B<>Com, ce Français qui veut mettre la 5G privée dans les mains des DSI

Initialement un institut de recherche technologique, B<>Com édite à présent sa propre solution de cœur de réseau 5G privée, avec l’ambition de porter une offre plus informatique que télécoms.

La 5G ne serait pas qu’une technologie des télécoms. Parce que ce réseau radio peut offrir une couverture « privée » sur une zone délimitée, afin d’y interconnecter des équipements informatiques sans fil, la 5G doit bientôt faire son entrée parmi les infrastructures dont la DSI à la charge. C’est en tout cas la thèse que défend l’institut de recherche français B<>Com, qui se mue en éditeur de logiciel en proposant Dome, un système cœur de réseau dédié à la 5G privée.

« Nous avons une vision en décalage par rapport au reste du marché : nous pensons que la 5G privée sera demain aux mains des DSI et non des télécoms », lance Bertrand Guilbaud, le directeur général de B<>Com. Il présente la 5G privée comme une sorte de super Wifi. Bien plus fiable, avec notamment des fonctions qui garantissent la constance des débits, bien plus sécurisée, par exemple grâce aux cartes SIMs.

La 5G privée serait l’infrastructure de communication conçue pour les véhicules industriels, les équipements que l’on perche là où il n’y a pas de câble Ethernet, ou encore les lunettes de réalité augmentée que l’on promet aux techniciens, afin d’opérer une maintenance en suivant un plan en surimpression. De manière plus globale, la 5G privée serait le réseau des installations, des entrepôts, des usines que l’on veut pouvoir réaménager rapidement, au moindre soubresaut de l’activité, sans devoir à chaque fois passer par des travaux pour déplacer des câbles. Tous ces usages n’ont rien à voir avec la téléphonie mobile que proposent les opérateurs.

« Notre approche consiste donc à vendre le cœur de réseau télécom aux intégrateurs traditionnels de l’IT, qui eux, peuvent accompagner des entreprises de toutes tailles sur les projets réseau. »
Mathieu LagrangeDirecteur Réseau & Sécurité, B<>Com

« En France, les télécoms ne sont pas taillées pour installer des infrastructures 4G/5G à petite échelle. De fait, les seuls qui ont pu déployer de la 5G privée à date sont uniquement de très grands groupes comme la SNCF, Air France, EDF ou encore Hub One (l’opérateur interne des aéroports de paris). Notre approche consiste donc à vendre le cœur de réseau télécom aux intégrateurs traditionnels de l’IT, qui eux, peuvent accompagner des entreprises de toutes tailles sur les projets réseau », explique Mathieu Lagrange, le directeur Réseau & Sécurité de B<>Com.

D’institut de recherche technologique à éditeur de logiciel

Dans les télécoms, le cœur de réseau est la partie centrale qui route les communications selon plusieurs protocoles : voix, données, messages, flux vidéo, etc. C’est lui qui distribue à chaque appareil connecté un identifiant, des droits d’accès, une priorité parmi les protocoles de communication et la bande passante disponible.

Alors que les cœurs de réseau étaient auparavant des solutions propriétaires fournies par les seuls équipementiers historiques – Nokia, Ericsson, Samsung, Huawei, ZTE… – l’arrivée de la 5G s’est accompagnée d’efforts de standardisation qui permettent à présent à tout un chacun de proposer son propre cœur de réseau. L’enjeu est de prendre la place des équipementiers historiques avec des solutions moins chères, tout automatisées, interopérables avec des services en cloud.

« B<>Com existe depuis dix ans comme un institut de recherche technologique, financé par plusieurs fonds publics et privés, dont la mission est de transférer des innovations aux acteurs du marché. Nous n’avions pas vocation à entrer nous-mêmes sur le marché. Mais il y a deux ans, un plan social chez Nokia a libéré un très grand nombre d’experts qui travaillaient sur ces nouvelles solutions de 5G privée. Cela nous a incités à les recruter et à concrétiser les idées qu’ils avaient en tête, en devenant nous-mêmes éditeur de logiciel », raconte Bertrand Guilbaud.

« Parmi les briques applicatives, vous retrouvez dans Dome des versions virtuelles des équipements de Nokia, Ericsson, ou du Français AW2S. »
Mathieu LagrangeDirecteur Réseau & Sécurité, B<>Com

C’est ainsi qu’est né Dome, le cœur de réseau développé par B<>Com et dévoilé au public lors du dernier salon annuel Mobile World Congress (MWC2022). En pratique, Dome revient à un cluster de containers, similaire à ce que propose VMware avec vSphere Tanzu. À cette différence près que les applicatifs et les rouages système, dont l’infrastructure réseau, sont tous développés pour répondre à une problématique télécom. 

« Parmi les briques applicatives, vous retrouvez dans Dome des versions virtuelles des équipements de Nokia, Ericsson, ou du Français AW2S. Au fur et à mesure, nous allons aussi proposer des briques que nous développons nous-mêmes, notamment pour la cybersécurité ou pour le traitement par Intelligence artificielle des données », explique Mathieu Lagrange.

