5G privée : Nokia aura lui aussi une solution d’appoint

Lors du salon MWC, Nokia a présenté en avant-première un RAN pour greffer les communications d’une antenne 5G privée à un réseau local qui tient dans un serveur x86. Mais la solution reste plus chère que celle de Rapid.space.

C’est une petite révolution culturelle dans le monde de la 5G privée : Nokia va proposer d’ici à l’année prochaine une solution qui n’a plus besoin de ses boîtiers RAN propriétaires et onéreux pour communiquer avec les antennes.

On ne peut qu’applaudir l’ouverture de l’équipementier, qui faisait la démonstration sur le dernier salon MWC d’une solution basée seulement sur un serveur x86. Mais, sur le papier, on reste néanmoins loin, en matière de prix, de ce que proposent les Français Amarisoft, pour la partie logicielle, et Rapid.Space, pour la partie matérielle.

« Nous pensons que notre savoir-faire dans les technologies radio est bien meilleur que celui de ces petits acteurs français qui s’essaient au RAN », lance Tamas Bischof, l’expert de Nokia (à gauche sur la photo) qui assurait les présentations de cette nouvelle solution baptisée Nokia Digital Automation Cloud, depuis le stand d’Intel.

« Par exemple, nos serveurs s’interconnectent entre eux pour former un seul cœur de réseau radio global lorsque vous déployez plusieurs antennes. Un autre exemple est que notre couche BBU permet de fragmenter la bande passante de votre antenne entre votre 5G privée et un accès aux opérateurs télécoms », dit-il, en suggérant qu’il pourrait exister des services hybrides, voire un système de refacturation.

« Et puis nous avons un orchestrateur qui permet de contrôler dynamiquement les ressources de l’antenne selon une évolution des besoins au fur et à mesure de la journée. Ce sont des algorithmes sophistiqués. Personne n’arrive à notre niveau », assure notre interlocuteur.

L’inconvénient de la solution de Nokia reste son prix. Elle sera facturée 1 800 €/mois par lot de 100 appareils connectés, que la couverture du site soit assurée par une, deux ou trois antennes, chacune accompagnée de son propre serveur x86.

« Cela reste hors de prix. Le coût des composants pour faire un RAN, c’est 100 dollars pour le transceiver optique qui rapatrie les signaux de l’antenne vers le module de contrôle, plus des composants à quelques dizaines de dollars pour ce dernier, dont un processeur AMD 6 cœurs à 140 dollars qui suffit pour gérer 512 appareils connectés », rétorque Jean-Paul Smets, le PDG de Rapid.Space. Lui propose des boîtiers RAN baptisés BBU-RC à 288 €/mois.

La solution de Nokia est basée sur un serveur HPE. Mais Dell présentait sur son stand une solution similaire – même configuration matérielle, mêmes logiciels Nokia – qu’il pourrait vendre sous sa marque. Michael Tien, architecte technique chez Dell, défend l’approche de Nokia : « La question est moins le coût que la garantie de fiabilité et du respect des niveaux de service. Nous allons considérer, avec cette solution de 5G privée, des besoins critiques que ce soit dans les usines, comme dans la distribution, comme dans les hôpitaux. Seul Nokia peut se prévaloir de suffisamment d’expérience dans les télécoms pour promettre aux clients qu’ils obtiendront exactement ce à quoi ils s’attendent. »

L’enjeu d’implémenter un système RAN complexe

Qui a raison ? Pour comprendre ce qu’il se joue, mieux vaut revenir sur la technique.

D’ordinaire, un réseau mobile se décompose en plusieurs strates matérielles et fonctionnelles. Une antenne est reliée par des câbles coaxiaux à un amplificateur de signal. Celui-ci est accolé à un module pour transmettre le signal par fibre optique, via un protocole CPRI, à une unité qui assure à la fois le décodage des conversations (vocales ou data) et gère les connexions des appareils mobiles sur différentes fréquences, la BBU. Le module de transmission du signal au protocole CPRI et la BBU forment le RAN, qui prend la forme d’un boîtier généralement installé au pied de l’antenne.

