Processeurs : Intel se donne jusqu’à 2025 pour être meilleur que TSMC

Lancé dans une stratégie industrielle tous azimuts pour rattraper son retard, le fondeur publie une feuille de route teintée d’évolutions qui vont crescendo sur les quatre prochaines années.

Intel avait laissé entendre qu’il adopterait à terme une technologie IBM pour graver ses processeurs avec une finesse de 2 nanomètres. On sait à présent que l’objectif est de commercialiser des processeurs gravés en 1,8 nm dès 2025. Le fondeur estime que cette année-là sera aussi celle qui lui permettra de devenir le numéro 1 des fabricants de semi-conducteurs dans le monde. Un pari pour le moins ambitieux qui semble toutefois plus viser l’excellence technique que le succès commercial.

Au début de l’été, Intel était parti pour se raccrocher aux wagons des derniers progrès d’IBM en termes de miniaturisation de semi-conducteurs. Il s’agissait selon toute vraisemblance du moyen qui lui offrirait le plus de chances de rattraper son retard sur le marché des processeurs. En face, Nvidia, AMD et tous ceux qui déclinent les circuits ARM, dont Apple et quelques pépites du datacenter, font fabriquer leurs puces par les usines ultramodernes du Taiwanais TSMC, dont les chaînes de lithographie ont une à deux générations d’avance.

Mais alors que les observateurs imaginaient qu’il faudrait des mois à Intel pour qu’il mette en route une telle stratégie, le fournisseur a pris tout le marché de court en publiant dès le milieu de l’été une feuille de route, dont toutes les étapes sont étonnamment détaillées.

Trois générations d’usines se succéderont d’ici à 2024

La chronologie est la suivante : les efforts seront redoublés pour optimiser l’actuelle gravure en 10 nm, puis les chaînes de gravure en 7 nm à base d’ultraviolets extrêmes, que l’on attendait depuis des lustres, seront enfin livrées dans l’usine du Nouveau-Mexique. Et, enfin, de nouvelles usines, bénéficiant de fonds publics américains et européens, seront construites pour déployer des procédés de fabrication inédits, qui mèneront aux processeurs gravés en 1,8 nm en 2025.

Dans un premier temps, c’est la machine marketing qui va s’efforcer de convaincre les constructeurs et les entreprises de rester sur des processeurs Intel. Son argumentaire : les procédés de gravure actuellement utilisés n’atteignent certes pas la finesse de la concurrence, mais qu’importe, puisque d’autres caractéristiques, subtiles, apporteraient les mêmes bénéfices au final. En l’occurrence des processeurs plus rapides, qui consomment moins.

De fait, après une éphémère appellation « gravure 10 nm Superfin », les procédés de fabrication actuels sont rebaptisés « gravure Intel 7 ». Les transistors sont toujours gravés en 10 nm, mais ils aboutiront à la rentrée sur une nouvelle génération de processeurs x86, les Core et Xeon « Alder Lake », qui consommeraient entre 10 et 15 % d’électricité en moins que leurs prédécesseurs.

En 2022, Intel démarrera ses premières chaînes de production avec une finesse de 7 nm, suite à la modernisation de ses usines au Nouveau-Mexique, pour 3,5 milliards de dollars. Le procédé sera alors baptisé « gravure Intel 4 », sachant que TSMC fabriquera à ce moment-là à un rythme de croisière des puces avec une finesse de gravure de 5 nm. Les processeurs Core et Xeon bénéficiant de cette nouvelle gravure, les « Meteor Lake », ne sortiront toutefois pas des usines avant 2023. La promesse est qu’ils consommeraient encore 20 % d’énergie en moins.

Intel parie qu’il parviendra à améliorer sa lithographie (le procédé de gravure des transistors) en cours de route, de sorte à éliminer des imperfections microscopiques qui nuisent au rendement énergétique. Il prédit qu’il y parviendra en 2023 et que cela permettra à ses processeurs de 2024 (les « Lunar Lake ») d’économiser encore 18 % d’électricité. Si c’est bien le cas, le procédé de fabrication avec une finesse en 7 nm sera alors rebaptisé « gravure Intel 3 ».

En 2024, si Intel a réussi à réunir tous les fonds nécessaires, de nouvelles usines devraient sortir de terre, deux en Arizona (20 milliards de dollars), voire une en Europe (8 milliards d’euros). Elles concrétiseront à la fois les nouveaux procédés de gravure imaginés par IBM – qui découlent sur des transistors « RibonnFET » en 2 nm – et le nouveau moyen d’interconnecter les différentes parties du circuit – vraisemblablement « Foveros Direct » – imaginé en France par le CEA-Leti.

Ce procédé de fabrication portera le nom « gravure Intel 20A », pour 20 angströms, un angström équivalant à 0,1 nm. Si tout se passe bien, ce procédé sera amélioré en seulement un an pour atteindre une finesse de gravure réelle de 1,8 nm, sous l’appellation « gravure Intel 18A ».

