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Semiconducteurs : Les USA réduisent la voilure du CHIPS Act
L’administration Trump annonce revoir à la baisse les subventions déjà consenties dans le cadre de ce plan d’investissement de 52,7 milliards de dollars, voté sous Joe Biden pour relancer l’industrie des semiconducteurs sur le sol américain.
Nouveau rebondissement dans la guerre des semiconducteurs. Lors d’une intervention au Sénat américain, le secrétaire d’État au commerce Howard Lutnick vient d’annoncer une renégociation des subventions qui avaient été accordées par le gouvernement des USA aux fabricants de puces dans le cadre du programme CHIPS Act voté sous l’administration Biden. Selon lui, il aurait été découvert que certaines de ces aides étaient « bien trop généreuses ».
Il ne donne pas les détails de ces renégociations, mais indique que toutes les subventions ont été modifiées et laisse même entendre que certaines auraient été purement et simplement annulées. L’enveloppe initiale du CHIPS Act était de 52,7 milliards de dollars pour le secteur des semiconducteurs. À ce jour, huit industriels ont réussi à se faire promettre une aide globale qui s’élève à un peu moins de 29 mds $, les 24 mds $ restants cherchant toujours leurs lauréats.
Cette annonce était redoutée. Juste après son élection à la présidence des États-Unis, Donald Trump avait déjà indiqué préférer jouer sur les droits de douane, plutôt que sur les subventions pour inciter les acteurs des semiconducteurs à implanter des usines sur le sol nord-américain.
L’augmentation des droits de douane, évoquée dès la campagne du candidat Donald Trump, était initialement fixée à 10 % pour toutes les importations aux USA. Mais depuis son élection, le nouveau président américain annonce régulièrement des hausses bien plus spectaculaires, qui se concrétisent ou non, momentanément ou non, au gré des négociations entre les USA et le reste du monde.
Concernant les semiconducteurs, l’administration Trump avait évoqué en début d’année une progression graduelle de 25 % à 100 % des taxes sur les importations entre avril et décembre 2025. Pour le moment, aucune augmentation n’a eu lieu.
Droits de douane ou subventions, deux incitations très différentes
L’objectif du CHIPS Act comme des droits de douane est principalement que les géants américains de l’électronique – parmi lesquels Nvidia, AMD, Apple, Qualcomm, Broadcom et même, dans une certaine mesure, Intel – cessent de faire fabriquer leurs circuits de calcul à Taiwan, chez TSMC, et leurs composants mémoires en Corée, chez Samsung ou SK Hynix.
Mais la manière d’y parvenir diffère entre les subventions et les droits de douane. Les subventions sont censées soulager Intel, TSMC et Samsung de la problématique d’investir, désormais, entre 20 et 40 milliards de dollars dans la construction d’usines, qui ne resteront que quatre ans à la pointe de l’industrie. Autrement dit, quitte à construire de nouvelles usines, autant qu’ils le fassent aux USA où ce serait moins cher.
Les droits de douane, eux, doivent persuader Nvidia, AMD, Apple, Qualcomm et Broadcom de cesser de faire fabriquer leurs puces à l’étranger, alors qu’ils n’ont actuellement pas d’autre choix. Ainsi, soit ils parviennent à être suffisamment crédibles auprès de leurs fournisseurs taiwanais et coréens, en leur disant qu’ils ne leur passeront plus de commande tant que les usines n’auront pas déménagé sur le sol américain. Soit ces géants de la Tech seront obligés de répercuter l’augmentation des droits de douane sur les puces qu’ils vendent aux USA.
Toujours est-il que les fondeurs de semiconducteurs se sont bel et bien lancés dans le développement de leur présence sur le sol américain. Mais ces engagements apparaissent de plus en plus fragiles.
Intel, le principal bénéficiaire, en situation ambiguë
Intel, pour lequel l’ex-PDG Pat Gelsinger considérait qu’il était vital de moderniser la fonderie afin de renouer avec la croissance, est l’acteur censé bénéficier le plus du CHIPS Act. Il devait initialement empocher 8,5 milliards de dollars. Cette somme représentait un peu moins de 10 % des 90 milliards de dollars que coûte à Intel la construction et la rénovation d’usines (en Arizona, au Nouveau-Mexique, dans l’Ohio et dans l’Oregon) censées lui permettre de mieux rivaliser avec TSMC.
