Comment Saint-Gobain suit ses processus métiers en continu
D’abord déployé au service de l’audit interne, le process mining est devenu, depuis deux ans, une discipline quotidienne chez Saint-Gobain. Les gains d’efficacité et financiers se font déjà sentir.
Présent dans seize pays, Saint-Gobain emploie 160 000 collaborateurs. Le spécialiste de la production et de la distribution de matériaux utilisés dans l’habitat et l’industrie a réalisé un chiffre d’affaires de 47,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023.
Cette décentralisation de l’activité a créé au fil des années des différenciations. Pour un même processus métier ou financier, il existait des dizaines de méthodes potentielles d’implémentation. Évidemment, certains processus ont évolué en dehors du contrôle de la direction. Cela représentait un défi de taille pour les auditeurs internes.
En 2017, dans le cadre d’un projet de transformation numérique à l’échelle du groupe, Saint-Gobain a entamé la modernisation de ce métier.
« Chez Saint-Gobain, les auditeurs internes passent en revue l’activité d’une dizaine d’entités tous les mois », évoque Matthieu Leviste, ex-responsable des audits IT chez Saint-Gobain. « Ils travaillaient un peu à l’ancienne en étudiant des documents, des procédures, en réalisant des interviews, etc. »
Le véritable enjeu tenait en l’absence d’une documentation des processus.
« Nous avons souhaité changer cela en adoptant une approche axée sur les données, à l’aide du process et du data mining ».
Le groupe consacré à l’audit s’est d’abord lancé sur l’analyse des processus de comptabilité : Procure to Pay, Order to Cash, comptes fournisseurs (AP), comptes clients (AR).
« Cela a eu un succès intéressant pour les auditeurs et, étrangement, pour les audités », relate Matthieu Leviste. « Généralement, les responsables des entités appréhendent les audits. Finalement, les audités ont pu bénéficier des observations des auditeurs sur leur processus. Ces observations étaient moins liées au contrôle interne qu’à la performance des processus ».
De l’audit à la gestion des processus en continu
Au fil des ans, les responsables du process mining chez Saint-Gobain ont acquis la conviction que cette approche pouvait s’appliquer au-delà de l’audit et du contrôle interne.
« En 2022, un nouveau directeur financier adjoint a pris son poste. Il a été moteur sur cette technologie : il s’est dit pourquoi ne pas essayer le process mining dans un contexte hors audit, de mettre l’outil dans les mains des métiers ».
Matthieu LevisteDirecteur du centre d'excellence intelligence des processus, Saint-Gobain
« En 2022, un nouveau directeur financier adjoint a pris son poste. Il a été moteur sur cette technologie : il s’est dit pourquoi ne pas essayer le process mining dans un contexte hors audit, de mettre l’outil dans les mains des métiers », relate Matthieu Leviste.
Saint-Gobain a commencé par deux POC, l’un au Royaume-Uni, l’autre en Argentine sur le suivi des comptes fournisseurs et la gestion des commandes.
« Les résultats ont été probants », assure notre interlocuteur. « Les directeurs financiers locaux ont confirmé que cela leur apportait beaucoup de valeurs et surtout ils ont pu chiffrer les gains potentiels ». Des gains évalués en millions d’euros. Le sponsor de la direction générale s’est avéré crucial pour la suite.
Un contrat-cadre a donc été signé avec l’éditeur de la plateforme de process mining à la fin de l’année 2022. « Nous avons également créé une structure : il ne s’agissait pas (ou plus) de faire du process mining pour faire du process mining, mais de s’aligner avec les objectifs stratégiques du groupe », déclare-t-il.
C’est en fin d’année 2022 que Matthieu Leviste a pris le poste de directeur du centre d’excellence pour l’intelligence des processus.
« Le centre d’excellence devait être capable de superviser le déploiement technique des outils, d’assurer le support et la formation des utilisateurs, mais surtout de guider l’entreprise dans l’optimisation de ses processus et dans l’excellence opérationnelle ».
Depuis 2017, Saint-Gobain a investi dans une plateforme, celle de Celonis. « Je n’étais pas là, mais à l’époque, il y avait un partenariat entre Celonis et SAP, qui est l’éditeur de l’ERP le plus déployé chez Saint-Gobain », rapporte Matthieu Leviste. « C’était plus facile pour nous d’adopter Celonis parce que nous souhaitions déployer l’outil sur SAP ».
