Broadcom mise sur la souveraineté pour promouvoir VMware en Europe
L’analyste Bola Rotibi constate que Broadcom a très utilement réorienté VMware vers les enjeux de souveraineté. Le sujet résonnerait suffisamment avec les ambitions européennes pour faire passer ses tarifs au second plan.
VMware détourne-t-il le regard de ses nouvelles pratiques tarifaires en cherchant à incarner le meilleur partenaire des ambitions européennes en matière de cloud souverain ? On serait tenté de le croire à la lecture du récent billet d’opinion que la très respectée analyste Bola Rotibi, du cabinet CCS Insight a récemment partagé dans les colonnes de notre confrère britannique ComputerWeekly (qui appartient au même groupe Techtarget que LeMagIT.fr).
Dépeignant tout le positif que lui inspire le repositionnement souverain que Broadcom a insufflé à VMware, l’analyste se désolidarise du consensus international en n’évoquant plus la polémique de leur approche commerciale. Comme si, après un semestre d’incendie sur le marché des solutions fondamentales pour datacenters, il était temps de passer à autre chose.
Pour rappel, depuis une quinzaine d’années, les datacenters se sont modernisés en se virtualisant. Avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 13 milliards de dollars en 2023 et une clientèle mondiale dépassant les 100.000 entreprises, dont les plus grandes banques, VMware est considéré par les cabinets d’étude comme le numéro 1 de ce marché. De fait, tout changement dans sa politique commerciale est un sujet sensible. Or, c’est bien d’un tel changement dont il est question depuis que Broadcom a racheté VMware en novembre 2023.
Dans les mois qui ont suivi la finalisation du rachat de VMware, Broadcom a dû répondre à des interrogations suscitées par la mise en œuvre, par son PDG, Hock Tan, d’une stratégie financière si prononcée qu’elle semblait le moteur même du rachat. Officiellement, il s’agissait d’achever la transition de VMware vers un modèle de licence par abonnement et de simplifier radicalement son catalogue de produits, comme son approche commerciale.
Le fait de passer à un abonnement obligatoire, associé à un programme de partenariat restructuré nécessitant la reclassification de certaines relations, a suscité de vives inquiétudes dans l'écosystème de VMware. Inquiétudes que les concurrents de VMware cherchent depuis lors à exploiter.
Une stratégie souveraine qui remonte à fin 2022
Pour toute réponse, Broadcom a produit des engagements en matière de souveraineté des données, notamment vis-à-vis des approches en cloud souverain.
« C’est une stratégie qui résonne plus particulièrement en Europe. L'UE considère les données comme une matière première stratégique pour l'économie numérique et cherche donc à protéger cette ressource. Broadcom a misé sur les attentes européennes en matière de souveraineté pour incarner le partenaire technologique idéal des acteurs européens », estime Bola Rotibi.
« Dès décembre 2022, Hock Tan rédigeait un article dans lequel il exposait son intention de permettre aux clients de VMware d'exercer leurs propres choix souverains en matière de stockage et de gestion des données. Reconnaissant l'importance accordée par les gouvernements au pouvoir économique et géopolitique des données pour stimuler la croissance, l'innovation et la compétitivité mondiale, VMware se veut aujourd’hui un facilitateur clé de l'adoption de clouds souverains », dit-elle, en accréditant les arguments mis en avant par les services de communication de Broadcom.
Le fait est que les propos de Hock Tan avaient à l’époque bel et bien stimulé le soutien de VMware – dont le rachat n’était pas encore finalisé - à la souveraineté des données et des offres de cloud en Europe, mais aussi au développement de nouveaux outils et solutions dédiés, comme le rapportait alors LeMagIT.
Puis, dans un billet de blog marquant les 100 premiers jours suivant l'acquisition, Hock Tan s’etait félicité que Broadcom ait réussi à simplifier le portefeuille de produits et à assurer la cohérence de son déploiement et de son engagement.
« L’offre correspond désormais à une mise en œuvre standardisée et interopérable de la seule pile technologique VMware Cloud Foundation, configurée pour des déploiements partout similaires. Cette offre adresse les installations sur site avec la mise en œuvre des diverses combinaisons de déploiements en cloud : privé, public, hybride, multicloud », explique l’analyste.
L’enjeu majeur de la souveraineté des données et du cloud dans l’UE
Selon Bola Rotibi, les récentes lois clés sur la protection des données dans la région incarnent les principes et les objectifs énoncés dans la stratégie de l'UE pour les données, laquelle vise à créer « un marché unique des données qui garantira la compétitivité mondiale et la souveraineté de l'Europe en matière de données ».
« La stratégie de l'UE statue qu'en plus d'être une ressource pour la croissance économique, la compétitivité, l'innovation et la création d'emplois, les données apportent la capacité de progresser dans la santé, les transports, les services publics et l'efficacité énergétique », note l’analyste.
