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Données ERP : SAP autorise l'accès à Celonis jusqu'au verdict
Dans l’affaire qui l’oppose à Celonis, SAP accepte d'autoriser l'accès aux données par la plateforme de process mining jusqu'à la prononciation du verdict. Mais les clients seront mieux servis si les deux acteurs parviennent à un accord définitif.
Alors que la bataille juridique entre le spécialiste de l’exploration de processus Celonis et le géant de l’ERP SAP au sujet de l’accès aux données se poursuit, les clients bénéficient d’un sursis.
Les deux parties ont récemment signé un accord. SAP n’interférera pas avec les clients qui utilisent l’extracteur de données de Celonis pour accéder à leurs propres données. SAP a également accepté de ne pas réclamer de frais ou de licences supplémentaires à ses clients jusqu’à ce que l’affaire soit résolue.
En mars, Celonis a déposé une plainte auprès du tribunal du district nord de la Californie, alléguant que le géant de l’ERP a adopté un comportement anticoncurrentiel. Il l’accuse d’exclure les fournisseurs tiers de l’accès aux données au sein de ses ERP. Une partie de la plainte argue que SAP use de pratiques commerciales anticoncurrentielles pour détourner les clients de Celonis au profit de sa propre solution de process mining, Signavio.
Les applications de Celonis accèdent aux systèmes d’entreprise tels que les systèmes ERP de SAP ou d’Oracle afin d’examiner le fonctionnement des processus d’entreprise. Les clients peuvent ensuite exploiter les données pour comprendre où et quand les processus présentent des lacunes, s’interrompent ou sont inefficaces. L’analyse et la plateforme servent de base de travail pour remédier ou supprimer ces flux.
L’extraction de données des logiciels SAP est essentielle pour la plateforme de Celonis.
Un pacte de non-agression en faveur des clients ?
Dans la convention qui a été déposée le 5 juin, les deux parties se sont précisément accordé sur le fait que « SAP n’interdira pas ou n’interférera pas avec l’utilisation ou le déploiement de l’extracteur ABAP RFC de Celonis… pour extraire des données des systèmes SAP ECC et SAP S/4HANA ».
SAP a également accepté de « ne pas imposer à ses clients des frais supplémentaires ou des paiements de licence pour l’accès ou l’extraction de données clients à l’aide du [module RFC] » jusqu’à ce que l’affaire soit résolue.
En outre, le document oblige SAP à demander par écrit à tout employé impliqué dans la vente, le marketing ou la promotion de produits concurrents de Celonis, comme Signavio, de s’abstenir de faire des déclarations « incompatibles avec le présent accord ».
« Celonis a intenté un procès à SAP pour avoir adopté un comportement monopolistique, anticoncurrentiel et illégal en empêchant les clients d’accéder à leurs propres données », affirme Vanessa Candela, Chief Legal and Trust Officer de Celonis, dans une déclaration envoyée par courriel à Informa TechTarget. « Les actions de SAP menacent d’éliminer la concurrence, ce qui se traduirait par une augmentation des prix, une diminution de l’innovation et un choix réduit pour les clients », poursuit-elle. « Nous sommes heureux que SAP ait accepté, jusqu’à ce que l’affaire soit résolue, de ne pas interférer avec l’utilisation de l’extracteur de données de Celonis ou d’imposer des frais supplémentaires ou des paiements de licence aux clients pour une telle utilisation ».
« Chez Celonis, nous pensons que les entreprises devraient avoir la liberté de choisir les meilleures solutions technologiques pour leurs besoins sans interférence, désinformation ou restriction injustes », ajoute-t-elle. « Nous sommes confiants dans notre dossier et nous nous réjouissons de continuer à défendre ces principes au nom de notre société, de nos clients et de l’industrie des logiciels d’entreprise ».
« SAP continue de rejeter les demandes de Celonis et nous sommes heureux que le tribunal examine attentivement nos arguments », répond indirectement SAP dans un communiqué. « Nous attendons avec impatience la décision du tribunal sur notre demande de rejet et nous continuerons à nous défendre vigoureusement ainsi que nos innovations ».