Des processeurs assemblés comme des Legos

Outre la finesse de gravure, Intel va apporter de profondes modifications à l’architecture électronique de ses processeurs. La plus importante consistera vraisemblablement à faire cohabiter, comme sur les puces ARM, des cœurs x86 « Golden Cove » richement pourvus en circuits pour accélérer les calculs, et d’autres, plus simples, qui suffiraient pour exécuter le tout venant des applications, mais en consommant beaucoup moins d’énergie (cœurs « Gracemont »).

Par ailleurs, comme AMD, Intel fabriquera désormais ses processeurs non plus d’un seul tenant, mais en assemblant des dies fabriqués séparément ; Intel parle de « tuiles ». Au contraire d’AMD qui multiplie les mêmes dies – chacun avec les mêmes cœurs, la même mémoire cache… –, Intel assemblerait des tuiles aux fonctions différentes.

Il optimiserait ainsi sa production : la gamme de produits serait plus versatile, il pourrait lancer plus tôt des nouvelles versions de ses processeurs, puisqu’ils mixeraient des circuits éprouvés avec des circuits modernisés. Et, en définitive, les prix seraient maintenus sous un certain seuil, malgré les lourds investissements dans les usines. Il n’est d’ailleurs pas impossible que les futurs processeurs mélangent des tuiles de cœurs gravés en 2 nm avec d’autres circuits gravés en 7 nm.

Cet assemblage en tuiles sera justement rendu possible grâce à la connectique du CEA-Leti. Une préversion de cette technique, précédemment mise au point par Intel, porte le nom de Foveros et devrait permettre de mélanger des cœurs puissants avec des cœurs économes, dès la prochaine génération Alder Lake. Foveros sert à « clipper » des dies fonctionnels au-dessus d’un plateau qui route les signaux entre chaque chacun, les données passant par des tubes de cuivre qui ajoutent de la latence et augmentent la consommation de courant. La version « Foveros Direct » du CEA-Leti fait directement se toucher des points de contact et améliore le routage.

Intel aurait par ailleurs choisi d’accélérer l’implémentation des prochaines générations de périphériques. Il se dit que ses processeurs Alder Lake, ceux prévus d’ici à la fin de cette année, intégreraient déjà des contrôleurs mémoire DDR5 et bus PCIe 5.0, chacun doublant le débit de données de la génération actuelle. On se souvient qu’Intel n’a adopté le PCI 4.0 que cette année, après avoir laissé son concurrent AMD proposer pendant plus d’un an des serveurs Epyc où les SSD et les cartes graphiques étaient deux fois plus rapides que sur les serveurs Xeon.

Devenir sous-traitant pour les autres fournisseurs de puces

Pour financer tous ces projets, Pat Gelsinger, le PDG du fondeur, compte sur des investissements de Washington, qui souhaite redynamiser la filière locale des semi-conducteurs en période de pénurie des composants électroniques, et espère que les gouvernements de l’UE lui accorderont des aides au prétexte qu’ils éviteraient ainsi de dépendre uniquement des fournisseurs asiatiques. Mais cela ne suffira pas.

La nouveauté, surtout, est qu’Intel ouvrira désormais ses usines aux tiers. L’activité est baptisée « Intel Foundry Services ». AWS, qui tient à faire lui-même le design des processeurs qui motorisent son cloud, ainsi que Qualcomm, qui développe les processeurs SnapDragon des téléphones Android de milieu de gamme, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils feront fabriquer leurs prochaines puces chez lui.

Dans les deux cas, les constructeurs commanderont bien aux usines d’Intel de fabriquer leurs processeurs ARM ; l’accord ne les oblige pas à passer sur des cœurs x86. C’est cette seule activité de sous-traitant pour processeurs ARM qui a permis à TSMC de devenir en quelques années le leader du marché. Notons toutefois que ni AWS ni Qualcomm n’ont indiqué qu’ils cesseraient de commander des puces à TSMC.

D’autres fournisseurs de puces pourraient à leur tour rentabiliser les chaînes des usines Intel d’ici à un ou deux ans. Pat Gelsinger serait en effet en train de mener des négociations pour racheter GlobalFoundries, l’actuel numéro 4 mondial parmi les fabricants de semi-conducteurs. Ce rachat, dont on dit qu’il coûterait 30 milliards de dollars, amènerait à la fois à Intel de nouveaux clients, mais aussi de nouvelles usines.

Des observateurs notent que les tarifs des composants Intel ont significativement augmenté cet été. Cette hausse n’est pas à relier à des recherches de fonds de la part d’Intel. Elle est générale parmi tous les composants électroniques et reflète la pénurie actuelle. Cette pénurie s’explique par un gel des usines et des commandes pendant la période pandémique conjuguée au lancement simultané d’une multitude de nouveaux produits de grande consommation en fin d’année dernière (smartphones 5G, consoles de salon de nouvelle génération, nouvelles gammes automobiles, etc.).

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