La Poste et ses alliés au chevet du SI hospitalier
Comme avec NumSpot, La Poste compte sur une alliance pour standardiser le numérique hospitalier autour des données. L’ambition : créer le SIH de demain, en collaboration avec d’autres éditeurs de la santé, CPage et les Hospices Civils de Lyon.
Comment rivaliser en France avec les hyperscalers et avec d’autres éditeurs dominants sur le marché ? Pour Docaposte et sa maison-mère La Poste, ce n’est pas nécessairement en pariant sur un champion européen. Les alliances au sein d’écosystèmes sectoriels constituent une autre piste.
L’éditeur, dirigé par Olivier Vallet, participe au développement d’une alternative française dans le cloud, au travers de NumSpot. En association avec LightOn, Aleia et NumSpot, il se positionne également sur l’IA générative souveraine. Et dans la santé aussi, des unions peuvent permettre de faire émerger des alternatives. C’est ce que soutenait Olivier Vallet le 19 mai, en amont du salon SantExpo, aux côtés de La Poste Santé & Autonomie, CPage, les Hospices Civils de Lyon et de sa filiale logicielle HOPSIS.
Un système d’information hospitalier (SIH) de nouvelle génération
Ensemble, ils ont constitué l’Alliance SIH avec pour objectif de proposer un système d’information hospitalier (SIH) de nouvelle génération centrée sur les données.
« On ne peut pas se satisfaire de ce qui se passe aujourd’hui dans les hôpitaux en matière de numérique. »
Dominique PonDirecteur général de La Poste Santé & Autonomie
Pour les partenaires, il y aurait urgence compte tenu de l’état actuel des SI dans le secteur hospitalier, mais aussi des enjeux en matière de souveraineté.
« Nous considérons qu’il est important de proposer des alternatives afin de retrouver une indépendance technologique […] dans un esprit de compétitivité », déclare Olivier Vallet en ouverture de la conférence de presse.
« On ne peut pas se satisfaire de ce qui se passe aujourd’hui dans les hôpitaux en matière de numérique », ajoute Dominique Pon, directeur général de La Poste Santé & Autonomie, qui pointe les lacunes du parcours de soin, des capacités d’innovation et le manque d’efficience des SI.
200 à 400 logiciels en moyenne par hôpital
Le secteur serait aussi marqué par une forte hétérogénéité et par un manque d’interopérabilité.
En moyenne, indique Dominique Pon, un hôpital compte 200 à 400 logiciels avec chacun, son mode de fonctionnement et ses bases de données. Il en résulte des données disséminées et non structurées.
Quant à la promesse de l’interopérabilité, elle ne s’est pas concrétisée. « On se retrouve avec des systèmes cloisonnés, propriétaires de différentes sociétés […] et donc avec des ruptures dans les parcours de soin ». Et des surcoûts pour les hôpitaux.
Ce paysage numérique fractionné constituerait en outre un obstacle pour l’adoption de l’intelligence artificielle, et par conséquent pour la construction du SI de santé de demain.
Ce constat appelle les partenaires de l’Alliance à une convergence autour d’un SIH de nouvelle génération et Data Centric.
L’Alliance justifie cette orientation en s’appuyant sur une étude menée en Europe. L’Espagne y est citée en exemple, alors qu’elle est « partie après la France en matière de numérique en santé ». Plusieurs « lignes de force » expliqueraient le succès de ce pays.
Le premier facteur de réussite : une architecture SI orientée données, à distinguer, donc, de l’orientation application en place en France. La solution consisterait dès lors à unifier les données grâce à une seule et même stack.
Un « sursaut en France » en faveur des standards de données
Pour mener cette structuration des données, il conviendrait de s’appuyer sur des standards internationaux. Dominique Pon en identifie trois : openEHR, FHIR, OMOP. Le dirigeant appelle à « un sursaut en France » en faveur de ces standards reconnus afin « de stocker les données de manière accessible, ouverte et centralisée ».
« C’est le b.a.-ba d’une transformation des systèmes d’information hospitaliers », insiste-t-il. Selon lui, les hôpitaux auraient tout à gagner à adopter ces standards, à commencer par la libre disposition de leurs données. « Aujourd’hui, pour un hôpital, c’est la croix et la bannière pour accéder à ses données. Il doit passer par 5 ou 10 éditeurs, qui eux-mêmes rendent les choses complexes faute de standardisation ».
L’alternative proposée par l’Alliance consiste donc à fédérer les membres de l’écosystème autour « d’une même vision cible d’une architecture ». La première étape sera donc la couche de données. Les autres autres couches suivront (production des soins, administration, parcours, recherche, etc.).
