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Comment le secteur européen de l’éducation subit le rachat de VMWare par Broadcom
Les retours négatifs pleuvent côté utilisateurs. Aujourd’hui voyons comment le London Grid for Learning et l'université belge KU Leuven doivent faire face à d'énormes augmentations de licences après que Broadcom a supprimé le programme de réduction de VMware pour les universités et les organisations liées à l’éducation.
Les organismes éducatifs et caritatifs sont confrontés à des augmentations massives des frais de licence VMware après que le nouveau propriétaire du fournisseur de solutions de virtualisation, Broadcom, a retiré un programme offrant de généreuses réductions aux organisations à but non lucratif.
Généralisé dans l’IT, ce type de pratiques permet de faciliter ou développer l’adoption de technologies auprès de décideurs influents ou de futurs décideurs du secteur.
Au-delà de ce programme, Broadcom ne semble pas trouver son nouvel actif suffisamment rémunérateur et de nombreux clients doivent également faire face à des coûts supplémentaires liés aux changements apportés aux offres logicielles VMware actuellement vendues, ainsi qu’aux changements de licence de serveur, qui peuvent désavantager les organisations ayant déployé VMware sur de puissants serveurs multicœurs sur site. Il y a quelques jours le Cigref, qui rassemble les grands utilisateurs d’informatique français, en appelait d’ailleurs à l’intervention des pouvoirs publics européens. Et en fin d’année Broadcom mettait déjà fin au programme partenaire de VMware au grand dam de ces derniers.
Le programme de licences pour les établissements d’enseignement offre, de son côté, des remises importantes par rapport aux prix catalogue. Et certains clients du secteur, qui voient poindre la date de renouvellement, reçoivent de nouveaux droits de licence ayant plus que doublé. Or ces organisations sont souvent coincées avec VMware, car leur infrastructure informatique est très dépendante de la couche de virtualisation et ils n’ont pas eu le temps d’envisager de migrer.
London Grid for Learning (LGfL) est ainsi un organisme à but non lucratif détenu par les autorités locales londoniennes qui fournit des services informatiques et une connectivité Internet à plus de 3 000 écoles. Il fournit des services informatiques essentiels au système éducatif de la capitale et de toute l’Angleterre, tels que les admissions scolaires, les repas scolaires gratuits, la connectivité Internet, la sécurité et le filtrage du Web. Plus de deux millions d’enseignants, d’élèves et de travailleurs du secteur public en Angleterre se connectent quotidiennement au réseau LGfL – et l’infrastructure critique de son datacenter repose sur des solutions VMware.
Michael Eva, responsable du programme au LGfL, explique que la nouvelle tarification a été communiquée par VMware seulement six semaines avant la date de renouvellement de la licence en avril 2024. LGfL dispose actuellement d’une licence perpétuelle, un modèle de tarification que Broadcom a également retiré, ce qui l’oblige à passer à une licence basée sur l’abonnement.
La LGfL a acheté une licence VMware de trois ans en 2021. Le prix de renouvellement d’un nouveau contrat de trois ans proposé à LGfL le mois dernier représente une augmentation de 268 % !
Si la LGfL choisit de ne pas souscrire à la licence d’abonnement de trois ans et de n’accepter qu’un accord de maintenance annuel afin de se donner l’opportunité d’envisager d’autres options, le prix d’un renouvellement d’un an s’élèverait toujours à 125 % du coût de la licence de trois ans et de l’accord de maintenance précédents.
Michael Eva qualifie ces hausses de prix d’« abus flagrant de la position de VMware sur le marché ». « Si la LGfL décidait de ne pas renouveler le modèle d’abonnement proposé, l’application cesserait de fonctionner, ce qui provoquerait le chaos et des perturbations dans des dizaines de milliers de salles de classe en Angleterre », explique-t-il.
Michael EvaResponsable du programme, LGfL
« Il est très préoccupant qu’un fournisseur puisse augmenter ses coûts de plusieurs centaines de points de pourcentage et ne pas fournir de prix jusqu’à six semaines avant le renouvellement. C’est profondément contraire à l’éthique, d’autant plus qu’il n’y a pas de délai raisonnable pour envisager des solutions alternatives et les mettre en œuvre sans perturber l’enseignement et l’apprentissage ou s’exposer à des risques de sécurité importants ».
