
Semiconducteurs : Huawei en route pour l’indépendance
Après une cascade d’opérations frauduleuses ou vaines de la Chine pour s’équiper en processeurs et GPU de pointe malgré les sanctions américaines, le principal fabricant chinois a décidé de prendre en main la production locale de puces.
Sur la base d’images satellites et d’indiscrétions de la part d’industriels concernés, une enquête du Financial Times révèle que le fabricant informatique chinois Huawei construit sa propre fonderie de semiconducteurs pour fabriquer les processeurs de ses appareils. L’usine serait en mesure de graver des circuits avec une précision de 7 nm, soit des puces équivalentes en termes de densité et de dissipation thermique aux processeurs et aux GPU haut de gamme lancés en Occident entre 2021 et 2023.
Les appareils servant à fabriquer et contrôler ces puces seraient construits par une filiale de Huawei, SiCarrier. Le système optique qui grave les circuits par lithographie à partir de la projection d’un masque sous forme d’ultraviolets est pour l’heure celui mis au point par la fonderie chinoise SMIC.
C’est parce que ce dispositif repose sur des longueurs d’onde de type DUV que la finesse ne pourrait descendre en dessous de 7 nm. Pour autant, Huawei serait en train de développer lui-même un système optique supportant les longueurs d’onde EUV pour franchir d’ici à deux ans la barrière de sa miniaturisation.
Les circuits mémoires indispensables aux puces seraient quant à eux fabriqués par deux autres industriels chinois : Fujian Jinhua et SwaySure.
L’enjeu de ces efforts est de pouvoir utiliser en Chine des équipements informatiques aussi performants que ceux disponibles en Occident pour entraîner et utiliser l’IA. Les embargos de plus en plus restrictifs des USA ont en effet empêché ces dernières années Pékin d’importer sur son sol les matériels de gravure du Hollandais ASML, les circuits gravés par les usines du Taiwanais TSMC, puis les processeurs et les GPU américains (Intel, AMD, Ampere, Nvidia…) qui sortent de ces usines.
Il existe aussi des restrictions de fait concernant les mémoires fabriquées par les coréens Samsung, SK Hynix et l’Américain Micron.
En finir avec les méthodes frauduleuses
Peu avant la pandémie de Covid-19, la Chine avait affirmé avoir suffisamment de moyens pour réinventer chez elle, en partant de zéro et en un temps record, tout l’arsenal industriel nécessaire à la fabrication de puces de pointe. C’est ainsi que naquit SMIC, avec l’objectif de concurrencer TSMC.
Mais entretemps, cette ambition a été entachée par des tentatives d’espionnage dans les locaux d’ASML, par le détournement de vrais GPU Nvidia via des sociétés-écrans à Singapour, par la falsification de commandes pour se fournir des circuits en grande quantité chez TSMC. De son côté, SMIC a bien fini par produire des semiconducteurs. En vain, selon différents observateurs : plus de la moitié de ses circuits auraient des défauts de fabrication.
Ces différentes méthodes frauduleuses ont d’autant plus ulcéré les gouvernements occidentaux qu’elles ont néanmoins permis à la Chine d’entraîner et de déployer en ce début d’année un modèle d’IA plus performant que tous ceux qui l’avaient précédé : Deepseek.
Face aux contrôles renforcés contre la fraude, Huawei, le plus important fabricant chinois de serveurs, de baies de stockage et d’équipements réseau, a manifestement décidé de prendre les rênes de la production des semiconducteurs. Avec le consentement du gouvernement chinois, puisque SMIC semble désormais lui fournir l’ensemble de son savoir-faire et de ses ressources industrielles.
Assainir la production pour conquérir le monde
Dans un premier temps, Huawei a l’intention de commercialiser des clusters de serveurs de calculs CloudMatrix 384 plus performants que les derniers clusters DGX B200 NV72 de Nvidia. Les GPU de ces machines vouées à l’IA, des Ascend 910C (conçus par Huawei, mais fabriqués illégalement par TSMC), sont moins puissants que ceux de Nvidia, mais ils sont présents en plus grand nombre. Les CloudMatrix 384 devraient servir dès cet été à entraîner les nouvelles versions de DeepSeek et Qwen, l’autre LLM chinois.
Dans un second temps, Huawei pourrait vouloir concurrencer Nvidia dans le monde entier avec une nouvelle génération du cluster CloudMatrix. Elle sera basée sur des GPU Ascend 920 dont la fabrication ne pourra plus se faire de manière illégale. Le fait est qu’il existe une demande en Occident pour de tels clusters de calcul alternatifs, pour compenser la pénurie de solutions Nvidia. Rappelons que les hyperscalers américains préemptent l’essentiel de la production de Nvidia au détriment des datacenters privés et/ou souverains.
Évidemment, les pays auxquels les USA ont imposé des quotas de supercalculateurs américains sont aussi intéressés par les solutions chinoises.
Selon un récent rapport du cabinet Omdia, les ventes de serveurs Huawei dans le monde devanceraient d’une courte tête celles de Lenovo, l’autre grand fabricant chinois (11 milliards de dollars contre 10 milliards en 2024). Héritier des technologies x86 d’IBM, Lenovo se plie à toutes les exigences américaines pour vendre ses solutions en Occident : ses opérations sont dirigées depuis les USA et il ne vend pas de serveurs x86 trop puissants en Chine.
Concernant Huawei, la préoccupation officielle des États-Unis est la crainte que le fournisseur puisse être utilisé par le gouvernement chinois à des fins d’espionnage ou de sabotage. Cette crainte repose sur le fait que Huawei est le numéro 1 mondial des équipements 5G et qu’il pourrait collecter depuis ses solutions des données sensibles. Ce dont Huawei se défend vigoureusement, laboratoires ouverts à l’appui.
Au-delà de ce prétexte sécuritaire, les solutions moins chères de Huawei menacent les ventes des serveurs américains, jusque-là leaders du marché. Dell a réalisé 25 mds $ de CA sur ce secteur en 2024, Supermicro 19 mds $ et HPE 13 mds $.