Forum 5G Techritory : dans les transports, la 5G fait du surplace

Le rail est séduit par une 5G non protégée au détriment de sa nouvelle technologie dédiée, tandis que les ports et les aéroports n’ont pas les bonnes applications. Rien n’est prêt.

Plein d’idées, mais rien de concret. Au sommet européen de la 5G, le forum 5G Techritory 2022 organisé à Riga en Lettonie, administrations, industriels, startups et équipementiers sont venus discuter des usages professionnels de la 5G et des recettes pour les mettre en œuvre. En résumé, tous les échanges sur ce thème ont commencé par « ce serait bien de pouvoir… » et se sont terminés par « … malheureusement, les solutions et les réglementations n’existent pas encore. »

Le salon s’est ouvert sur les envolées lyriques des officiels : « l’Union européenne, c’est à elle seule 50 % des brevets technologiques de la 5G. Nous investissons un milliard d’euros par an dans chaque transformation digitale, dans les supercalculateurs comme dans les infrastructures réseau. D’ici à 2030, chaque citoyen de l’Union aura accès à une bande passante permanente de 1 Gbit/s. Au-dessus de cette technique, nous devons à présent nous intéresser aux manières innovantes de transformer nos entreprises et nos secteurs publics » a ainsi encouragé Thibaut Kleiner, le directeur général des réseaux de communication à la Commission européenne.  

Puis, quatre domaines ont été débattus. Les ports maritimes et aériens assimilent la 5G aux objets connectés. Les trains disent qu’elle leur pose un problème d’obsolescence. Les villes veulent qu’elle serve à déployer des drones de surveillance. Et les producteurs d’énergie y voient un moyen de mieux anticiper les quantités d’électricité à fournir.

Cette première partie rapporte les échanges houleux qui ont eu lieu au sujet des transports.

Les ports veulent aller au-delà du suivi des containers

Concernant les ports maritimes et les aéroports, l’équipementier européen Nokia a les antennes et les RAN propriétaires qu’il leur faut pour déployer un réseau 5G totalement privé. Il l’a suffisamment répété dans les différentes sessions où on l’a laissé intervenir : dans ce cas, on utilise des fréquences compatibles avec tous les appareils 4G, de sorte qu’il serait assez simple de coller une carte SIM sur chaque chariot, chaque container, chaque engin pour monitorer ou piloter en temps réel la logistique.

Pour mémoire, il existe deux types de réseau radio privé. Dans les lieux publics, il est possible de faire du « slicing », c’est-à-dire dédier une partie de la bande passante des antennes des opérateurs à un usage particulier. Il s’agit typiquement de s’en servir pour véhiculer les flux vidéo des caméras de surveillance dans un stade sans avoir à tirer de câble.

« Tout le monde a proposé des solutions pour suivre les containers. Très bien ! Mais un port, ce ne sont pas que des containers. »
Ansis ZeltinsPDG du port marchand de Riga

Sur les sites industriels et les ports, on déploiera plutôt sa propre infrastructure radio, afin de garantir l’étanchéité des communications et aussi pour positionner les antennes selon des contraintes particulières. La seconde solution suppose néanmoins d’acheter une licence pour émettre des ondes privées sur un site et, selon tous les observateurs, la bureaucratie européenne n’est pas d’une grande aide, sauf en Allemagne.

Pour autant, l’infrastructure proposée par Nokia ne suffit pas. « Tout le monde a proposé des solutions pour suivre les containers. Très bien ! Mais un port, ce ne sont pas que des containers ! Nous devons synchroniser des véhicules qui entrent et qui sortent par exemple. Il n’y a pas de solution. Le problème de base est que, dans un port, nous avons une quantité incalculable de systèmes qui fonctionnent en silos. Rien ne communique avec rien ! » s’agace tout d’abord Ansis Zeltins, le PDG du port marchand de Riga.

Il est rejoint par Rob Watson, membre du conseil municipal de la ville portuaire de Plymouth, en Angleterre – le Royaume-Uni n’a manifestement pas été exclu des débats européens sur la 5G. Lui raille les solutions de réseau privé que Nokia lui propose : « vous voulez mettre un réseau 4G privé sur le port ? Très bien. Et qui va fournir la carte SIM de ce réseau aux bateaux qui arrivent, pour qu’ils puissent nous communiquer leurs données ? Envisagez-vous de payer un pilote d’hélicoptère pour qu’il aille livrer les cartes SIM en mer ? »

Santiago Encabo, directeur de projet à l’Agence de Sécurité maritime européenne, une institution de l’UE, défend quant à lui l’idée que la 5G pourrait favoriser le déploiement de navires autonomes. Ou du moins de drones marins pilotés à distance, potentiellement, juste des remorqueurs. Ses interlocuteurs notent que c’est une idée intéressante et qu’il serait formidable d’en reparler quand l’UE aura légiféré sur les navires autonomes, ou au moins que des startups livreront des solutions utilisables. Manifestement, rien n’est prêt.