Si la LGfL choisissait de ne pas renouveler son accord de maintenance, la plateforme VMware ne recevrait plus de correctifs de sécurité, ce qui exposerait son infrastructure virtualisée à un risque critique.
L’environnement VMware de la LGfL gère également le service Internet sécurisé et filtré que les enfants utilisent pour se connecter au Web, à l’école comme à la maison. Sans ce service, les élèves se connecteraient directement à Internet sans aucun filtrage, ce qui pose là encore de sérieux problèmes de sécurité. La LGfL fournit aussi aux écoles – qu’elles soient clientes ou non de LGfL – un large éventail de contenus de programmes scolaires, ainsi que des services permettant aux écoles de réclamer au gouvernement central des primes pour les familles défavorisées.
La LGfL utilise VMware depuis plus de 10 ans et en tant qu’organisation à but non lucratif, le seul moyen pour l’organisme de récupérer les fonds et s’acquitter des droits de licence supplémentaires serait de faire payer davantage les écoles à court d’argent pour ses services…
Changements dans l’octroi des licences
D’autres institutions universitaires ont connu des retards importants dans leur travail avec les revendeurs spécialisés VMware qui doivent se mettre en relation avec le réseau de partenaires traitant désormais directement avec Broadcom. D’autres changements en matière de licences devraient avoir un impact sur les services informatiques qui utilisent VMware par l’intermédiaire de leur fournisseur de cloud, où certaines sources suggèrent que les frais de licence ont augmenté de 1 200 %.
L’université KU Leuven, en Belgique, est par exemple un autre des instituts touchés. Herman Moons, membre de l’équipe de gestion du SI de l’université, explique être un gros utilisateur de VMware et paye généralement 200 000 euros par an en droits de licence.
Il précise avoir « beaucoup investi dans la virtualisation. Nous utilisons VMware pour notre infrastructure de services d’apprentissage en ligne et notre environnement administratif. Nos systèmes SAP, par exemple, tournent tous sur VMware ». Les sites Web de l’université utilisent également VMware, qui exploite notamment une infrastructure de bureau virtuel (VDI) basée sur les technologies du spécialiste de la virtualisation.
Broadcom a également modifié le mode de tarification de VMware, passant d’une licence par sockets à une licence par cœur. Herman Moons estime que cette situation désavantage financièrement les organisations qui utilisaient auparavant de grandes installations de serveurs multicœurs.
Dans un billet de blog publié en janvier sur le changement de licence par cœur, Derek Loseke, ingénieur principal chez Kidwell Technologies, qui crée des systèmes pour les écoles et les hôpitaux, expliquait que la nouvelle licence de VMware avait une limite minimale de 16 cœurs par processeur. « Si vous avez deux processeurs à huit cœurs dans votre serveur, vous devez en fait acheter 32 cœurs [de licence VMware] ».
Derek LosekeIngénieur principal, Kidwell Technologies
Derek Loseke précise que vSphere Foundation et vSphere Standard sont vendus par cœur, mais que VMware Essentials Plus n’est de son côté vendu que sous la forme d’une licence de 96 cœurs : « cela signifie que si vous avez un petit environnement, comme beaucoup de mes clients, avec un seul processeur à 16 cœurs, vous devrez toujours payer pour le kit à 96 cœurs lorsque vous utiliserez Essentials Plus. »
Contrairement à beaucoup de personnes confrontées à une hausse imminente des prix, la KU Leuven a de son côté eu la chance de pouvoir renouveler sa licence VMware à la fin de l’année 2023. « Nous avons obtenu un devis portant sur 90 % de notre installation et nous avons pu passer commande à la fin de l’année dernière », explique Herman Moons. Cela lui permet de disposer de trois ans de licence académique sans subir les affres du nouveau modèle tarifaire.
La raison pour laquelle Herman Moons a pu réaliser cette opération tient au fait que l’université n’avait pas encore pris le temps de consolider tous ses contrats VMware. « Sur les dix contrats VMware que nous avions, l’un d’entre eux contenait le module de bureau virtuel. C’est le seul contrat que nous n’avons pas pu renouveler », explique-t-il.