L’accès aux données, le nerf de la guerre
L’accord entre le spécialiste du process mining et SAP est le bienvenu pour les clients, selon Jon Reed, cofondateur de Diginomica, une société d’analyse de l’industrie des entreprises.
Toutefois, anticipe-t-il, cette affaire montre que l’accès aux données va devenir un problème important pour les éditeurs de logiciels d’entreprise. Pas seulement pour SAP.
« Les données des clients s’avèrent cruciales pour les résultats des IA en entreprise. Les éditeurs sont donc tentés de contrôler l’accès à certaines de ces données », considère Jon Reed. « Ce n’est pas sain pour les clients ».
Les clients sont probablement prêts à payer une prime aux éditeurs qui peuvent apporter une valeur ajoutée à leurs données en les rendant utiles pour des cas d’usage spécifiques ou innovants, estime-t-il. Mais ils ne veulent pas que les éditeurs mettent en place des « routes à péage » pour les données.
« Les éditeurs vont avoir besoin de politiques de données transparentes et d’œuvrer avec les clients sur les exceptions. Les fournisseurs doivent être justes en matière de consommation de données par des tiers, même si cela touche leurs outils », poursuit Jon Reed.
Idéalement, SAP pourrait tirer les leçons du procès et travailler avec ses clients pour résoudre les problèmes d’accès aux données, selon l’analyste. Le groupe basé à Walldorf va probablement faire valoir qu’il peut fournir à ses clients cette fameuse valeur ajoutée, mais ces derniers devraient pouvoir manipuler les données issues des systèmes SAP dans d’autres contextes s’ils le souhaitent.
« Il est également raisonnable que les clients et SAP aient des échanges sur les bonnes pratiques, peut-être par l’intermédiaire des groupes d’utilisateurs SAP », envisage Jon Reed.
Des arguments solides des deux côtés, selon un avocat spécialisé
Selon Marcus Harris, avocat associé chez Taft Stettinius & Hollister LLP, les relations antérieures entre Celonis et SAP font sortir l’affaire du cadre d’un procès antitrust classique. Marcus Harris est spécialisé dans le droit des technologies d’entreprise au sein de ce cabinet juridique basé à Chicago.
« Les allégations de Celonis sont probantes, mais SAP avance également des arguments solides », déclare Marcus Harris. « La vue de SAP selon laquelle il ne devrait pas être obligé d’autoriser l’accès à son logiciel à un tiers pour que ce dernier puisse lui faire concurrence est convaincante ».
L’avocat reconnaît que cette affaire aura d’énormes répercussions sur le secteur des entreprises.
« Avec l’avènement et l’adoption à grande échelle de l’IA, les éditeurs de logiciels ERP sont dans une position unique pour réglementer et contrôler l’accès à ces données. Dans la mesure où ils peuvent facturer des frais, ils le feront. »
En ce qui concerne la provenance des données, SAP ne peut pas affirmer de manière crédible qu’il possède les données des clients ou même qu’il contrôle l’accès à ces données, selon Marcus Harris. Son argument le plus tangible est qu’il ne devrait pas permettre à ses concurrents – ou à des tiers – d’utiliser sa plateforme logicielle propriétaire pour accéder aux données.
« Et si SAP autorise l’accès, cet accès doit se faire suivant ses conditions, qui peuvent inclure l’imposition d’une redevance », note-t-il.
L’accord signé le 5 juin n’aura probablement pas d’effet sur l’issue du litige, anticipe M. Harris, mais il laisse entendre que les parties sont disposées à régler le différend.
L’affaire n’en est qu’à ses débuts. L’avocat s’attend à ce que le verdict permette à SAP de facturer à ses clients une redevance raisonnable pour autoriser l’accès à des tiers par des sociétés comme Celonis, lorsque l’accès au logiciel est accessoire à l’analyse des données contenues dans le logiciel.
« SAP n’a aucun intérêt à ce que ses clients considèrent qu’il pratique une tarification abusive et qu’il profite d’eux », conclut-il.