Des stratégies logicielles axées sur les données
Les Hospices Civils de Lyon, aussi éditeur de logiciel via le GIE Hopsis (gestionnaire du dossier patient informatisé Easily diffusé auprès d’environ 170 établissements hospitaliers), se range à cette orientation qui vise à s’extraire de SI « totalement prisonniers de logiciels propriétaires » et de leurs impacts sur les coûts de transaction.
« Nous considérons qu’il faut changer d’approche », promeut son directeur général, Raymond Le Moign. « Les stratégies de développement de demain ne doivent plus être centrées sur des applications, mais sur le pilotage de la donnée ».
Pour le GIE Hopsis, c’est la feuille de route logicielle qui est à repenser. « Dans les prochaines années, ce qui fera la valeur de l’outil, c’est moins la structuration de ses fonctionnalités que sa capacité à mobiliser l’information au bon moment pour que le professionnel, face à un patient, puisse prendre la bonne décision », considère Virginie Valentin, administratrice du GIE et DGA des Hospices de Lyon.
Directeur général du groupement d’intérêt public (GIP) Cpage, David Boussard défend lui aussi les bénéfices d’un partenariat industriel dans le secteur hospitalier. « Cela ne sert à rien de juxtaposer des entreprises ou des logiciels », souligne-t-il.
À l’inverse, l’Alliance SIH reposerait sur « un moteur, un catalyseur », présenté comme un différenciateur. Ce « catalyseur », c’est « la puissance de la donnée associée à l’intelligence artificielle générative ».
Mais pour s’entendre dans la durée, les membres ont aussi en commun d’être « des entités publiques » attachées à la notion de souveraineté. « Nous pensons que si nous continuons comme aujourd’hui à juxtaposer de multiples sociétés, des logiciels et des bases de données, nous amènerons progressivement une ringardisation du SI hospitalier, qui ne sera dès lors plus compétitif par rapport à d’autres pays », résume Dominique Pon.
Libérer les données on-prem ou dans le cloud, mais pas avec AWS
L’alliance va commencer par travailler sur l’ouverture de la donnée – qui ne repose pas nécessairement, selon ses membres, sur l’open source. La clé se trouverait plutôt du côté des normes et d’une « donnée compréhensible, qui appartient à l’établissement », lui donnant la possibilité de « développer très rapidement » des cas d’usage, par exemple grâce à des outils low-code no-code.
L’architecture cible est par ailleurs hybride ; soit on-premise et/ou cloud, au choix de l’établissement.
« Mais nous allons pousser pour que ce ne soit pas AWS. Si c’est dans le cloud, nous militerons en faveur d’un cloud souverain aux plus hautes normes de sécurité », déclare le DG de La Poste Santé & Autonomie. Une opportunité pour NumSpot, dont Docaposte est cofondateur ?
Tous les aspects de l’Alliance SIH ne sont pas encore précisément définis. Celle-ci doit encore se structurer. Elle est à ce stade la reconnaissance d’une nécessaire mutualisation des développements logiciels et des moyens pour être compétitifs.
« Nous avons bien plus à gagner à travailler tous ensemble », estime Virginie Valentin, et ce parfois, malgré des recoupements entre leurs logiciels. Mais Dominique Pon souligne qu’une approche Data Centric ne signifie pas nécessairement une concurrence frontale. « Vous pouvez poser technologiquement, dans notre parc clients respectif, les premières briques d’une architecture Data, la couche de données, et ensuite l’alimenter au fur et à mesure des migrations ou des nouveaux développements ».
Et l’Alliance est ouverte à d’autres partenaires afin d’influencer sur la vision du SIH à l’échelon national et donc les stratégies logicielles des éditeurs du marché.
Roadmap des développements mutualisés en S2 2025
L’Alliance se concentre actuellement sur la standardisation de la couche de données et des tests de cas d’usage dans le cadre de développements en commun. Une feuille de route sera détaillée lors du second semestre 2025.
Les partenaires prévoient à court terme de présenter leurs initiatives aux pouvoirs publics. « Ce que nous proposons est aligné avec les investissements portés par France 2030 […] et le numérique en santé. Ce programme de travail est aussi au service de la puissance publique », assure Raymond Le Moign.
Dominique Pon ajoute que des rendez-vous sont prévus avec les administrations de référence du secteur, comme l’ANS et la Cnam. L’Alliance regarde aussi du côté de la Caisse des Dépôts et de son initiative dans le domaine des espaces de santé bâtis sur des standards européens comme Gaia-X.
Ces espaces pourraient fédérer les données de différents entrepôts de données, dont le nombre se multiplie, mais (comme pour les SIH) sans être accompagné d’une politique de standardisation. Il ne serait cependant pas trop tard pour infléchir cette trajectoire, espère Dominique Pon.