’équipements potentiellement très volumineux, très énergivores. En Open RAN, nous pouvons virtualiser ensemble quatre DU sur un serveur de taille 1U – ou huit DU sur un serveur 2U – situé à 5 kilomètres de distance des antennes. C’est un gain de place et d’énergie énorme. D’autant que nous dotons ce serveur d’une carte accélératrice qui prend à sa charge toutes les fonctions de découpage réseau, ce qui assure à l’opérateur une bande passante optimale. »

« La virtualisation nous permet d’exécuter sur les mêmes serveurs la partie CU, ou encore d’interroger depuis ces serveurs des services en ligne correspondant à cette partie, avant d’envoyer les paquets vers le cœur de réseau situé chez l’opérateur », ajoute-t-il.

La richesse fonctionnelle du datacenter au service des télécoms

En face du stand de Dell, dans le même hall principal consacré aux plus grands acteurs des télécoms présents en Europe (Orange, Deutsche Telekom, Telefónica, l’équipementier Nokia, les fabricants de mobiles Samsung, ZTE et Xiaomi…), trône en bonne place le stand de VMware. L’éditeur numéro 1 de la virtualisation de serveurs en datacenters est venu pour se présenter comme un fournisseur incontournable du marché des telcos.

« À ce jour, nous fournissons notre plateforme de virtualisation des infrastructures à 120 opérateurs dans le monde. »
Misbah MahmoodiDirecteur des produits, VMware

« À ce jour, nous fournissons notre plateforme de virtualisation des infrastructures à 120 opérateurs dans le monde. Nos principaux clients européens sont Vodafone (Royaume-Uni), Telia (Scandinavie), Telefónica (Espagne), ou encore Deutsche Telekom (Allemagne) », se targue Misbah Mahmoodi, le directeur des produits de VMware, tout droit venu avec le PDG Raghu Raghuram de leur siège américain pour l’événement.

« Notre solution permet de déployer les fonctions des équipementiers Nokia, Ericsson, Samsung ou autres sans utiliser leurs matériels, sur des serveurs génériques, peu chers. Et nous y ajoutons tout notre savoir-faire acquis en datacenters : la possibilité d’activer automatiquement des ressources selon le trafic, celle de déployer des services mis à jour dans les plus brefs délais, celle de tout superviser, etc. », argumente-t-il.

Il résume l’arrivée de VMware sur ce marché. L’éditeur a commencé à approcher les opérateurs télécoms il y a six ans, quand ceux-ci ont décidé de virtualiser leurs cœurs de réseaux mobiles à la faveur du passage de la 3G à la 4G. La solution proposée, qui s’appelle aujourd’hui Telco Cloud Automation, est une déclinaison de vSphere adaptée au déploiement de services télécoms : elle met en production et exécute les fonctions voix, SMS, data, etc. de Nokia et consorts sous la forme de machines virtuelles.

Telco Cloud Automation peut être étendu avec Telco Cloud Operations, qui regroupe toutes les fonctions de monitoring : visualisation, détection d’incidents, prévision des goulets d’étranglement, système d’alertes, ou encore enclenchement automatique de dispositifs de maintenance.

L’argument de VMware : éviter aux opérateurs de devoir évaluer les solutions

VMware n’est pas le seul fournisseur de ce type à s’être lancé dans la virtualisation des infrastructures cœur de réseau des opérateurs. La communauté OpenStack, qui développe une plateforme de virtualisation Open source concurrente de celle de VMware, s’est très tôt investie dans le marché de télécoms. À vrai dire, dès que les opérateurs AT&T, Verizon et China Telecom ont rejoint ses membres. OpenStack est aussi la plateforme privilégiée chez les opérateurs français.

« C’est vrai. Nous ne sommes pas les seuls à fournir une plateforme de virtualisation aux telcos. Mais notre avantage par rapport à nos concurrents est que nous prenons à notre charge la validation des fonctions équipementiers sur l’infrastructure virtualisée. Ce programme, baptisé vReady for Telco Cloud, consiste à mener toute une batterie de tests dans nos laboratoires et à produire des rapports complets pour certifier qu’une technologie fonctionnera de telle manière dans un périmètre donné sur notre plateforme », argumente Misbah Mahmoodi.

Au moment où a eu lieu cette interview, VMware revendiquait avoir certifié 220 services télécoms développés par les équipementiers.

« Ces certifications sont essentielles pour un opérateur. D’ordinaire, il doit les élaborer lui-même, ce qui lui coûte des efforts considérables, des lourds investissements et, surtout, du temps. En clair, nous leur permettons d’être immédiatement opérationnels quand ils veulent commercialiser de nouveaux services. Et cela est d’autant plus important en ce moment puisqu’ils déploient les nouvelles fonctions de la 5G. »

Les nouvelles opportunités de la 5G pour les fournisseurs informatiques

La 5G, justement, représente une nouvelle phase de modernisation des infrastructures télécoms et VMware compte bien en profiter pour étendre sa clientèle d’opérateurs.

« Sur le cœur de réseau, le passage à la 5G correspond juste à remplacer les fonctions virtualisées de la 4G par des nouvelles. La subtilité est que ces fonctions étaient auparavant déployées sous forme de machines virtuelles, appelées des VNF (Virtualized Network Function), et que les équipementiers comme les opérateurs ont tendance à plutôt les déployer à présent sous la forme de containers, appelés CNF (Cloud-native Network Function) », dit le responsable des produits.