« Toutes ces briques sont pilotées depuis des rouages, une console et des outils d’automatisation de notre cru. Concernant le système de virtualisation sous-jacent, il s’agit de Kubernetes. Il s’installe de préférence sur des serveurs physiques dédiés. Cependant, nous ne voulons pas l’imposer. Les briques de Dome et leur contrôle peuvent tout autant s’installer par-dessus une infrastructure Kubernetes du marché. On peut même les exécuter depuis un cloud », ajoute-t-il.

Jouer la carte d’une solution 100 % française

Problème, B<>Com est loin d’être le seul à se lancer sur ce marché. VMware, notamment, présentait une solution similaire à Dome lors du dernier salon MWC. Des acteurs comme Cisco ou Mavenir sont également sur les rangs ; les acteurs du cloud aussi.

« Notre avantage est de proposer une solution 100 % souveraine, avec la garantie que les données resteront en France », rétorque Bertrand Guilbaud. Il précise d’ailleurs que si Dome fonctionne en cloud, le fournisseur recommande de ne l’installer que sur des clouds privés, hébergés sur le territoire national.

« Notre solution sera intégrée soit par des prestataires locaux pour les PME/PMI, soit par des champions français comme OBS et Atos qui ont la double compétence informatique/télécom. La proximité est un point capital en 5G privé, car il ne s’agit pas de mettre en route un mini réseau 5G qui mime le réseau mobile d’un opérateur ; il s’agit véritablement de construire sur mesure un réseau radio qui réponde exactement aux attentes particulières de nos clients », complète Mathieu Lagrange.

Il donne l’exemple des besoins de qualité de service, de chiffrement, de la manière particulière d’enrôler sur le réseau les appareils. Ou encore de créer une hybridation entre la 5G privée locale et la 5G publique d’un opérateur pour que des équipements qui quittent un site ne soient pas automatiquement déconnectés.

Il insiste aussi sur les compétences techniques de B<>Com : « nous sommes partis d’une feuille blanche. Nous avons découpé les fonctions réseau de la manière qui nous semblait la plus pertinente, en termes de résilience, d’élasticité, de capacité à s’adapter à des environnements matériels très différents. Le fait de passer par Kubernetes apporte par ailleurs une maîtrise et une flexibilité dans la gestion des correctifs de sécurité que vous ne retrouverez pas dans des solutions qui reposent sur des machines virtuelles. »

Pour sa part, Bertrand Guilbaud veut croire qu’Atos et OBS ouvriront à B<>Com des marchés ailleurs en Europe.

La partie radio, point en suspens des projets de 5G privée en France

Il manque en revanche une partie à l’offre de B<>Com : les antennes et, plus particulièrement leurs RAN, ces équipements qui font office de modem et décodent les signaux radio pour les remonter au cœur de réseau. Selon les informations que LeMagIT avait précédemment obtenues, cette partie radio représenterait à date 70 % des investissements dans les projets de 5G privée, suggérant que le cœur de réseau n’est finalement qu’un module secondaire.

« Le véritable frein concerne plutôt les bandes de fréquences disponibles pour les réseaux 5G privés. »
Mathieu LagrangeDirecteur Réseau & Sécurité, B<>Com

« C’est faux ! », s’emporte Mathieu Lagrange. « Ce taux de 70 % ne concerne que les projets des grandes entreprises qui souhaitent déployer des RAN à l’échelle nationale. Sur un site, vous ne déploierez en moyenne qu’une dizaine d’antennes et il s’agira de Small Cells. Il est important de le dire, car l’importance du cœur de réseau est trop souvent sous-évaluée. » Selon lui, les entreprises n’en seraient qu’au stade des réflexions, aucune d’elles n’aurait encore le recul nécessaire.

Le frein, en revanche, est qu’il existe encore peu d’équipements radio véritablement 5G sur le marché. « Dome est compatible avec les équipements radio 4G ou 5G NSA, lesquels sont des équipements 4G patchés pour fonctionner en 5G. Ce sont des solutions proposées par les équipementiers historiques. Nous travaillons avec les Français Rapid.Space et Amarisoft pour proposer des solutions pleinement 5G, dites 5G SA, moins chères et plus ouvertes. »

« Non, le véritable frein concerne plutôt les bandes de fréquences disponibles pour les réseaux 5G privés. Contrairement à l’Allemagne chez qui les industriels ont accès à des fréquences dédiées, les entreprises françaises doivent se contenter de la bande 38, large de seulement 20 MHz et coûtant 70 000 €/an. La situation évolue. L’Arcep devrait libérer à terme d’autres fréquences. »

« Pour résumer, il n’existe pas encore de solution de 5G privée complète, sur étagère. Le rôle de B<>Com à l’heure actuelle est d’accompagner les entreprises qui expérimentent. Mais le décollage se fera très bientôt », conclut Mathieu Lagrange.

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