La stratégie de l'UE vise également à renforcer le leadership de la région dans l'économie mondiale des données. Il s’agit de créer un environnement dans lequel des jeux de données publiques de grande valeur, provenant de l'ensemble de l'UE, sont librement accessibles à toutes les entreprises des pays membres. Il s’agit aussi de créer un cadre spécifique au marché européen qui favorise le partage des données et la collaboration autour de celles-ci.
« Cette stratégie se reflète dans le tissu actuel de lois européennes sur la protection des données et dans les instruments conçus pour garantir que davantage de données soient utilisables dans l'économie, tout en permettant aux entreprises et aux individus qui génèrent ces données d’en garder fermement le contrôle », commente-t-elle.
Bola Rotibi liste ainsi les principales lois européennes :
- La loi sur la gouvernance des données (Data Governance Act) : une méthode pour superviser la réutilisation des données publiques ou protégées dans divers secteurs, qui couvre les données personnelles et non personnelles.
- Le RGPD : il concerne principalement la confidentialité des informations personnelles dans l'UE et l'Espace économique européen.
- La loi européenne sur les données (European Data Act) : entrée en vigueur le 11 janvier 2024, son objectif est de favoriser le leadership européen, en exploitant le potentiel des données industrielles toujours plus nombreuses.
- Les espaces européens communs de données (Common European Data Spaces) : un véhicule en pleine expansion qui incarne le cadre du marché unique des données par la création d'espaces communs de données interconnectés pour les secteurs stratégiques. Ces secteurs comprennent la santé, l'agriculture, l'industrie, l'énergie, les télécoms, la finance, l'administration publique, les acteurs du recrutement et les médias.
« Pour que l'UE parvienne à la souveraineté des données telle qu'elle est définie dans sa stratégie, la souveraineté du cloud est sans doute la flèche la plus importante de son arc », dit l’analyste.
« Les données de l'UE en cloud doivent être localisées, traitées et sauvegardées en Europe, conformément aux réglementations de l'UE en matière de données telles que le RGPD et la loi sur les données. Cela se traduit par des centres de données et des infrastructures locales pour le stockage, le traitement et les sauvegardes. »
La souveraineté s'appuie également sur des technologies qui garantissent la confidentialité des données pendant leur traitement et sur l'utilisation de techniques de chiffrement qui répartissent les clés de cryptographie entre les fournisseurs locaux et étrangers, afin de maintenir un contrôle et une protection.
« Cette approche prévoit que les fournisseurs de services en cloud opérant dans l'UE s'alignent sur des normes dédiées aux environnements cloud fédérés, afin de garantir l'interopérabilité entre les différentes plateformes et pour respecter les règles de souveraineté de l'UE. On pense notamment à l'EU Cloud Services Scheme (EUCS), une norme qui évalue les contrôles de sécurité technique d'un fournisseur de services en cloud », rappelle Bola Rotibi.
Des raisons de « renouveler la confiance en VMware »
Compte tenu de l'approche stratégique de l'UE en matière de souveraineté des données et du cloud, mais aussi de l'engagement déclaré de Broadcom à fournir un portefeuille de produits à la fois robuste et simple, « les clients, partenaires et autres acteurs basés dans l'UE ont sans doute plus de raison que ceux situés ailleurs de renouveler leur confiance en VMware. D’autant que Hock Tan s'est engagé à investir 1 milliard de dollars dans l'innovation », estime l’analyste.
Elle relève que, dans un récent billet de blog, le vice-président de Broadcom, Ahmar Mohammad, a souligné que l'entreprise fournissait aux hébergeurs européens de cloud une interface unique pour une expérience fluide qui facilite les environnements en cloud hybride.
« Cette interface permet notamment aux clients de transférer des licences vers le cloud, voire de cloud en cloud. Cela crée des options de déploiement flexibles pour les clients et réduit le verrouillage des fournisseurs - une préoccupation majeure pour les régulateurs européens », applaudit Bola Rotibi.
Les offres de cloud souverain prévoient également des garanties pour les données et les métadonnées dans une juridiction souveraine, conformément aux exigences locales. « Cela signifie que tout fournisseur de services en cloud basé en Europe qui utilise les produits de Broadcom pour gérer, stocker et traiter des données et des métadonnées dans une plateforme locale souveraine s'aligne automatiquement sur le RGPD et les normes de sécurité régionales », se félicite-t-elle encore.
Bola Rotibi termine son billet en concédant une nuance : « Broadcom doit maintenant montrer qu'il peut favoriser les avantages commerciaux et l'innovation en s’appuyant sur les espaces de données créés pour différents marchés dans l'UE. Le prochain enjeu de Broadcom sera ainsi de démontrer qu’une pile technologique unifiée, c’est-à-dire VMware Cloud Foundation, contribuera à la cohérence du partage de ces données. »