« L’intérêt des containers est qu’ils sont beaucoup plus pratiques pour améliorer en continu un service. »
Misbah MahmoodiDirecteur des produits, VMware

« L’intérêt des containers est qu’ils sont beaucoup plus pratiques pour améliorer en continu un service : il est possible de mettre à jour ses fonctions une à une, sans devoir remplacer tout le service. En ce qui concerne notre plateforme, nous supportons l’exécution des containers depuis que nous avons lancé Tanzu, notre intégration de Kubernetes. »

Mais la 5G permet surtout à VMware de se lancer sur le marché des RAN, qui représente 70 % des investissements d’infrastructures chez les opérateurs. « Dans le principe, cela reste la même chose : nous validons que les fonctions RAN des équipementiers fonctionnent en containers sur Telco Cloud Automation for RAN, une déclinaison de notre plateforme qui consiste à exécuter Tanzu sur des serveurs déployés au plus proche des antennes. »

Telco Cloud Automation for RAN consiste à exécuter sur un serveur plusieurs instances virtuelles des modules DU et CU. VMware n’indique pas combien de fonctions RAN de combien d’équipementiers il a validées à l’heure actuelle. LeMagIT apprendra néanmoins que Telecom Italia aurait déjà déployé la solution sur deux villes pilotes en Italie, avec des serveurs Dell sous Tanzu qui exécutent l’ensemble des modules vRAN de Mavenir, un équipementier américain qui s’est lancé en 2017 en faisant le pari du RAN 100 % logiciel.

L’arrivée compliquée du cloud chez les opérateurs

Autre nouveauté apportée par la 5G, la partie CU des RANs est susceptible d’être enrichie par des services en ligne sans cesse mis à jour et, surtout, élastiques à l’infini. AWS, Azure et Google GCP feraient ainsi le forcing auprès des opérateurs télécoms pour qu’ils connectent les RANs à leurs propres fonctions de routage réseau et de sécurisation des flux, aux VNF/CNF qu’ils hébergent eux-mêmes, etc. Selon Misbah Mahmoodi, cette dynamique ne concurrence pas l’activité de VMware. Il y voit même une opportunité :

« Les opérateurs voient l’intérêt élastique du cloud, mais aucun d’entre eux n’a envie de financer l’adaptation des CNF aux plateformes techniques d’AWS ou d’Azure. »
Misbah MahmoodiDirecteur des produits, VMware

« Les opérateurs voient l’intérêt élastique du cloud, mais aucun d’entre eux n’a envie de financer l’adaptation des CNF aux plateformes techniques d’AWS ou d’Azure. Nous leur proposons donc d’héberger les VNF/CNF existantes sur nos infrastructures hébergées en cloud public, par exemple notre offre VMware Cloud on AWS. L’avantage de le faire est qu’ils deviennent multicloud : le jour où AWS subit un incident, il leur suffit d’activer exactement les mêmes CNF sur Azure. »

Marc Rouanne a un témoignage différent : « oui, nous sommes approchés par des opérateurs de cloud qui veulent nous vendre leurs solutions de RAN. Mais ils ne savent pas du tout les déployer où nous en avons besoin. Pour eux, nous fournir une solution de RAN qui s’interconnecte avec leurs services, c’est installer leur baie de serveurs propriétaires dans un datacenter », critique-t-il.

La 5G privée, une 5G pour entreprises convoitée par les opérateurs

Dernier point, celui de la 5G privée, que VMware place dans son activité Edge Computing, à savoir l’informatique sur le lieu de production.

« En 5G privée, nos clients ne sont plus des opérateurs, ce sont des industriels, des constructeurs automobiles… Le point important ici est que ces clients ne veulent pas simplement virtualiser des fonctions télécoms sur des serveurs, ils veulent aussi s’en servir pour virtualiser des applications liées aux objets connectés sur leurs réseaux 5G privés », dit Misbah Mahmoodi.

« Il s’agit par exemple d’une application d’IA qui analyse les images prises par des caméras sur les chaînes de montage, pour identifier les défauts de fabrication ou les problèmes de production. Encore une fois, notre plus-value est d’apporter une plateforme certifiée pour toutes les solutions. »

Dans ces scénarios, VMware ne vend plus lui-même de solutions clés en main. Ce sont les intégrateurs qui conçoivent des plateformes complètes, avec des CNF télécoms et des VMs applicatives, par-dessus un vSphere plus classique.

« Les opérateurs veulent à présent se servir aussi de nos solutions pour proposer eux-mêmes des applications liées à la sécurité, au traçage de produits, au suivi du trafic. »
Misbah MahmoodiDirecteur des produits, VMware

« Le point intéressant est que les opérateurs veulent à présent se servir aussi de nos solutions pour proposer eux-mêmes des applications dites de Edge, c’est-à-dire jouer le rôle de ces intégrateurs. Ce qui les intéresse, c’est de vendre aux grandes entreprises ou collectivités locales des applications liées à la sécurité, au traçage de produits, au suivi du trafic. »

Toutefois, Misbah Mahmoodi fait remarquer que cette activité n’en est qu’à ses balbutiements. « Les telcos sont toujours en train d’étudier où sont les opportunités. En Europe, surtout, les opérateurs se demandent comment ils pourraient facturer ces services en plus. »

Il met l’accent sur un module particulier qui se trouve au cœur de Telco Cloud Automation for RAN, le RIC (RAN Intelligent Controller). Celui-ci se charge de l’équilibrage de charge entre les flux.

« En pratique, le RIC va servir aux opérateurs à monétiser des services : quelle qualité de service, quelle bande passante attribuer à quels utilisateurs selon l’offre à laquelle ils ont souscrit ? Nous pensons qu’il s’agit du module logiciel dans notre catalogue qui va connaître l’une des plus fortes croissances de ventes dans les prochains mois », conclut Misbah Mahmoodi.

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