Cette année, le groupe français fêtera ses 360 ans. Une histoire dont ses dirigeants sont fiers, mais qui laisse entrevoir une nécessaire gestion de l’existant.
Pour espérer déployer le process mining à l’échelle de l’entreprise, il fallait donc trouver un moyen pour collecter les données en provenance d’une vingtaine d’ERP SAP ECC6 et S/4HANA (et d’autres).
« Notre paysage IT est très complexe », observe Matthieu Leviste. « Cela pose un problème pour obtenir une vision de bout en bout des processus et, à moi, pour les mises à l’échelle. Si j’ai un cas d’usage en France, je peux potentiellement rencontrer des difficultés à le déployer au niveau du groupe, puisque les entités n’utilisent pas forcément les mêmes technologies ».
« Autre point. Chez, Saint-Gobain, le taux de rotation du portefeuille est très important. Nous réalisons beaucoup d’acquisitions et de ventes d’entreprises », poursuit-il. Un défi supplémentaire pour le centre d’excellence.
Centraliser les données, une condition de la mise à l’échelle du process mining
Il a néanmoins trouvé la solution pour pérenniser le déploiement de Celonis. Le centre d’excellence s’est appuyé sur les mêmes fondations techniques qui permettent à Saint-Gobain d’estimer son empreinte carbone.
« Notre objectif est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour y parvenir, il est essentiel de connaître précisément les sources d’émissions de carbone au sein de nos entreprises. C’est dans cette optique qu’a été mis en place le data lake via Snowflake », rappelle le directeur du centre d’excellence. « Par la suite, de nombreux cas d’usage, comme le process mining, ont émergé en exploitant ce data lake. Cela a représenté un levier de croissance significatif pour nous ». En parallèle, l’équipe Data de Saint-Gobain s’est largement étoffée.
Les données des ERP SAP sont déversées dans Snowflake, la source de données principale de Celonis chez Saint-Gobain. C’est d’ailleurs la condition sine qua non à l’approbation d’un projet par le centre d’excellence. « Si une entité vient me voir avec un projet de process mining, je pose systématiquement la question : “vos données sont-elles disponibles dans Snowflake ?”. Si la réponse est non, je leur dis de revenir vers moi quand ce sera le cas. C’est trop compliqué pour moi de gérer toutes les connexions techniques ».
Dans Snowflake, les données brutes sont rafraîchies toutes les quatre heures.
« Auparavant, nous extrayions les données de l’année en cours et de l’année précédente. Ces données étaient mises à disposition des auditeurs pour qu’ils réalisent leurs audits durant le mois, puis elles étaient supprimées », se rappelle Matthieu Leviste. « Ce processus était systématiquement répété. Aujourd’hui, cette approche a totalement évolué puisque nous disposons de données quasiment en temps réel ».
Outre le fait qu’il aurait été complexe de gérer des extractions manuelles de manière répétée, les métiers ont besoin de données fraîches. « Il est impossible pour eux de travailler avec des informations datant de plus d’une semaine, cela ne serait pas viable », tranche le directeur du centre d’excellence.
Dans Celonis, les données disponibles sont rafraîchies deux fois par jour, du fait de la nécessité d’exécuter les jobs de transformation de données. « Celonis met à disposition des connecteurs et des scripts de transformation préconçus pour SAP, mais pas uniquement. Cela nous fait gagner du temps pour les cas d’usage standards », justifie Matthieu Leviste.
Le centre d’excellence compte 14 personnes. Quatre d’entre elles sont basées à Paris. Elles ont un profil métier et sont en contact direct avec les différentes entités du groupe. Dix autres membres sont situés en Inde, au sein du centre de développement de Saint-Gobain. Ces collaborateurs sont majoritairement des data analysts.
« Cette organisation nous permet d’assurer un suivi complet des projets, de la compréhension des besoins métiers (finance, achats, ventes, etc.) jusqu’à leur traduction technique ou fonctionnelle par l’équipe en Inde », indique Matthieu Leviste.
