Cet article fait partie de notre guide: Guide des technologies de la 5G

Sommet UE-5G : Weaver Labs lance une place de marché pour les réseaux

La startup britannique s’est illustrée lors du récent 5G Techritory avec une blockchain permettant aux propriétaires de réseau de s’échanger de la bande passante. Elle pourrait booster les investissements en zone blanche.

Parmi les idées qui ont fusé cette année lors du sommet 5G Techritory – un événement qui réunit tous les ans politiciens, opérateurs et prestataires européens pour débattre de l’avenir des réseaux en Europe –, il y a celle d’une place de marché où opérateurs publics et réseaux privés pourraient s’échanger de la bande passante. Porté par la startup britannique Weaver Labs, ce concept permettrait à un hôtel ou à une société de transport, par exemple, d’offrir à un opérateur mobile étranger de prolonger sa couverture 4G/5G nationale en passant par le Wifi local.

Un projet similaire est actuellement mis en œuvre par Hub One, l’opérateur interne des aéroports de Paris. Celui-ci est en mesure de présenter ses antennes Wifi comme une extension des réseaux mobiles de British Telecom ou d’AT&T, de sorte que les visiteurs britanniques ou américains peuvent téléphoner depuis Roissy Charles-de-Gaulle comme s’ils étaient encore au Royaume-Uni ou aux USA, sans payer de frais de roaming.

Plus qu’un simple gadget, cette faculté d’étendre un réseau mobile a notamment permis à Hub One d’être sélectionné pour assurer la couverture radio du futur Grand Paris Express, soit l’extension des lignes de métro en Île-de-France. Pour l’opérateur du réseau Wifi, il y a l’idée de monétiser sa bande passante, gratuite pour les usagers, auprès de grandes entreprises.

Weaver Labs va plus loin avec la mise en place d’une bourse d’échange pour que quiconque puisse acheter ou vendre facilement de la bande passante mobile, sans devoir entreprendre de longues démarches commerciales.

Pour comprendre comment cette idée (simple sur le papier) pouvait bien se concrétiser en pratique, LeMagIT est allé à la rencontre de Maria Lema (en photo en haut de l’article), la PDG de Weaver Labs. Interview.

LeMagIT : Pour que nous soyons bien sûrs de comprendre, pouvez-vous nous résumer le concept de Weaver Labs ?

Maria Lema : Nous sommes partis du constat que, en Europe, les opérateurs nationaux investissent de moins en moins dans la construction de leurs réseaux télécoms. Il y a cette idée chez les opérateurs qu’ils n’ont plus besoin de posséder leurs propres fibres ou leurs propres antennes et qu’il est plus rentable de partager les infrastructures.

Donc on en arrive à une logique de réseau de réseaux. Mais il n’existe actuellement aucun produit sur le marché qui permette d’intégrer ces réseaux de réseaux et qui puisse les présenter comme de simples services, achetables aussi simplement qu’une Infrastructure-as-a-Service sur les clouds publics.

« L’idée de Weaver Labs est […] de fournir aux propriétaires de réseaux mobiles ou sans fil une plateforme logicielle, la Cell-Stack, qui leur permet de gérer leur réseau comme un actif. »
Maria LemaPDG, Weaver Labs

L’idée de Weaver Labs est donc de fournir aux propriétaires de réseaux mobiles ou sans fil une plateforme logicielle, la Cell-Stack, qui leur permet de gérer leur réseau comme un actif et de mettre sur le marché de la connectivité ou d’en acheter, selon des emplacements géographiques.

Mais je le précise pour que ce soit bien clair : nous-mêmes, nous ne sommes pas opérateur virtuel. Nous ne fournissons aucune carte SIM, nous ne fournissons nous-mêmes aucune infrastructure. Nous fournissons juste le moyen à des entreprises d’utiliser l’infrastructure réseau des autres.

LeMagIT : Dans votre communication, vous parlez de greffer votre solution sur le cloud de vos clients. Qu’est-ce que cela signifie ?

Maria Lema : En effet, nous parlons de greffer Cell-Stack sur un cloud parce que, de nos jours, toutes les solutions de réseau sans fil, ou de 5G privée sont vendues aux entreprises avec une plateforme de gestion en cloud, avec laquelle nous pouvons nous interfacer.

Cela dit, nous avons bel et bien des clients qui ne gèrent pas du tout leur réseau radio depuis des plateformes en cloud. Nous nous interfaçons autrement, en local, sur des serveurs physiques.

Mais le concept est bien là : notre produit est conçu pour s’interfacer avec des approches entièrement automatisées, entièrement Software-Defined.

LeMagIT : Vous dites que votre solution est basée sur une blockchain, appelée « Adeno ». Pour quoi faire ?

Maria Lema : Dans notre solution, le rôle de la blockchain est de régir les transactions d’offres et de demandes. Cela fait office de contrat : la blockchain prouve que vos ressources ont volontairement été placées dans un réseau et elle prouve ensuite que ces ressources ont été utilisées. Cela permet à vos clients d’avoir la certitude que vous allez fournir une capacité de connectivité, sans qu’ils aient besoin de vous connaître et sans que vous ayez besoin de leur prouver que vous êtes quelqu’un de confiance.