Mais les résultats d’Intel allant de mal en pis en attendant ces nouvelles usines, ses actionnaires ont refusé de souscrire d’autres prêts bancaires pour financer le projet industriel. En novembre, cela a incité le gouvernement américain à réduire l’aide accordée à 7,86 milliards, suggérant qu’il n’avait plus autant confiance dans la capacité d’Intel à réussir sa modernisation.
Dès lors, Pat Gelsinger a été débarqué par son conseil d’administration et remplacé par un financier, Lip-Bu Tan, lequel affiche clairement sa priorité de rémunérer les actionnaires en coupant dans les dépenses. À date, on ignore encore si Lip-Bu Tan entend faire prospérer les chaînes industrielles qui sortent tout juste de terre, ou s’il les revendra à TSMC.
TSMC en perte de motivation pour le sol américain
TSMC, le numéro un mondial de la fabrication de semiconducteurs, devait quant à lui recevoir une subvention de 6,6 mds $, plus un prêt de 5 mds $, pour répliquer sur le sol américain ses usines taiwanaises. Son projet industriel consiste à investir 100 mds $ de dollars dans des capacités industrielles sur le sol américain. Il n’est pas très clair s’il s’agit d’une somme en plus des 65 mds $ que lui a déjà coûté la construction d’usines en Arizona, ou du total qu’il aura dépensé une fois qu’il en aura construit d’autres.
Le doute vient d’une détérioration des relations entre l’administration Trump et TSMC. Les services de renseignement américains ont récemment découvert que l’industriel avait fabriqué à Taiwan des circuits GPU pour le compte de Huawei, allant à l’encontre des sanctions décrétées par Washington contre l’équipementier chinois. Pour cet affront, TSMC pourrait payer une amende record d’un milliard de dollars.
En réponse, le PDG de TSMC a déclaré que ses chaînes de production les plus avancées, celles qu’utilisent Nvidia, AMD et Apple, resteraient à Taiwan. Ses usines aux USA ne serviraient qu’à produire des circuits de génération précédente.
Une décision qui arrange Nvidia, AMD et, peut-être, Apple. Faire fabriquer sur le sol américain des circuits d’entrée de gamme avec une ancienne finesse de gravure de 5 nm (contre 3 nm et bientôt 2 nm à Taiwan) devrait leur permettre d’éviter de payer des droits de douane sur les circuits haut de gamme qu’ils continueront de commander à l’étranger.
Pour AMD, il s’agira de relancer un lot de processeurs Epyc de cinquième génération pour peupler des serveurs économiques, lorsqu’il mettra sur le marché ses Epyc de sixième génération à destination des serveurs de pointe. Nvidia, de son côté, fait déjà fabriquer en 5 nm des versions allégées de ses derniers GPU Blackwell, pour proposer aux entreprises des cartes RTX Pro limitées aux opérations d’inférence sur les modèles d’IA.
Notons que ni AMD, ni Nvidia, ni Apple ne sont censés toucher des subventions dans le cadre du CHIPS Act.
Samsung pas très bavard sur ses projets
Parmi les autres industriels des semiconducteurs concernés par les subventions, Samsung devait quant à lui recevoir une aide de 6,4 mds $ pour moderniser une usine qu’il a déjà construite au Texas. Problème : cette usine ne fabrique pas les mémoires convoitées par les fournisseurs informatiques, mais des composants bien moins modernes pour des secteurs verticaux, ici l’industrie automobile.
C’est ce que font également les Américains Microchip Technology et Polar Semiconductor. Mais eux ne doivent recevoir que 162 et 120 millions de dollars pour moderniser leurs usines dans le Colorado et le Minnesota.
Le fabricant coréen a néanmoins promis que son usine texane produirait bien à terme des composants « pour l’IA ». Mais sans que l’on sache s’il s’agira de véritables puces de calcul, ou de contrôleurs jouant un rôle annexe dans le fonctionnement de petites intelligences artificielles.
Son concurrent américain Micron devait toucher une subvention de 6,14 mds $. Lui a véritablement tout à gagner à développer ses chaînes de production de mémoires HBM (pour les puces d’IA) et NAND (pour les SSD). Comme Intel, Micron a l’ambition de redevenir le numéro 1 mondial de son secteur. Son projet est de dépenser 100 mds $ dans la construction d’une usine dernier cri, qui sera située à Syracuse, dans l’État de New York.