Le RAN est ensuite relié à un cœur de réseau où le routage des conversations mobiles est assuré. Historiquement, chaque équipementier installait ses propres serveurs dans les cœurs de réseau des opérateurs pour interpréter les communications de leurs RAN.

Chez un équipementier historique des télécoms (Nokia, Ericsson, ZTE, Huawei…), tout ce qui a trait aux puces, aux logiciels et aux protocoles du RAN est propriétaire. Et le boîtier RAN est à la fois démesuré et trop cher pour couvrir un seul site en 5G privée.

Depuis ces dernières années, divers acteurs se sont regroupés pour concevoir des alternatives aux RAN des équipementiers historiques. Deux consortiums, qui réunissent chacun des fournisseurs bien connus du monde informatique, se sont constitués : l’Open RAN et l’O-RAN. Leur idée consiste à exécuter la BBU sur des serveurs x86 génériques.

Ils s’appuient, d’une part, sur une nouvelle génération d’antennes, notamment fabriquées par l’Américain Mavenir, capables d’encoder les signaux du protocole CPRI en paquets de données directement transférables en Ethernet. Le nom de ce protocole hybride est eCPRI. Et, d’autre part, sur un serveur x86 doté d’un processeur Intel Xeon de série N qui intègre une fonction baptisée FlexRAN pour décoder les paquets eCPRI.

À date, les développements d’OpenRAN et d’ORAN semblent plutôt gelés. Lors du salon 5G Techritory qui se tenait en décembre dernier à Riga, en Lettonie, LeMagIT a compris pourquoi : les acteurs informatiques impliqués dans Open RAN et O-RAN s’intéressent en définitive assez peu aux réseaux 5G privés. Leur priorité est de vendre leurs solutions aux opérateurs télécoms, à très grande échelle, mais ceux-ci sont encore pieds et poings liés aux équipementiers historiques par contrat, pour au moins les cinq prochaines années.

Précisons qu’il existe deux types de 5G privée. Celle dont nous parlons ici doit permettre à des sites – souvent industriels – de communiquer sans fil avec une meilleure fiabilité, une meilleure latence et une meilleure couverture que ne peut le faire le Wifi. L’autre consiste à ménager une bande passante privée sur les antennes publiques des opérateurs télécoms pour permettre à un stade de connecter ponctuellement des caméras aux quatre coins de sa surface, sans avoir à tirer des kilomètres de câbles Ethernet.

Une 5G privée de Nokia sans équipement propriétaire de Nokia

La solution Nokia Digital Automation Cloud implémente la technique de l’eCPRI et du processeur Xeon N, mais dans un serveur x86 qui exécute les BBU et les logiciels de cœurs de réseau de Nokia. Elle se compose d’une antenne qui communique ses signaux en paquets Ethernet sur une double fibre optique et d’un serveur 1U construit par HPE, avec une carte Ethernet dotée de connecteurs SFP fibre et un processeur Xeon 6443N (32 cœurs à 2 GHz). Celui-ci décode à la volée les paquets eCPRI et assure aussi les opérations de routage.

La BBU et le cœur de réseau de Nokia sont exécutés sur ce serveur sous la forme de containers par un système Linux et un orchestrateur Kubernetes. Le système se pilote au travers d’une console web qui permet de gérer aussi facilement les appareils connectés à l’antenne que le font les consoles d’administration usuelles des bornes Wifi.

Nokia Digital Automation Cloud ne fait rien d’autre. « Nos logiciels consomment les deux tiers de la puissance du Xeon 6443N. Il est donc peu probable que vous puissiez exécuter sur le même serveur, par exemple, un moteur de reconnaissance des images filmées par des caméras qui seraient connectées sur le réseau 5G privé », reconnaît Tamas Bischof.

« Notre cœur de réseau supporte d’emblée tous les protocoles applicatifs de deux générations. »
Tamas BischofExpert Nokia

« En revanche, notre système est extrêmement versatile. Vous pouvez l’utiliser dans un premier temps pour constituer un réseau de 4G privée – car, en Europe, les États ne se sont pas encore mis d’accord pour standardiser les bandes de fréquence de la 5G privée. Et vous pouvez basculer en 5G quand la norme sera prête. Notre cœur de réseau supporte d’emblée tous les protocoles applicatifs de deux générations », ajoute-t-il.