« Dans notre solution, le rôle de la blockchain est de régir les transactions d’offres et de demandes. »
Maria LemaPDG, Weaver Labs

Alors, bien évidemment, cette blockchain crée des jetons qui servent virtuellement à acheter de la connectivité ou à être rémunéré pour sa vente. Cependant, il n’est pas question d’enfermer nos clients dans une nouvelle cryptomonnaie. À la fin du mois, quand vous revendez de la connectivité, vous touchez de l’argent dans la même monnaie que celle qui vous sert à payer vos factures d’électricité.

LeMagIT : Et donc, ça marche ? Vous avez beaucoup d’adhérents ?

Maria Lema : Nous n’en sommes qu’au début. Nous avons développé notre technologie entre 2019 et 2020. À ce stade, notre plus grande réussite a été de permettre à la ville de Manchester, au Royaume-Uni, de redistribuer la connectivité de ses antennes 5G à des réseaux privés.

À l’évidence, notre solution démarre surtout avec des acteurs du secteur public, parce qu’il y a beaucoup de ressources disponibles dans les réseaux que possèdent les villes ou les administrations.

Mais nous sommes sûrs que notre modèle s’accorde tout à fait à l’adoption croissante de produits d’automatisation et d’orchestration des réseaux, proposés par un intermédiaire neutre vis-à-vis des opérateurs.  

Pensez-y : si vous voulez rentabiliser vos réseaux, sans plateforme telle que la nôtre, vous devez entretenir une relation avec votre client. Et pour le convaincre, vous devez avoir un certain passif, ce qui complique la démarche pour les nouveaux venus. Avec notre solution, vous avez la capacité de démultiplier vos revenus, parce qu’elle est simple, flexible.

LeMagIT : Certes. Mais si l’on sort de l’exemple particulier des lieux touristiques, les acteurs qui auront de grands réseaux privés seront le plus souvent les industriels, pour qui le réseau est un bien sensible. Pensez-vous vraiment qu’ils partageraient leur connectivité ?

Maria Lema : Évidemment, si votre activité est sensible, vous n’allez pas partager votre réseau sur un marché ouvert. Cela dit, vous y gagneriez tout de même à déployer notre solution, car elle offre des capacités de découpage et d’isolation qui vous permettront de mieux surveiller votre réseau, de mieux le partitionner.

Dans ce cas, vos clients sont vos cas d’usage. Notre plateforme est multitenant, ce qui signifie, si vous êtes par exemple une entreprise de logistique, que vous pouvez accorder une tranche de votre connectivité à votre flux d’approvisionnement, une autre à vos camions, etc. La Cell-Stack rend possible la refacturation interne.

LeMagIT : Sur ce point du multitenant, justement. Quel usage de votre solution aurait, par exemple, un opérateur alternatif qui vend des réseaux privés aux entreprises ?

« L’intérêt de notre Cell-Stack, c’est avant tout de créer un marché de la connectivité disponible parmi les réseaux appartenant à des entreprises privées. »
Maria LemaPDG, Weaver Labs

Maria Lema : Le scénario est celui de l’intégrateur. L’entreprise va voir cet opérateur alternatif en lui exprimant ses besoins. Et, en retour, cet opérateur construit un réseau spécialement adapté à ces besoins, en allant se servir dans la connectivité disponible sur le marché.

Après, attention. Nous avons bien conscience que des opérateurs virtuels de type MVNO n’ont pas besoin de passer par nous pour simplement revendre sous leur marque de la connectivité issue du réseau mobile d’Orange. Notez que si Orange veut vendre sa connectivité via notre plateforme, ce serait tout de même formidable ! Mais l’intérêt de notre Cell-Stack, c’est avant tout de créer un marché de la connectivité disponible parmi les réseaux appartenant à des entreprises privées.

LeMagIT : Dans votre communication, vous mettez l’accent sur les régions rurales. Pourquoi ?

Maria Lema : Parce que notre objectif est de réduire les coûts des infrastructures et, par là même, de stimuler les investissements dans des zones habituellement laissées pour compte en matière de technologie. Chaque pays à des problèmes d’inclusion, auxquels ils doivent remédier par le biais de la couverture réseau.

Mais qui va accepter de prendre le risque d’investir en infrastructures réseau dans les zones rurales ? Peu d’acteurs parce que ce n’est pas rentable. Sauf si vous parvenez à monétiser la connectivité en zone rurale. Dans ce cas, vous réduisez le risque. Et, mieux, grâce à notre solution, vous pouvez même étendre les services que vous fournissez localement.

LeMagIT : Chez qui hébergez-vous votre solution ?

Maria Lema : Nous n’hébergeons rien nous-mêmes. C’est une blockchain. Elle est distribuée partout où notre solution fonctionne.

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