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L’Administration Biden restreint l’export de l’IA américaine
Dans un nouveau projet de loi, les USA veulent réguler l’accès mondial aux puces et aux modèles d’IA. 18 pays alliés, dont la France, n’auront pas d’embargo, mais devront demander une autorisation à Washington pour vendre des armes ou installer des datacenters à l’étranger.
Les USA sont sur le point d’imposer de nouvelles restrictions d’export des technologies hautement performantes, principalement les GPU Nvidia et les modèles d’IA, vers le reste du monde. Cette loi, portée par le Bureau of Industry and Security (BIS) et baptisée Export Control Framework for Artificial Intelligence Diffusion a été présentée dans un document de 200 pages ce week-end. Elle est censée s’appliquer dans les jours qui viennent.
Selon Bloomberg, les pays seront classés selon trois catégories. Sans surprise, l’interdiction de vendre ces produits est totale vers la Chine, la Russie, l’Iran, la Biélorussie et tous les pays soumis à des embargos sur l’armement. La France et 17 autres pays « alliés » font partie de la catégorie ayant un accès « presque » illimité à ces technologies.
Un accès « illimité, mais sous condition » pour les alliés
Tout est dans le « presque ». Pour continuer à avoir le droit d’importer sur son territoire des puces utiles au fonctionnement de l’IA, la France devra répondre aux exigences de sécurité des USA, sans que l’on sache exactement jusqu’où peuvent aller ces exigences. Elle ne pourra pas non plus installer plus de 7 % des puces achetées dans un autre pays.
Cette limite concerne a priori la vente d’équipements militaires à une puissance étrangère, mais aussi les installations par un opérateur national (OVHcloud, Scaleway, Outscale...) de data centers à l’étranger. Le flou réside dans la définition des technologies hautement performantes. Au-delà des GPU Nvidia qui sont spécifiques à l’IA, il reste à savoir si les dernières générations de processeurs Intel, AMD ou ARM sont concernées, puisqu’elles intègrent des accélérations pour l’IA.
Dans la même catégorie que la France, on trouve pour l’instant Le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et, hors Europe, L’Australie, le Canada, le Japon, la Corée du Sud et Taiwan. A priori, il manquera toujours dans la liste définitive de nombreux pays de l’UE.
Dans la catégorie intermédiaire, tous les autres pays du monde se verront imposer un plafond d’importations. Bloomberg évoque le chiffre de 50 000 puces d’IA maximum par pays entre 2025 et 2027.
Le plan de l’Administration Biden limite aussi l’exportation des modèles d’IA fermés. Les pays dans la même catégorie que la France pourront déployer sur leur territoire ces modèles autant qu’ils le souhaitent, mais devront demander une autorisation aux USA pour les réexporter. A priori, cela concerne toujours principalement la vente d’armements et l’installation de datacenters à l’étranger.
Il est à noter que les modèles ouverts ne sont pas concernés par cette restriction. Mais si le réentraînement (fine-tuning) d’un modèle ouvert n’est pas lui-même ouvert, alors les restrictions des modèles fermés s’appliqueront.
On imagine par exemple que Thalès ou Dassault pourraient devoir demander l’autorisation aux USA de vendre des équipements militaires à l’Arabie Saoudite s’ils contiennent une version affinée de Llama ou Gemma, les modèles ouverts de Meta et Google. On ne sait pas si cela pourrait s’étendre aux versions personnalisées des LLM du Français Mistral, puisque les restrictions s’appliquent dès qu’une mystérieuse « sécurité des USA » peut être en jeu.
Les entreprises de la Tech américaine ulcérées
Ces restrictions ont suscité de vives réactions de la part des entreprises qui exportent ces technologies et se considèrent comme lésées. Au premier rang d’entre elles, Nvidia fulmine : « Des entreprises, des startups et des universités du monde entier utilisent l’IA pour faire progresser les soins de santé, l’agriculture, la fabrication, l’éducation et d’innombrables autres domaines, stimulant ainsi la croissance économique et libérant le potentiel des nations (…). Ce progrès mondial est à présent menacé. L’Administration Biden cherche à restreindre l’accès aux applications informatiques courantes avec sa réglementation sans précédent et malavisée, qui menace de faire dérailler l’innovation et la croissance économique dans le monde entier ! »
Ken Glueck, l’un des directeurs généraux d’Oracle, qui investit lourdement dans les technologies d’IA pour favoriser son cloud OCI implémenté partout dans le monde, se dit stupéfait d’une telle décision : « Ils auraient pu façonner un dispositif réglementaire ciblant spécifiquement les utilisations militaires ou à haut risque, voire des utilisateurs en particulier. Mais non, ils décident de perturber tout le leadership américain dans le cloud et l’IA ! (…) En l’état, l’Export Control Framework for Artificial Intelligence Diffusion s’annonce comme l’un des plans les plus destructeurs qui ait jamais frappé l’industrie technologique américaine ! »
Toutes les réactions épidermiques que ce projet de loi suscite aux USA partagent un commentaire politique : les géants de la Tech reprochent à l’Administration Biden sortante de pervertir les efforts de protectionnisme déployés avant elle par l’Administration Trump. Cela dit, il se trouve tout de même des institutions pour considérer que cette loi ne va pas assez loin. Selon le comité en charge du sujet chinois au Sénat américain, il faudrait par exemple que les restrictions s’appliquent plus largement à tous les pays qui commercent encore avec la Chine.