Les aéroports peu conscients du cyberrisque que pose la 5G

Côté aéroports, on semble se satisfaire de couvrir avec un réseau radio privé tous les besoins logistiques. D’autant que les aéroports perdraient énormément de temps et d’argent à retrouver sur les pistes des véhicules et des outils oubliés par les personnels de maintenance. En France, Hub One semble montrer la voie à suivre sur le reste du continent.

« Vous devez être conscient que vous ne ferez pas l’économie de firewalls et de solutions de continuité d’activité. »
Anne StephanVice Présidente, en charge des projets réseaux et infrastructures critiques, Rohde & Schwarz

Mais Anne Stephan (en photo au début de cet article), en charge des projets infrastructures critiques chez Rohde & Schwarz, un prestataire spécialisé dans les instruments de mesure pour les réseaux, joue les trouble-fêtes. « Déployer un réseau radio sur votre aéroport va vous poser trois problèmes. Le premier est que vous offrez une couverture aux pilotes de drones. Qu’ils soient hostiles ou juste irresponsables, leurs engins peuvent causer de graves dysfonctionnements sur vos pistes. Le second problème est que dès lors que vous dépendez d’un réseau radio, vous exposez votre activité aux risques d’interférences, qu’ils soient causés par les réseaux mobiles publics ou, encore une fois, hostiles. »

« Enfin, un réseau 4G ou 5G privé est un réseau informatique. C’est-à-dire piratable. Vous devez être conscient que vous ne ferez pas l’économie de firewalls et de solutions de continuité d’activité », assène-t-elle. Son entreprise Rohde & Schwarz a des solutions pour parer à tous ces problèmes. Mais elle souhaitait préparer les esprits au fait que ce cela aurait un coût non négligeable. LeMagIT n’a pas réussi à obtenir d’estimation financière.

Le rail tiraillé entre une 5G alléchante et un FRMCS en retard

Concernant les chemins de fer, la situation est différente. Depuis la fin du XXe siècle, tous les trains d’Europe communiquent avec les gares et les services ferroviaires via un réseau radio privé, le GSM-R. Celui correspond à une flotte d’antennes 2G disposées sur 150 000 km de voies et qui sont tout juste capables de véhiculer de la voix et des SMS.

Pour succéder à ce système, dont manifestement tout le monde s’est rapidement plaint de l’obsolescence, l’ETSI (l’Institut européen des Normes de Télécommunications) met au point depuis 2012 un successeur, le FRMCS (Future Railway Mobile Communication System). Plus une architecture technique qu’un protocole, le FRMCS doit permettre aux trains de communiquer sur les bandes de fréquence des antennes 3G, 4G et 5 G.

« En gros, on nous explique que nous avons jusqu’à 2030 pour remplacer nos équipements GSM-R par des équipements FRMCS et, donc, bénéficier enfin des possibilités de la 5G en termes de haut débit pour communiquer des données volumineuses. Le problème est que le FRMCS est loin d’être prêt », lance Andy Billington, le directeur de l’innovation au sein de Rail Baltica, la compagnie ferroviaire européenne qui relie la Finlande, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie à la Pologne, en passant par la Biélorussie.

« Comprenez-moi. Je viens du monde de l’IT, où l’on mène des projets sur trois ans, cinq ans au maximum. Dans le ferroviaire, les projets sont faits pour durer cinquante ans. C’est-à-dire qu’ils évoluent excessivement lentement. Si personne d’autre que le ferroviaire ne travaille sur le développement du FRMCS, nous accéderons aux possibilités de la 5G quand elles seront aussi obsolètes que ne l’est aujourd’hui le GSM-R », se désole-t-il.

« Je comprends que la 5G est très flexible. Mais soyons raisonnables, ce n’est absolument pas sécurisé si vous n’ajoutez pas des protocoles dédiés par-dessus. »
Urmas RuutoOfficier en charge du centre de Cyberdéfense de l’OTAN

Sławomir Sarna, son homologue auprès de la CPK, la compagnie multitransport polonaise, est du même avis : « Nous avons voulu commencer à déployer FRMCS sur nos lignes. Et vous savez quoi ? Il n’existe aucune solution, aucun équipement prêt à l’emploi nulle part en Europe ! Donc, comme tous les trains de l’UE doivent partager le même système qui fonctionne de Lisbonne à Helsinki, nous continuerons tous à utiliser le GSM-R au-delà de 2030 », ironise-t-il.

Juha Lehtola, en charge des développements au sein l’agence des chemins de fer de Finlande, n’en peut plus. « Ce n’est plus possible. Nous devons communiquer avec la police des rails. Nous devons communiquer des données à nos passagers pour améliorer notre service. Donc, nous avons pris une décision. Nous n’attendrons pas FRMCS. Nous communiquerons dès l’année prochaine en passant par la 5G des opérateurs ! »

C’est alors qu’intervient Urmas Ruuto, un officier en charge du centre de Cyberdéfense de l’OTAN. « Messieurs. Je comprends que la 5G est très flexible. Mais soyons raisonnables, ce n’est absolument pas sécurisé si vous n’ajoutez pas des protocoles dédiés par-dessus ». Le début s’est terminé en cacophonie. LeMagIT suppose que des rebondissements sont à attendre dans les prochains mois.

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