En février de cette année, Broadcom a annoncé que la division IT pour utilisateurs finaux de VMware, qui comprend ses offres de produits VDI, était vendue à la société d’investissement KKR. Avant la vente, Broadcom n’avait pas précisé ses intentions quant à l’avenir de cette division. Cette situation a compliqué les négociations sur les licences, en particulier pour les organisations qui ont regroupé les licences VMware VDI avec les licences de virtualisation des serveurs.
La KU Leuven a eu de la chance. Herman Moons avait prévu de consolider cette année. Il a donc été très soulagé de ne pas l’avoir encore fait.
Les offres groupées de logiciels VMware font grimper les coûts
Broadcom a également modifié les produits VMware qu’elle propose. Comme l’explique Herman Moons « ils ne vendent plus VMware vSphere Enterprise Plus. Ils l’ont mis dans une offre groupée avec beaucoup d’autres produits dont nous n’avons pas besoin. L’offre groupée est plus chère. Cela convient si vous utilisez tout, mais pas si vous n’utilisez que le logiciel de virtualisation. »
Mais le principal problème que pose Herman Moons avec ce nouveau VMware « by Broadcom » est la manière dont ces changements ont été mis en place : « le problème n’est pas tant qu’ils aient changé leur modèle de licence, mais c’est surtout qu’ils ne vous donnent pas le temps de migrer vers une autre solution. »
Herman MoonsMembre de l’équipe de gestion du SI, université KU Leuven
Parmi les défis qu’il aura à relever, celui posé par le système SAP de l’université est d’envergure : il n’est historiquement certifié que pour fonctionner sur VMware. Ce qui signifie, qu’en l’état, il n’est pas possible d’utiliser d’autres hyperviseurs.
L’une de ses options pour l’avenir est de passer à l’édition standard de VMware vSphere, qui ne dispose pas de certaines des fonctionnalités requises pour les déploiements en entreprise. Elle offre des fonctionnalités similaires à celles des autres hyperviseurs. Alors que l’université est en train d’élaborer sa nouvelle stratégie de virtualisation, Herman Moons envisage désormais d’autres hyperviseurs tels que Hyper-V de Microsoft ou l’hyperviseur KVM basé sur Linux.
Les autorités de régulation sont également invitées à se pencher sur certains des changements récents opérés par Broadcom. En mars, l’association CISPE (Cloud Infrastructure Services Providers in Europe) a demandé aux régulateurs, aux législateurs et aux tribunaux européens d’examiner de près les actions de Broadcom, qui a annulé unilatéralement les conditions de licence pour ces logiciels de virtualisation.
Selon la CISPE, les nouvelles conditions de licence des logiciels VMware comprennent des engagements minimaux s’élevant à des dizaines de millions d’euros sur des périodes de trois ans. La CISPE indique que dans certains cas, les coûts ont augmenté de 1 200 %.
En mars, le PDG de Broadcom, Hock Tan, a publié un blog couvrant les 100 premiers jours de la reprise de VMware. Il a évoqué les projets de l’entreprise visant à promouvoir la VMware Cloud Foundation, dans le but de fournir aux DSI et aux directeurs techniques une plateforme d’innovation qui simplifie l’assistance et améliore la résilience.
Il écrit ainsi : « Nous avons remanié notre portefeuille de logiciels, notre approche du marché et notre structure organisationnelle globale. Nous avons changé comment et par qui nous vendrons nos logiciels. Et nous avons achevé la transition du modèle commercial des logiciels qui a commencé à s’accélérer en 2019, en passant de la vente de logiciels perpétuels à des licences d’abonnement uniquement – la norme de l’industrie. »
Mark Boost, PDG du fournisseur de services cloud Civo, estime que, selon lui, « les gens sont frustrés par les mises à jour. Avec le nouveau système, les licences sont désormais plus chères qu’auparavant, des abonnements sont nécessaires et les produits sont vendus par lots. On craint également que cette mesure n’étouffe l’innovation dans l’ensemble du secteur en renforçant les hyperscalers et en nuisant à la concurrence dans le domaine du cloud computing. »