Suse : « Notre stratégie ? Ne surtout pas chercher à remplacer VMware »

L’éditeur de systèmes serveurs préfère miser sur le succès de Rancher comme complément dans la gestion des applications en containers, plutôt que batailler en vain dans la virtualisation, qu’il juge obsolète.

Dans la catégorie des éditeurs de systèmes pour datacenters, Suse fait office d’exception parmi ses concurrents Red Hat, Nutanix, Canonical et autres Portworx : il est le seul qui revendique ne pas chercher à récupérer les clients déçus de VMware. Et pour cause : même s’il dispose des mêmes moyens Open source de virtualisation que les autres, Suse réalise aujourd’hui plus de la moitié de son chiffre d’affaires, en France et ailleurs dans le monde, sur les containers.

Plus précisément avec Rancher, son produit de gestion des applications orchestrées par Kubernetes. Ce logiciel a la particularité de proposer une administration des containers avec des consoles plus dessinées pour les métiers que pour les informaticiens.

Le point clé de Rancher est qu’il permet de déployer des applications sur site, sur n’importe quel cloud et même sur des terminaux utilisateurs sans qu’il soit nécessaire d’installer à chaque fois des couches techniques de Suse. Il suffit que la cible exécute une version de l’orchestrateur Open source Kubernetes, qu’il s’agisse de celle d’un hyperscaler, de VMware, ou de ses concurrents dans l’édition de Linux.

« Nous n’avons pas de velléité à devenir un acteur de la virtualisation traditionnelle. D’abord parce que nous n’allons pas concurrencer des fournisseurs qui revendent notre produit quand leurs clients leur demandent des solutions serveur qui couvrent les containers », lance Thomas Di Giacomo, le directeur technique de Suse (à droite sur la photo en haut de cet article), lors d’une rencontre avec LeMagIT.

Être un complément plutôt qu’un concurrent

Selon lui, Rancher est d’abord positionné comme un complément pour d’autres systèmes d’infrastructure.

« Dans les couches basses, nous avons effectivement au catalogue un hyperviseur KVM aussi éprouvé que chez les autres et nous pouvons aussi lui ajouter notre version de Kubernetes. Mais ce sont des produits d’appoint, pour dépanner des clients quand ils ne les ont pas déjà. Je ne pense pas que quelqu’un parviendra à remplacer VMware sur cette base. Cela fait 20 ans que les entreprises utilisent leurs produits. Il serait trop compliqué pour elles de passer à autre chose », dit-il.

Il existe trois façons d’exécuter une application sur un serveur : directement (en bare-metal), sous la forme d’une machine virtuelle ou empaquetée dans des containers Kubernetes. VMware édite la solution de virtualisation No 1 du marché et s’acharne à imposer son extension pour supporter le format container. Dans tous les cas, les applications ont besoin de s’appuyer sur un système d’exploitation, que n’édite pas VMware.

En plus de Rancher, Suse édite depuis les années 90 un Linux qui permet aux applications de fonctionner en bare-metal ou dans une machine virtuelle. Il s’agirait même du Linux que recommande SAP, le roi des progiciels. L’éditeur se complaît donc dans sa position de partenaire technologique, y compris vis-à-vis de VMware.

« Il est légitime que l’on nous demande quelle alternative nous pouvons offrir à VMware qui, depuis son rachat par Broadcom, a changé les coûts de la solution. Mais en vérité, la question des coûts concerne davantage la gestion métier des clusters Kubernetes, car la technologie est moins mature que la virtualisation. Et la force de Rancher est justement de résoudre le problème des investissements sans fin dans l’enrichissement fonctionnel de Kubernetes », dit encore Thomas Di Giacomo.

Les entreprises n’investiraient plus dans la virtualisation

On notera que Suse ne se positionne même pas sur les consoles métier de la seule virtualisation.

