
Lip-Bu Tan réorganise Intel à sa main
Le nouveau PDG du fondeur américain aplatit la pyramide des responsabilités pour qu’on lui rapporte directement les activités. La responsable des produits attend de connaître son nouveau rôle, l’actuel CTO annonce son départ inattendu à la retraite et 20 000 emplois sont menacés.
Lip-Bu Tan (en photo ci-dessus), le nouveau patron d’Intel, réorganise ses équipes selon un schéma moins pyramidal, qui devrait lui permettre de superviser plus directement les opérations. D’après le mémo interne que Reuters a pu consulter, c’est désormais à lui que les divisions Datacenter et Personal Computer soumettront leur stratégie commerciale. Cette responsabilité était auparavant celle de la directrice générale des produits, Michelle Johnston Holthaus. Si elle reste officiellement en poste, Lip-Bu Tan précise que ses fonctions sont « appelées à évoluer ».
Dans la foulée, Sachin Katti, qui dirigeait jusque-là la division Networking & Edge (principalement chargée de personnaliser et vendre des puces pour les télécoms), est nommé directeur des Nouvelles technologies et de l’IA. Certes, le rapport entre des Xeon pour équipements 5G et des GPU censés rivaliser avec Nvidia n’est pas spontanément évident. Mais on peut noter que la division télécom d’Intel a connu jusque-là plus de succès commercial que celle chargée des GPU.
Plus tôt cette année, on apprenait ainsi qu’Intel ne commercialiserait finalement pas son nouveau GPU Falcon Shores, jugé trop peu compétitif par rapport aux nouveaux Blackwell de Nvidia. Cela avait laissé le concurrent AMD libre de se promouvoir comme seule alternative, avec ses GPU MI300X, dont le nouveau modèle MI325X. Dans le même temps, Intel s’imposait une nouvelle fois comme vedette au salon Mobile World Congress de Barcelone, avec des architectures permettant à Dell, HPE ou Lenovo de vendre aux télécoms des infrastructures alternatives à celles des équipementiers historiques.
Il est donc probable que Lip-Bu Tan cherche à insuffler l’énergie commerciale de Sachin Katti à la division qui semble le plus en difficulté.
Dans le même temps, Bloomberg rapporte une rumeur selon laquelle Lip-Bu Tan aurait prévu de se séparer de 20 % de ses salariés, ce qui correspondrait au licenciement d’environ 20 000 personnes.
Remodeler l’organisation après Pat Gelsinger
Nommé le mois dernier à la tête d’Intel avec l’objectif de redresser le cours en bourse, Lip-Bu Tan (initialement un simple financier actionnaire de l’entreprise) a la réputation de ne s’être jamais entendu avec Pat Gelsinger, l’ex-PDG mis brutalement à la retraite en décembre par le conseil d’administration. Il est donc cohérent qu’il souhaite défaire l’organisation mise en place par son prédécesseur, qu’il jugeait contre-productive, avec trop de salariés et trop de fonctions déléguées.
Suite au départ de Pat Gelsinger, c’est Michelle Johnston Holthaus, justement, qui avait assuré l’intérim au poste de PDG, en partenariat avec le directeur financier David Zinsner. L’histoire ne dit pas si elle briguait le poste définitivement. Mais les observateurs sont impatients de savoir quelles fonctions Lip-Bu Tan va désormais lui attribuer.
Notons que Sachin Katti remplace aussi de fait Greg Lavender au poste de grand patron technologique (CTO). Hasard du calendrier, il se trouve en effet que Greg Lavender, un fidèle de Pat Gelsinger qu’il avait suivi chez Intel après l’avoir épaulé chez VMware, aurait subitement décidé de partir lui aussi à la retraite (décidément…), juste avant la promotion de Sachin Katti.
Quant au licenciement des 20 000 nouveaux salariés, il interviendrait après celui de 15 000 personnes en 2024, que Pat Gelsinger avait fini par concéder sous la pression du conseil d’administration. Pression mise notamment à l’époque par l’actionnaire Lip-Bu Tan, lequel considérait que le licenciement de 15 000 personnes n’était d’ailleurs même pas suffisant pour que les actionnaires renouent avec des dividendes positifs.
La question des usines toujours en suspens
Une autre attente des observateurs concerne la décision que Lip-Bu Tan prendra pour l’avenir des usines. Alors que ses concurrents AMD et Nvidia se sont formidablement développés en confiant la fabrication de leurs puces au Taiwanais TSMC, Pat Gelsinger voulait croire que maintenir une capacité industrielle interne serait clé pour relancer les bénéfices d’Intel. Du moins s’il parvenait à louer ses chaînes de production à des tiers. En attendant, la modernisation de ces usines a plombé les comptes du bilan Gelsinger.
Deux options sont sur la table. Soit maintenir le cap industriel fixé par Pat Gelsinger, ce qui suppose d’investir encore. Soit revendre les usines, ce qui rapporterait plus rapidement de l’argent aux actionnaires. TSMC s’était initialement dit intéressé par la seconde, car le rachat de ces chaînes de production situées sur le territoire des USA permettrait à une plus grande partie de ses clients de passer entre les gouttes des nouvelles taxes américaines sur les importations de semiconducteurs.
Pour autant, la position de TSMC a évolué ces derniers temps. D’une part, le siège situé à Taiwan préfère conserver près de lui ses capacités de production de pointe. Cela oblige l’Occident dépendant des semiconducteurs à maintenir autour de l’île une présence militaire contre un risque d’invasion par la Chine. D’autre part, ces jours-ci, des tensions se sont créées entre TSMC et le gouvernement américain après la découverte d’une production illégale de GPU pour Huawei et la menace d’une amende record de 1 milliard de dollars.
Dans de telles circonstances, développer sous la marque Intel une capacité industrielle rivalisant avec celle de TSMC pourrait présenter un avantage stratégique pour Washington. Encore faut-il convaincre une nouvelle administration hostile aux financements publics pour le secteur, comme l’a signifié Donald Trump lors de son discours au Capitol du 4 mars dernier.
Pour s’attaquer à ces questions et sans doute orienter sa décision, Lip-Bu Tan indique également dans son mémo qu’il cherche à recruter un nouveau responsable des affaires publiques, soit une personne en charge des relations avec le gouvernement étatsunien.