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IT : les différentes facettes de l’écoconception
Composante d’une stratégie de numérique responsable, au même titre que la mesure, l’écoconception de solutions numériques dispose d’un nouveau référentiel dédié intégrant 78 fiches pratiques. Son but : accompagner les actions des organisations et leur fournir une méthode de travail.
« La mesure est au cœur du sujet du numérique responsable. C’est une obligation (…) Il est aussi nécessaire de fixer une trajectoire de réduction avec des objectifs quantitatifs », déclarait (lors du dernier GreenTech Forum) Marcos Lopes, Sustainability Manager chez Wavestone.
Mais mesurer n’est qu’une étape qui doit être accompagnée d’actions concrètes. L’écoconception peut ainsi constituer un axe de travail pour réduire son empreinte environnementale. Dans ce secteur, comme dans celui de la mesure, méthodes et référentiels permettent d’aider à la mise en œuvre de plans d’action.
La France aux avant-postes sur l’écoconception ?
Pour les services numériques et leur conception, c’est ainsi le RGESN (Référentiel Général de l’Écoconception des Services Numériques) qui fait désormais office de document de référence en France. Ce référentiel, publié en mai 2024, est le fruit de la collaboration entre l’Arcep, l’Arcom, l’ADEME, la DINUM, la CNIL et l’INRIA.
Si numérique responsable et GreenIT trouvent progressivement leur place dans les entreprises, difficile cependant d’évaluer leur maturité sur l’écoconception. Peu d’éléments permettent en effet d’en juger, reconnaît Alexis Perez, ingénieur sobriété numérique à l’Ademe. Des signaux faibles peuvent toutefois fournir quelques indications.
D’après le Baromètre de l’écoconception digitale, le score d’écoconception des sites Web des entreprises du CAC 40 a progressé entre 2022 et 2023 (de 29/100 à 32/100). Ces services en ligne constituent pour elles une vitrine. La marge de progression reste malgré tout très conséquente.
La croissance du nombre d’outils de mesure des impacts du numérique et de l’empreinte environnementale – conçus pour contribuer à établir des stratégies de numérique responsable – peut aussi être considérée comme le signe d’une meilleure prise de conscience.
« La France est perçue comme assez en avance sur les sujets d’écoconception par rapport aux autres pays. La volonté de porter le RGESN au niveau européen, voire hypothétiquement de l’affirmer sur le plan législatif, constitue aussi un signal », suggère l’expert de l’Ademe.
Et ce dernier d’indiquer en outre que l’Agence participe au financement de projets d’écoconception dans le cadre de France 2030. Un appel à projets intitulé Econum a été initié en juillet 2023. Cinquante millions d’euros ont été alloués – mais pas seulement à la thématique de la sobriété numérique. De premiers projets ont été identifiés. Leur nombre n’est pas précisé toutefois.
L’allongement de la durée des terminaux lié aussi à l’écoconception
Les initiatives en matière de numérique responsable doivent se multiplier. Or, les organisations, les entreprises privées comme les administrations, ont pour cela besoin de guides et de méthodes reconnus. C’est le but du référentiel général auquel a participé l’Ademe.
Alexis PerezChef de projet Numérique, ADEME
La sensibilisation se diffuse, grâce notamment à des rapports, dont celui consacré à l’empreinte du numérique en France (2,5 % des émissions de C02 et 10 % de la consommation électrique). Ce dernier a en particulier pointé l’importance de l’impact des terminaux.
Le constat est aujourd’hui largement partagé et les premières mesures prises se concentrent souvent sur les équipements. « Mais le lien avec l’écoconception est direct », souligne Alexis Perez. « Plus un service, une application, ou un site Web est lourd et plus il exige de ressources, incitant les utilisateurs à remplacer leurs terminaux », justifie-t-il.
Le baromètre Sobriétés et modes de vie confirme d’ailleurs que la panne du terminal est rarement le déclencheur de son renouvellement. L’écoconception peut donc participer à faire baisser cette tendance. Pour l’ingénieur de l’Ademe, elle est indiscutablement un levier de réduction de l’empreinte du numérique.
Encore faut-il que les bons acteurs des organisations s’emparent du RGESN. Toucher différentes populations, c’était un des buts de la nouvelle version du référentiel. Structuré sous forme de fiches pratiques, le document se destine à plusieurs audiences. La cible est indiquée pour chacune des fiches.
De nombreux métiers acteurs de l’écoconception
Chefs de projet, responsables UX, architectes logiciel, ingénieurs systèmes, graphistes, développeurs, mais aussi professionnels du marketing et de la RSE… Tous sont concernés par l’écoconception en tant qu’acteurs du déploiement de services numériques.
Quid des dirigeants et de leur rôle d’impulsion ? « Le premier volet du RGESN porte sur la stratégie », répond le porte-parole de l’Ademe, qui confirme l’importance d’une « impulsion » – de la direction générale ou de la direction RSE, selon la taille de l’entreprise.
