Techritory : « La connectivité est un succès, pas l’automatisation ni la sécurité »

La conférence européenne dédiée aux réseaux a mis en valeur le développement extrêmement rapide de la communication de données dans les ports maritimes via la 5G privée et les drones. Mais les processus ne sont pas encore au point.

Comme chaque année, les autorités européennes se sont réunies à Riga, en Lettonie, pour échanger sur les bonnes pratiques de connectivité lors du salon Techritory (anciennement 5G Techritory). Le progrès le plus saillant est certainement l’usage désormais intensif des drones dans le secteur des ports maritimes, rendu possible par une multitude de projets de 5G privée.

En l’occurrence, les drones sont essentiellement des sondes embarquées dans des véhicules aériens, terrestres, marins et même sous-marins, tous téléguidés, qui collectent en permanence toutes sortes d’informations opérationnelles. On trouve aussi de petites embarcations pilotées à distance dont la fonction principale est d’amener une borne 5G privée au plus près d’un navire en approche, afin que celui-ci puisse transférer ses données au plus tôt aux consoles décisionnelles du port.

« Je pense que si les applications de connectivité se sont développées à ce point dans les ports, c’est parce que c’est un secteur où l’activité ne cesse de grandir sans que vous puissiez vous étendre géographiquement. Il a donc fallu se moderniser très vite pour pouvoir densifier les opérations, c’est-à-dire multiplier les possibilités de communiquer les données », estime Antonia Kuntze, la directrice des opérations et des services du port marchand d’Hambourg.

« Par exemple, nous utilisons à présent une petite embarcation qui mesure régulièrement la profondeur des eaux, car aux alentours d’un port, elle change tout le temps. Avant il fallait envoyer un navire, avec du personnel navigant, qui consommait 50 litres de fioul par heure et mettait 16 heures pour accomplir son travail. Notre petite embarcation est électrique, elle accomplit le travail en six heures, elle est pilotée à distance par deux personnes et elle accède même à des endroits où ne pouvait pas se rendre le navire », témoigne Kaspars Ozolins, de l’entreprise LVR Flote, en charge de toutes les infrastructures du port de Riga.

« Et puis nous pouvons faire des choses que nous ne faisions pas avant. Nous contrôlions la pollution des eaux par satellite, mais il y avait beaucoup de faux positifs. Désormais, nous envoyons des drones volants pour confirmer les mesures. Ils décollent de navettes et peuvent aussi servir à contrôler les pêches, à contrôler les missions des navires. Nous avons aussi des drones sous-marins qui inspectent les épaves et les câbles », complète Santiago Encabo, le patron de la sécurité de l’Agence Européenne de la Sécurité Maritime.

« Pour être honnête, il y a trois ans, personne ne savait ce que pourrait bien être la connectivité maritime. Parce que nous avons été obligés de déployer des projets à marche forcée, nous, les spécialistes des telcos, nous sommes devenus des spécialistes des technos », commente Artus Lindenberg, le patron de l’innovation chez LMT, le principal opérateur télécom de Lettonie.

Des technologies trop en avance par rapport aux processus

« Le plus étonnant est que la technologie n’est pas un problème. Tout est déjà disponible : des drones, des bornes 5G, des antennes satellites, de l’IA. Tout fonctionne. Notre enjeu est plutôt de ficeler correctement des scénarios d’usage. Par exemple : à quelle distance d’un navire devez-vous amener une borne 5G pour qu’elle communique sans créer d’interférences ? Quelles données devez-vous prélever pour connaître cette distance ? Etc. », ajoute Artus Lindenberg.  

« Et puis il faut configurer toutes les applications selon nos enjeux. Nous avons les drones, nous avons l’IA, nous avons des jumeaux numériques. Notre but est de faire de la maintenance prédictive, de l’inspection à distance, de la logistique, de la prise de décision, de la surveillance des containers qui soient fiables, qui soient résilientes. Cela demande encore énormément de R&D », illustre Antonia Kuntze.

« Aujourd’hui, nous savons transmettre des relevés en temps réel. Mais ce n’est pas suffisant. Car pour que le diagnostic et la prise de décision soient aussi en temps réel, il faudrait que ces relevés soient automatiquement préanalysés. Sauf que nous manquons encore de recul pour savoir comment nous y prendre. D’autant plus que ces sujets soulèvent des questions réglementaires. Il faut que les législateurs nous autorisent à mettre en œuvre des technologies toutes automatisées », prévient Kaspars Ozolins.

« Honnêtement, je ne pense pas que nous soyons capables d’automatiser quoi que ce soit dans un futur proche. Pour la bonne et simple raison qu’il y a énormément de trafic non prédictible dans un port marchand. Par exemple, entraîner une IA pour savoir ce qu’il faut détecter selon quelles conditions, dans le cadre d’un projet de maintenance prédictive des infrastructures fixes, nous a pris des mois et des mois. Non pas de temps de calcul. Mais de temps humain, pour identifier les données sources », assène Antonia Kuntze.

Les autorités pour l’instant impuissantes face au détournement des drones

« Le problème, surtout, est que les drones peuvent être dangereux. Comprenez que chaque fois que nous menons une inspection d’une citerne de carburant, d’une installation électrique, d’une infrastructure critique, quelque part, nous ouvrons un accès potentiellement dangereux pour la structure. S’il devait y avoir une attaque contre des infrastructures critiques, ce serait précisément en détournant la procédure d’inspection », prévient Santiago Encabo, en évoquant le piratage d’une procédure qui serait scriptée dans l’électronique d’un drone autonome.

« Le fait que nous avons le pire voisin du monde et qu’il ne se prive pas de perturber en permanence nos instruments », enchaîne Artus Lindenberg, sans se donner la peine de nommer précisément la Russie. « Par exemple, ils parviennent à brouiller les signaux GPS. Donc quand vous commandez à distance un drone pour qu’il aille à tel endroit, il va ailleurs. »

« C’est si sérieux que nous cherchons en ce moment avec des instituts scientifiques à mettre au point une technique de guidage alternative au GPS. Par exemple en utilisant le champ magnétique terrestre, comme dans les boussoles. Nous n’y sommes pas encore parvenus », précise-t-il.

« Surtout, avant de penser à rendre les drones autonomes dans leur travail, nous devons développer des procédures de continuité d’activité. Mais aussi des procédures pour sécuriser les patches. Parce que, en l’occurrence, tous les équipements qui assurent la connectivité sont patchés en permanence », reprend Santiago Encabo. Il précise que l’Agence Européenne de la Sécurité Maritime teste en ce moment un logiciel qui implémente de telles procédures dans le port d’Amsterdam, lequel doit bientôt accueillir des navires autonomes de 23 mètres.

La discussion entre ces responsables à laquelle LeMagIT a pu assister aurait pu s’arrêter sur ces sages décisions de temporiser l’innovation pour à présent façonner des processus d’usage et de sécurité. Mais non. Au moment de conclure, c’est bien le rêve de repousser sans cesse les technologies qui reprend le dessus :

« Ce qui nous manque encore, c’est une 5G qui fonctionnerait sous l’eau. Pour que les drones sous-marins puissent nous envoyer beaucoup de données de surveillance sans attendre qu’ils remontent des images à la surface. En fait, mettre au point une telle technologie est une priorité pour l’Europe. Ne serait-ce que pour améliorer la surveillance des câbles sous-marins que des ennemis peuvent trop facilement nous couper », dit, pensif, Artus Lindenberg.

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