En attendant que Nokia Digital Automation Cloud soit disponible, l’équipementier fournit déjà une solution plus chère, pour les réseaux 5G privés, basée sur une version miniature de son boîtier RAN et un serveur x86 qui ne s’occupe que de la partie cœur de réseau. Cette solution-là aurait été vendue à 700 clients dans le monde.

Rapid.Space, la 5G privée qui existe déjà

Du côté de Rapid.Space, la solution historique passe par un transceiver optique dans l’antenne qui envoie directement les signaux CPRI à un FPGA Xilinx dans le RAN, lequel les transforme en données numériques. La BBU d’Amarisoft n’a ensuite besoin que d’un minimum de puissance CPU pour attribuer des bandes de fréquences, synchroniser les connexions et extraire ou encoder les flux des différentes conversations. D’autres logiciels de Rapid.Space s’occupent ensuite de router les paquets de données selon différents protocoles applicatifs.

« La partie optique est ce qui coûte le plus cher. Mais nous refusons d’utiliser le protocole eCPRI des Open RAN et consort, car cela ne fonctionne pas ! Le CPRI est un protocole déterministe qui ne supporte pas la perte de paquets, tandis que l’Ethernet est un protocole conçu pour gérer la perte de paquets. Utiliser les deux ensemble n’est pas bon. Il faut des puces spécialisées, qui coûtent plus cher que les puces génériques », dit Jean-Paul Smets, en référence notamment au Xeon N.

« Dans notre prochaine génération, nous implémenterons du RDMA. Cela permet à l’antenne, équipée d’un encodeur de signaux sur Ethernet, d’écrire ou de lire directement dans la RAM du serveur. »
Jean-Paul SmetsPDG, Rapid.Space

« Dans notre prochaine génération, nous implémenterons du RDMA, qui est supporté par la plupart des puces Ethernet à présent. Cela permet à l’antenne, équipée d’un encodeur de signaux sur Ethernet, d’écrire ou de lire directement dans la RAM du serveur, c’est-à-dire que la puce x86 ne fait aucun travail supplémentaire pour pousser ou importer les données de l’antenne », ajoute-t-il.

Contrairement à la solution de Nokia, celle de Rapid.Space est d’ores et déjà disponible.

Le fournisseur se plaît à mettre en valeur des services applicatifs qui sortent des routages TCP/IP de base (notamment un système de communication façon talkie-walkie pour des smartphones connectés et au réseau radio privé), et il assure que le côté Open source de sa solution garantit une extensibilité à l’envi des possibilités. Il existe néanmoins une alternative avec d’autres services clés en main : un autre Français, B<>Com, a développé le cœur de réseau Dome qui s’interface avec les RAN de Rapid.Space.

Fonctionnant sur un serveur à part, Dome route non seulement les communications d’une grande quantité de services applicatifs (la vidéo par exemple), mais peut aussi exécuter sous la forme de containers les applications de traitement qui vont avec ces services. Typiquement, il existe déjà un logiciel de reconnaissance des images filmées par des caméras de vidéosurveillance.

Paradoxalement, ce sont les résultats de Rapid.Space dans le domaine de la 5G privée qui pourraient lui permettre de vendre d’ici à quelques mois des RAN aux opérateurs télécoms, ce que les conglomérats Open RAN et O-RAN n’arrivent pas encore à faire.

« Nous ne pouvons pas révéler à ce stade quels opérateurs sont en cours de déploiement de nos RAN. Mais je peux vous dire que ce ne sont pas des Européens. Les Européens ne veulent pas ajouter à leurs cœurs de réseau existant des cœurs de réseau-bis pour nos RAN. Les Asiatiques, eux, n’y voient aucun problème. Ils nous ont donné les codes pour nous interfacer. C’est juste une question de culture », conclut Jean-Paul Smets.

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