« Dans les couches hautes de la virtualisation, les entreprises demandent surtout aux fournisseurs un écosystème de partenaires et des consoles d’administration métier. Or, des gens très bien, comme Fujitsu et HPE, proposent déjà cela au-dessus de VMWare, Nutanix ou autre. Et il se trouve que leurs consoles s’interfacent avec Rancher, parce que nous sommes pour eux le partenaire qui s’occupe des containers. »

« Pour le dire plus directement : nous adressons une clientèle qui exécute des applications modernes, capables de fonctionner indifféremment en cloud comme sur site grâce à leur format container. Ce sont des entreprises qui n’investissent plus dans la virtualisation. » Parmi cette clientèle de Rancher, Suse se félicite de compter des grands groupes comme Airbus ou BMW, ainsi que nombre d’opérateurs télécoms dans le monde.

Une solution pour faire glisser les applications vers n’importe quel cloud

Le concurrent de Rancher est OpenShift de Red Hat, qui est une distribution complète couvrant la virtualisation, la containerisation et l’administration de l’ensemble. Tout comme Suse, Red Hat encourage les entreprises à abandonner les machines virtuelles au profit des containers, car ce format permet de faire glisser directement les applications entre un datacenter sur site et du cloud.

« Red Hat a le même problème que VMware : pour que les applications puissent fonctionner indifféremment en cloud ou sur site, vous devez avoir de l’OpenShift des deux côtés. Rancher, lui, est capable de gérer des containers qui, là, s’exécuteront sur le Kubernetes et VMware ou Red Hat et, là, seront exécutés par le Kubernetes d’AWS, d’Azure, de GCP ou d’OVHcloud. Nous avons la seule solution qui permette de faire du cloud hybride de manière transparente », argumente Thomas Di Giacomo.

« Mais même pour un client qui n’utilise qu’EKS [le Kubernetes d’AWS, NDR], Rancher est plus pertinent que la console d’origine, car elle ne permet pas de gérer le déploiement des containers sur plusieurs régions d’AWS, alors que notre logiciel le fait », ajoute-t-il.

Miser sur des partenariats avec les fournisseurs de cloud

Rancher est à l’origine une plateforme logicielle qui s’installe sur un serveur, à partir duquel elle peut piloter tous les containers d’une entreprise. Ce serveur peut être une machine physique ou virtuelle, sur site ou en cloud. Depuis peu, il existe une version 100% SaaS qui fonctionne sur AWS.

« 50% de l’utilisation de Kubernetes se fait à l’heure actuelle sur AWS. Mais les clients d’AWS sont des entreprises de toutes tailles, y compris des toutes petites qui n’ont pas de DSI pour savoir opérer une machine virtuelle. C’est la raison d’être de cette version 100% SaaS, puisqu’il suffit de connecter un navigateur web à son adresse pour utiliser immédiatement la console avec toutes les fonctions », décrit le directeur technique.

Il révèle qu’un partenariat similaire serait en cours avec OVHcloud et une centaine d’autres fournisseurs de cloud dans le monde. Dans ce scénario, le client achète l’utilisation de Rancher au fournisseur de cloud, comme un service supplémentaire. Et le fournisseur de cloud est le véritable client de Rancher.

« En fait, nous avons l’habitude de travailler avec les fournisseurs de Cloud qui nous achètent déjà de la même façon le Linux qu’ils installent dans leurs machines virtuelles. Nous sommes à ce sujet bien plus capables de nous adapter à leurs modèles commerciaux que notre concurrent [Red Hat, NDR] », intervient Olivier Raffy, le patron de Suse France (à gauche sur la photo en haut de cet article).

« Par exemple, nous partageons le support. Le client qui utilise Rancher ou notre Linux depuis un environnement cloud a un numéro unique à appeler en cas de problème. Le support de niveau 1 détermine lequel de Suse ou le fournisseur de cloud devra prendre en charge la résolution du problème. Cela fonctionne de la même manière pour les clients de SAP quand leurs logiciels sont vendus avec notre Linux. Le client ne cherche même pas à savoir qui lui vient en aide », ajoute-t-il.

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