Seuls les décideurs peuvent en effet trancher la question très en amont de la pertinence ou non de lancer un service numérique. « Les stratégies d’écoconception peuvent aussi être liées à des programmes plus globaux, notamment du fait de la réglementation CSRD qui demande de disposer d’une vision globale », complète Alexis Perez.
Global, le référentiel l’ambitionne également en matière de couverture. Le périmètre de services concernés est large. Il englobe aussi bien un site Web, une API, un logiciel SaaS ou des algorithmes d’IA. La catégorie algorithmie constitue d’ailleurs un des ajouts du référentiel de 2024.
Le document fournit des préconisations en matière de mise en place de pratiques d’écoconception et de frugalité pour l’entraînement et l’inférence des IA. Le référentiel attire par exemple l’attention sur la limitation du volume de données d’entraînement et sur la méthode d’entraînement, mais également sur le choix de modèles préentraînés et d’équipements plus efficaces énergétiquement.
L’optimisation de l’inférence, de l’occurrence des mises à jour et du réentraînement des modèles, ou encore la technique de compression de ces modèles constituent d’autres pistes d’amélioration des impacts et donc des actions d’écoconception possibles.
Un référentiel comme outil d’accompagnement et d’amélioration
L’étendue de la couverture du RGESN est « un avantage ». Cette approche présente une contrepartie (reconnue par l’expert sobriété numérique), à savoir un manque de précision sur des cas d’usage spécifiques. « Il y a une marge d’interprétation en fonction des cas. C’est un peu le prix à payer » d’un référentiel global.
Toutefois, ajoute Alexis Perez, le RGESN est amené à évoluer. Un « Forum des parties prenantes », reposant sur des retours d’expérience, vise à identifier les pistes d’amélioration. Les tiers sont aussi encouragés à partager leurs questions et commentaires. Une adresse dédiée a été créée à cette fin : ecoconception[a]arcep.fr.
Alexis PerezChef de projet Numérique, ADEME
Néanmoins, le référentiel n’est pas un outil clé en main. Il demande un investissement de la part de l’entreprise, et donc une appropriation. « Il est plus un outil destiné à accompagner une démarche d’écoconception (…) Le référentiel synthétise la liste des bonnes questions à se poser pour écoconcevoir un produit numérique. »
Document d’accompagnement, le référentiel aide ainsi à établir un score non d’écoconception, mais de mise en œuvre et donc de diffusion des bonnes pratiques. Le calcul de ce score se base sur différents critères (applicables et non applicables) auxquels sont associés des niveaux (prioritaire, recommandé, modéré).
Sur les 78 critères, 30 sont jugés prioritaires. Ce mode de fonctionnement vise à valoriser plus fortement les actions présentant le plus fort impact. L’évaluation de l’utilité du service numérique constitue, par exemple, un critère prioritaire, en tenant compte de ses impacts environnementaux. La capacité d’un service à être utilisée sur d’anciens terminaux représente également un paramètre prioritaire.
Les bénéfices bien réels de l’écoconception
Le score calculé grâce au référentiel n’est pas figé. Il s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue, mesurable via l’amélioration de la note du RGESN. Le score n’est bien sûr pas une fin en soi. Il est avant tout la traduction d’actions concrètes dont découlent des bénéfices.
Pour Alexis Perez, ces bénéfices sont divers. Parmi ceux-ci, l’allongement de la durée de vie des terminaux (dont les impacts sont démontrés). Et ce gain est notamment obtenu via des services numériques qui ne participent pas à l’obsolescence des terminaux.
Plusieurs leviers sont activables pour influer sur le cycle de vie des appareils (optimisation de la définition des vidéos, open source, déploiement des mises à jour essentielles uniquement, support d’anciennes versions d’OS et de navigateurs, etc.).
L’écoconception repose également sur la promotion de la sobriété environnementale, une destination difficile à concilier avec l’économie de l’attention et ses services conçus nativement pour retenir captif l’utilisateur. L’attention est au cœur de la monétisation.
Une démarche d’écoconception présente aussi pour bénéfice la réduction des ressources mobilisées sur l’ensemble du cycle de vie du produit numérique. Sur ce volet, des résultats peuvent être obtenus en réduisant le poids des images ou des vidéos, en limitant les requêtes aux serveurs ou en optant pour un hébergement optimum en matière d’intensité carbone.
Enfin, Alexis Perez voit dans l’écoconception un moyen d’améliorer le niveau de transparence sur l’empreinte environnementale. Cette transparence, les entreprises pourront encore la renforcer en apportant des preuves. À chaque exigence du référentiel correspondent des preuves ou justificatifs.
Il peut s’agir par exemple de la réalisation d’une déclaration d’écoconception. Un modèle de déclaration est fourni dans le RGESN – tout comme une méthodologie de calcul du score. À terme, l’Arcep souhaite que toutes les déclarations d’écoconception soient enregistrées sur un site internet.