À la fin de l’année 2024, environ 40 cas d’usage étaient ouverts, ou en cours d’ouverture, tandis qu’une soixantaine ont été clôturés. Certains, comme le suivi des flux d’achat, sont déployés dans une grosse dizaine d’entités, que Matthieu Leviste inclut dans ce décompte.
« Cela représente environ une trentaine de cas unitaires liés aux processus évoqués plus haut (Order to Cash, Purchase to Pay, AP, AR), avec 4 à 5 cas d’usage par processus », résume-t-il. « La majorité provient des solutions standards de Celonis, tandis que d’autres ont été développés sur mesure pour des besoins spécifiques ».
Par exemple, Celonis est déployé dans certaines usines du groupe afin d’optimiser et détecter les inefficiences concernant la gestion des stocks.
Un retour sur investissement (déjà) positif
Le retour sur investissement serait positif, qu’il soit monétaire ou temporel. « Nous calculons le retour sur investissement de manière très précise pour chaque cas d’usage », assure le directeur du centre d’excellence. « Ce ROI est défini, mesuré et suivi individuellement, avec un suivi direct par le comité de direction financière du groupe, incluant le CFO. Je rends compte des résultats chaque mois au CODIF [comité de direction financière] ».
Le calcul du ROI prend en compte l’ensemble des coûts : les licences de Celonis, les infrastructures sur Snowflake et les ressources humaines du centre d’excellence.
Matthieu Leviste gère aussi une partie de la gestion du changement. Comme avec tous les outils, Celonis peut être rapidement adopté comme son utilisation peut provoquer de la résistance. À cela s’ajoute la prise en compte des analyses résultant de l’outil. Certains métiers préfèrent justifier les processus existants, tandis que d’autres ont à cœur de les optimiser.
« L’objectif est de rassurer les utilisateurs, simplifier leur travail et les orienter vers des tâches à valeur ajoutée, en réduisant les tâches répétitives ».
Matthieu LevisteDirecteur, centre d'excellence, intelligence des processus, Saint-Gobain
« L’objectif est de rassurer les utilisateurs, simplifier leur travail et les orienter vers des tâches à valeur ajoutée, en réduisant les tâches répétitives », considère le responsable.
De manière générale, les plans d’action sont suggérés par les directions métiers. Au centre d’excellence d’insuffler le bon état d’esprit. « Très souvent, les métiers sont porteurs de la solution et c’est important. Si ce n’est pas le cas, nous aurons toutes les difficultés à la réussite d’un projet ».
Saint-Gobain prépare un gros projet de migration ERP cloud
En ce sens, Saint-Gobain étudie les modules d’IA générative en cours de conception chez Celonis. « Aujourd’hui, le copilote c’est mon équipe », plaisante Matthieu Leviste. « Si demain je peux avoir une IA capable effectivement de guider les métiers sur les points de douleur, les inefficacités de processus, là où ils devraient vraiment mettre leur attention, ce serait vraiment génial pour décupler l’usage du process mining ».
Le directeur du centre d’excellence réfléchit également à l’intégration d’algorithmes prédictifs. « Cela nous intéresse pour évaluer les paiements clients. Les clients vont-ils payer en retard ? Sont-ils susceptibles de payer en retard ? », illustre-t-il.
En dehors de la gestion comptable et de la supply chain, Saint-Gobain compte exploiter sa plateforme Celonis afin de préparer un projet IT d’envergure. Le groupe prévoit de fusionner les données de plusieurs ERP SAP existants vers un S/4HANA Cloud déployé en mode greenfield. « Au-delà de la migration technique, c’est un grand projet de transformation », indique Matthieu Leviste.
« Chez Saint-Gobain, bien que SAP soit central, d’autres ERP sont utilisés et nécessitent un travail de déploiement de Celonis plus long, en raison de la complexité du modèle de données », ajoute-t-il.
Aussi, le directeur financier du groupe a fixé des objectifs clairs en matière de création de valeur. Il oriente les efforts sur des cas d’usage stratégiques pour résoudre les inefficacités et problèmes métiers identifiés. « La priorité pour 2025-2026 est d’intensifier le ROI grâce au process mining, en s’appuyant sur une feuille de route établie [à la fin de l’année 2024] ».
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